6.3.4. Pétrole et régionalisme bahianais

Ainsi, Bahia qui sortait d'un long processus de décadence économique et politique, avec la découverte et l'exploration du pétrole sur son territoire dans les années 50, s'engage dans un processus d'industrialisation assez important ; lequel provoque des transformations structurelles non négligeables dans la société et dans l'économie bahianaise.

Quoiqu’il en soi, nous pouvons affirmer que l’arrivée de PETROBRAS et, après les années 60, d’autres industries, fut à l’origine de l’expansion des formes monétarisées des rapports sociaux, notamment du salariat, dans la société bahianaise. Non que la monnaie fût inconnue, ou les rapports monétarisés complètement inexistants, mais, d’une façon générale on accepte l’idée qu’ils étaient minoritaires dans l’ensemble de la société bahianaise. Ceci était particulièrement vrai dans les campagnes, où habitait la majorité de la population de l’État.

Il n’en demeure pas moins que l’arrivée de l’industrie après les années 50 a beaucoup modifié cette situation. Que ce soit par l’augmentation du nombre de salariés, par l'arrivée des femmes sur le marché du travail, etc., plusieurs indices témoignent de changements structuraux importants dont les effets ont été abordés dans les sections antérieures.

Toute l'évolution historique et économique de l'État de Bahia, reprise ici à partir des versions de quelques-uns de ses historiens, a une double importance pour notre étude. D'une part, en situant le contexte socio-économique dans lequel le syndicalisme des ouvriers du pétrole s'est déployé au fil du temps. D'autre part, parce que ce processus a souffert de l'influence de l'action de plusieurs acteurs de Bahia, en particulier de ceux qui étaient engagés dans le régionalisme. Par rapport à ce thème, le pétrole a été un symbole unificateur des revendications régionalistes bahianaises ; raison pour laquelle il n'est donc pas surprenant que la dynamique économique de l'État ait été assurée par les activités pétrolières et pétrochimiques.

Dès lors on comprend l'importance symbolique du pétrole à Bahia pendant la période qui va des années 50 jusqu'aux années 80.

En effet, lors de la découverte du pétrole à Bahia, les groupes politiques et économiques les plus puissants de l'État (surtout les représentants du capital financier et commercial) vont saisir l'événement pour développer une stratégie visant à favoriser leur participation dans cette activité économique. Stratégie qui se plaçait donc à contre-courant de la logique centralisatrice et étatisante qui commençait à devenir hégémonique dans les centres de décision de l'État Fédéral.

Dans ces conditions, les discours tendaient à davantage souligner l'importante contribution que Bahia, c'est-à-dire ses élites économiques, pouvait accorder au développement du pays :

‘<< Bahia qui a fait l'indépendance politique du Brésil peut maintenant, avec ses ressources, faire l'indépendance économique du pays. Partout dans notre littoral affleure "l'or noir" . 85 >>.’

Comme nous le savons, l'orientation donnée à l'industrie pétrolière brésilienne institue le Monopole d'État sur l'activité en 1953, avec la création de PETROBRAS. Les critiques à l'encontre de cette mesure qui vont se faire entendre dans certains milieux sociaux de Bahia ne porteront pas sur le principe du Monopole lui-même, mais plutôt sur la discrimination faite aux intérêts bahianais :

‘<< Malheureusement la passion nationaliste (...) dont est issu le monopole d'Etat, fit que ne revinrent à Bahia que les faibles royalties de 5 % sur la valeur du brut extrait.>> (Mariani, 1977, 96).’

Dès lors, les revendications "bahianaises" sur le pétrole, au fur et à mesure que la production des gisements pétroliers de Bahia augmente, vont insister sur la nécessité d'orienter l'industrie pétrolière vers le développement des régions productrices. Cette proposition, à cette époque, n'était autre qu'une référence détournée à l'État de Bahia, le seul producteur de pétrole du Brésil jusqu'aux années 1960. Cet argument sera par la suite repris par la presse locale et , même, par le gouvernement de l'Etat :

‘<< ... ainsi, il nous paraît indispensable de fixer dès maintenant, en tant que principe, que la politique nationaliste du pétrole et le programme de PETROBRAS doivent considérer la production de brut comme un facteur d'accélération délibérée du développement de la région productrice.>>. (Rapport du Centre de Planification et d'Études - CPE - du Gouvernement de l'Etat de Bahia, cité par Guimaraes, 1982, 139).’

L'industrie pétrolière sera donc un des sujets autour desquels le régionalisme bahianais - au niveau économique et politique en tout cas - se développera.

En ce sens, tout au long des années 50 et 60, cette idée sera reprise dans la presse bahianaise. Plusieurs articles souligneront la disproportion entre la production pétrolière bahianaise - qui a connu, rappelons-le, un essor important dans les années 50 - et les avantages obtenus par l'État. Ainsi, lors de la mise en application de nouveaux prix des combustibles, jugés trop défavorables à l'économie de Bahia par rapport à celle d'autres États, le prestigieux JORNAL DA BAHIA publiait dans son éditorial une violente critique à l'encontre de la passivité des hommes politiques bahianais concernant ce sujet :

‘<< Pour quelle raison le gouvernement de l'État, les hommes et les organisations investies de l'autorité pour parler au nom de Bahia et de ses intérêts, restent-ils en silence, acceptant comme fait acquis un acte injuste contre notre peuple ? (...) le moment est venu que des hommes politiques bahianais assument toutes leurs responsabilités de représentants de Bahia ; cela par amour pour notre État, tellement riche en possibilités et méritant tellement de meilleurs jours.>> (in : JORNAL DA BAHIA 06/11/58).’

Par ailleurs, le plus grand quotidien de l'État de Bahia, A TARDE, soutiendra une campagne publique pour la défense des "revendications des bahianais sur le pétrole" au début de l'année 1958 ; ce qui allait rendre possible la mise en place de plusieurs manifestations de groupes sociaux de Bahia (les étudiants, les associations représentatives du patronat, etc.) en faveur de l'adoption, par l'entreprise nationale du pétrole, d'une politique plus favorable à l'État de Bahia.

En tout cas, en ce qui concerne la période durant laquelle l'industrie pétrolière s'implantait à Bahia, une bonne démonstration du consensus régionaliste sur le sujet fut la réalisation, en janvier 1959, d'une Conférence sur le Pétrole au siège de l'Association Commerciale de Bahia. Le caractère régionaliste de cette initiative - dont le mot d'ordre était : "Bahia unanime pour la défense de ses justes revendications"- fit qu'elle obtint le soutien de diverses forces politiques et du principal journal de Bahia, le quotidien "A TARDE".

A la fin de la Conférence, ce journal publia un document intitulé "La Charte du Pétrole", où il était question de proposer au gouvernement fédéral plusieurs mesures pour que PETROBRAS participe plus effectivement au développement de Bahia. Parmi ces propositions, les plus importantes étaient :

Dans cette même édition du journal A TARDE (24/01/59), plusieurs représentants de la société bahianaise exprimèrent leur soutien aux idées défendues lors de la conférence, parmi lesquels un représentant du syndicat des ouvriers du pétrole, qui affirmait :

‘<< Nous donnons notre soutien à cette Conférence en raison surtout de son objectif central : la défense des intérêts de Bahia en tant que grand producteur du pétrole brésilien. Et cela parce que la Rédemption de Bahia ainsi que l'amélioration des conditions de vie de ses travailleurs et de son peuple dépendent en grande partie, en ce moment, de la prise en considération de ces revendications.>> (A TARDE, 24/01/59, Charte du Pétrole).’

C'est dire combien les demandes régionalistes étaient mobilisatrices parmi les groupes sociaux bahianais.

Nous verrons plus tard que quelques-unes de ces demandes réapparaîtront dans les discours syndicaux des ouvriers du pétrole dans les années 60, ce qui semble confirmer la thèse de Guimaraes (1982) selon laquelle les ouvriers ont accepté sans réserve les discours régionalistes de la bourgeoisie bahianaise. Cependant, il faut préciser aussi que lorsque ces demandes reviennent dans les discours ouvriers, elles sont chargées d'une autre logique que celle des groupes entrepreneuriaux de Bahia. C'est du fait même des cheminements des constructions symboliques qu'un discours sorti de son milieu d'origine prend des connotations nouvelles ; lesquelles le chargent d'un sens nouveau, pas nécessairement identique ou compatible avec le sens originel.

Le journal A TARDE, par ailleurs, menait depuis mai 1958 une intense campagne pour convaincre les forces politiques de l'Etat de peser de tout leur poids pour influencer les prises de décision du gouvernement fédéral concernant le pétrole. Ainsi, tout au long de l'année en question, plusieurs articles aux titres fort évocateurs vont paraître : " Le Pétrole et les États" et "Le Pétrole, la Constitution et Bahia" le 13/03/58 ; "Bahia et le Pétrole" le 8/04/58 ; "Le Pétrole n'est pas à Nous" le 12/04/58 ; "Le Pétrole dans l'Économie Bahianaise" le 29/04/58 ; "Est-ce que le Gouvernement Fédéral sait où est Bahia ?" le 28/05/58 ; "Bahia continue d'être endommagée" le 29/05/58, etc.

Un autre signe de l'étendue de ce régionalisme bahianais fut la mise en place, dans tout l'Etat de Bahia, d'une grève générale de trente minutes le 29/09/61. Cette grève, à l'initiative conjointe de l'Association Commerciale de Bahia et du journal A TARDE, prétendait mobiliser la population bahianaise autour de l'idée du déplacement du siège administratif de PETROBRAS vers Salvador, lequel siège était situé à Rio de Janeiro depuis la création de l'entreprise en 1953.

L'histoire de cette manifestation illustre très bien la puissance du régionalisme bahianais, nonobstant l'aspect purement symbolique de cette grève - à peine une demi-heure - et le peu de conséquences pour l'économie régionale (selon le journal cité, elle fut suivie surtout dans le secteur commercial de Salvador). Son importance, malgré sa courte durée, tient au fait qu'elle a réussi à unir plusieurs groupes sociaux autour d'une action régionaliste.

Les promoteurs de cette campagne régionaliste avaient bien à l'esprit qu'en termes économiques, l'implantation d'une industrie pétrochimique dans l'État était le moyen le plus sûr pour dynamiser l'économie bahianaise. Sentiment exprimé, dès son rapport annuel de 1958, par la puissante Banque de Bahia :

‘<< ... PETROBRAS est aujourd’hui le plus grand investissement industriel dans l’État et celui qui pourra avoir l’action la plus décisive sur son développement. Malgré le fait que les résultats des activités de l’entreprise pétrolière ne soient pas directement incorporés à l’économie bahianaise (seulement 5 % de royalties sur la valeur du pétrole produit), les bénéfices indirects de son activité, que ce soit par la participation de l’État à l’impôt unique sur la production ou par ses dépenses opérationnelles ou ses investissements, stimulent les activités économiques régionales. Cette stimulation deviendra encore plus grande avec les agrandissements actuels, et futurs, de la raffinerie de Mataripe, ce qui rendra possible l'installation d’une industrie pétrochimique d’importance.>> (Rapport annuel de 1958 de la Banque de Bahia, cité par Guimarães, 1982 : 168).’

Cette citation est importante pour plusieurs raisons. D’une part, parce qu’elle témoigne de l’intérêt que les groupes économiques et politiques de Bahia (et la Banque de Bahia regroupait les deux à la fois) portaient à l’industrie pétrolière ; d’autre part, parce qu’elle laisse voir que dès les années 50, l’industrie pétrochimique apparaissait déjà comme une des priorités pour que les activités pétrolières puissent devenir un levier du développement local.

Ce qui expliquerait la persistante action politique des groupes politiquement et économiquement hégémoniques de l'État dans le sens de l’implantation et de l’accroissement de l’industrie pétrochimique à Bahia.

Cette stratégie allait porter tous ses fruits au cours des années 70, avec la décision du gouvernement fédéral d’installer dans le Recôncavo, le plus important pôle intégré de cette industrie. Selon Suarez (1984), qui a exhaustivement étudié le processus de prise de décision du gouvernement, l’action orchestrée des groupes entrepreneuriaux et politiques de Bahia a été très importante pour convaincre les Militaires et les technocrates brésiliens du bien fondé de la décentralisation d’une industrie si importante pour l’économie nationale.

Néanmoins, la revendication régionaliste qui allait s’avérer la plus mobilisatrice au niveau de la population bahianaise fut la demande de nomination de personnes nées à Bahia pour diriger la compagnie pétrolière. Ce fut aussi la demande qui eut le plus de succès en termes de résultat immédiat.

En effet, bien que le premier P.D.G. de PETROBRAS ait été un militaire ayant fait sa carrière politique à Bahia, la présence, à la direction de l'entreprise pétrolière, de personnes liées aux groupes politiques bahianais se faisait de plus en plus rare. Ainsi, tout au long de la deuxième moitié des années 50, l’idée qu’un Bahianais devait siéger à la tête de la compagnie pétrolière s’est renforcée ; cette idée faisait même partie de la ‘‘Charte du Pétrole’’ issue de la Convention du pétrole, tenue par le journal A TARDE et par l’Association Commerciale de Bahia en janvier 1959.

De même, les politiciens bahianais essaieront, à la même époque, de participer au processus de nomination des dirigeants de PETROBRAS, mais, sans succès. C’est ce que nous apprend le texte suivant de 1960, signé par le gouverneur de Bahia, lequel, par ailleurs, avait été le premier P.D.G. de PETROBRAS :

‘<< ... nous avons perdu récemment la bataille en faveur de la nomination d’un Bahianais pour la direction de PETROBRAS ; nous ne croiserons pas les bras, nous allons insister autant de fois que cela sera nécessaire, jusqu’à ce que cette revendication, plus que juste, soit prise en compte ...>> (cité par Guimarães, 1982 : 192).’

Cependant, c’est seulement à partir du moment où les syndicats des ouvriers du pétrole de Bahia deviennent des acteurs de poids dans la politique interne de PETROBRAS que la nomination à la tête de PETROBRAS de personnes nées à Bahia ou liées aux ‘‘intérêts bahianais’’, deviendra une norme.

En effet, dans les premières années de la décennie 1960, les syndicats des salariés bahianais de PETROBRAS obtiennent une légitimité assez importante au sein de l’entreprise, devenant ainsi des interlocuteurs incontournables de la direction de la société. Dans une conjoncture où les syndicats deviennent la principale base d'appui du gouvernement, après la montée au pouvoir de Goulart en 1961, les syndicalistes du pétrole de Bahia vont marchander leur soutien aux plans gouvernementaux contre un plus grand pouvoir dans la définition de la politique pétrolière ; ce qui s’est fait surtout par la nomination à la direction de la compagnie pétrolière de personnes proches des positions nationalistes des syndicats.

Autrement dit, une des revendications majeures du régionalisme, originairement portée par les groupes dominants à Bahia, ne sera satisfaite qu'à partir du moment où elle sera intégrée dans les stratégies politiques des syndicalistes bahianais du pétrole. Nous reviendrons sur ce point, et voulons seulement, ici, souligner l’empreinte que le régionalisme a laissé sur les ‘‘petroleiros’’ de Bahia. D'où l'importance que nous y accordons.

Ainsi, indépendamment des effets pratiques des revendications des élites économiques et politiques de Bahia, nous pensons, avec Guimarães, que leur principale conquête fut la création d'un consensus à Bahia autour de << ... l'idée que la politique nationale du pétrole devait aussi être évaluée par ses effets régionaux.>> (Guimarães, 1982, 86). Autrement dit, les critères d'évaluation basés sur les prémices régionalistes, sont devenus des critères légitimes pour évaluer l'action de PETROBRAS à Bahia.

Nous trouvons disproportionné, en revanche, d’appréhender ce processus en termes de pacte de classes entre la bourgeoisie bahianaise et les travailleurs de Bahia, ou même de PETROBRAS, comme le soutien Guimarães. Malgré le consensus obtenu autour de l’idée régionale, la façon de l'interpréter était très différente : pour les syndicalistes du pétrole le régionalisme était un moyen d’asseoir leur pouvoir à l’intérieur de l’entreprise et d’augmenter leur légitimité face à la base ouvrière ; pour les groupes dominants de Bahia, le régionalisme était un moyen de faire passer leurs intérêts comme étant les intérêts de tout l’État de Bahia ; en ce sens, ils n’ont réussi que très partiellement.

Cependant, il faut aussi souligner que, dans la mesure même où cela se faisait dans un contexte national où l'idéologie nationaliste devenait hégémonique, le régionalisme bahianais ne se posait pas comme étant le contraire du nationalisme, mais comme son complément.

Nous reviendrons sur ce sujet lors de l'analyse de l'action syndicale des ouvriers du pétrole, mais d'ores et déjà nous voulons souligner ici que dans les représentations sociales des Bahianais à cette époque, l'industrie pétrolière au Brésil, dans une perspective nationaliste, ne pouvait pas être dissociée de l'avenir de Bahia et réciproquement. C’est-à-dire, être régionaliste à Bahia était une des façons possibles d’être aussi nationaliste. Les revendications régionalistes visaient à donner à Bahia les moyens de participer effectivement à la construction nationale. Puisque Bahia était alors le seul État producteur de brut, il fallait augmenter les investissements dans l'industrie pétrolière dans cet État pour permettre au Brésil d'atteindre une autosuffisance pétrolière. Dans ces représentations le pétrole n'était pas seulement une activité économique essentielle pour l'économie bahianaise, mais aussi une source de fierté et d'orgueil pour les Bahianais.

D'une certaine manière, cette fierté et cet orgueil de la contribution bahianaise à l'industrie nationale du pétrole se maintiendra jusqu'au début des années 1980. C'est à ce moment seulement que la production pétrolière de l'État commence à baisser, en même temps que la mise en production des puits situés sur la plate-forme continentale projette l'État de Rio de Janeiro à la première place parmi les États producteurs de pétrole du Brésil. Dès lors, les Bahianais ne pourront plus se vanter du fait que leur État était presque le seul producteur de pétrole du pays.

Participation de l’État de Bahia dans la production brésilienne de pétrole
Année Production de pétrole du Brésil (1.000 m3) Participation de Bahia dans la production nationale (%)
1954 158 100
1955 321 100
1960 4.708 100
1965 5.428 100
1970 9.534 81,2
1975 9.979 68,6
1980 10.562 43,6
1985 31.752 14,4
1990 36.634 11,1
1993 37.048 9,3
Source : PETROBRAS, Principais Indicadores, 1994.

Mais, encore à la fin des années 70, l'écrivain régionaliste bahianais Jorge Amado, écrivait sur le pétrole et son importance symbolique à Bahia :

‘<< Dans la nuit de Bahia, où d'innombrables étoiles brillent dans le ciel, où la lune éclaire les caboteurs et le vieux fort, une nouvelle lumière étincelle au loin dans l'obscurité. C'est un éclat de feu montant dans le ciel rougeâtre vers le fond du golfe, sur les berges du fleuve Paraguaçu. (...) Cette clarté qui illumine la nuit vient des raffineries de Mataripe, c'est le pétrole de Bahia, richesse du peuple brésilien. (...) Les compagnies impérialistes ne niaient plus l'existence du pétrole. Au contraire, maintenant elles étaient les premières à affirmer que notre pays était très riche en or noir. Seulement elles convoitaient pour elles seules l'exploitation des puits, elles voulaient nous voler notre richesse. (...) Et finalement, nouvelle victoire du peuple avec l'adoption de la loi du monopole d'État et la création de PETROBRAS. Ce feu qui scintille dans la nuit de Bahia vient de Mataripe, des installations de la PETROBRAS, du pétrole bahianais. La nouvelle étoile qui illumine les ténèbres a été placée là par la main du peuple>>. (Amado, 1989, 343 ; traduction de l'édition brésilienne de 1978).’

Nous avons bien à l'esprit qu'un texte littéraire n'est pas nécessairement une expression des représentations sociales d'une époque et d'une population. Mais, s'agissant d'un auteur si populaire et admiré à Bahia, comme l'est Jorge Amado, on peut supposer néanmoins que ses idées ont eu un certain retentissement auprès du public bahianais.

Mais, par la suite, l’épuisement des réserves pétrolières dans l’État fera décroître l’importance de Bahia dans la production de pétrole brésilienne, surtout à partir des années 80.

C’est aussi le moment où les discours de défense des ‘‘intérêts bahianais’’ par les groupes dirigeants régionaux se déplaceront vers l’industrie pétrochimique qui commençait à s’installer à Bahia.

Dès lors, la symbolique du pétrole à Bahia allait perdre beaucoup de sa signification. Commence la période du désenchantement de l'industrie pétrolière à Bahia, qui devenait une industrie comme les autres, excepté au regard de son passé.

Notes
85.

Discours du Président de l'Association Commerciale de Bahia en 1946, cité in Guimaraes (1982, 84). Notons qu'à cette époque la production de pétrole de la région ne dépassait pas 217 bpj (barils pour jour), ce qui correspondait à peine à 0,7 % de la consommation brésilienne. L'image de l'or noir affleurant partout à Bahia reflétait, donc, beaucoup plus un programme d'action (intensification des activités pétrolières) qu'une réelle représentation de cette industrie.