7.2. Le syndicalisme au Brésil

Il est peu de thèmes qui suscitent plus de polémiques au Brésil que le syndicalisme. C'est-à-dire, d'une part les syndicats et les rapports entretenus par ceux-ci avec l'Etat, par le biais de la législation syndicale ; et d'autre part, les liens entre les syndicats et les partis politiques. La politisation des syndicats brésiliens et la permanence de la législation syndicale depuis les années 30 ont toujours interpellé les chercheurs brésiliens 109 intéressés par le sujet.

Cet intérêt vaut surtout pour ce qui concerne les effets de la législation mise en place par Vargas sur l'évolution du syndicalisme dans le pays. En effet, ces règles juridiques, rédigées à la fin des années 30, avaient pour but affiché de contrôler le mouvement syndical alors existant. Depuis, il est devenu un lieu commun, que ce soit parmi les chercheurs ou parmi les syndicalistes critiques des lois syndicales varguistes, de ramener les faiblesses de l'organisation syndicale et l'absence de négociations libres entre patrons et travailleurs à cette législation, en général caractérisée par un semi-corporatisme 110 .

Il n'est pas dans nos objectifs ici de nous opposer à ces interprétations car, de façon semblable, nous pensons que les limitations législatives imposées à l'action syndicale ont été un puissant instrument de contrôle étatique sur les pratiques des syndicalistes. De même, nous pensons aussi que cette législation fut un moyen d'endoctriner les acteurs syndicaux en imposant une conception du syndicalisme où l'autonomie des travailleurs ne constituait pas une valeur d'importance. Cela étant, ces lois n'expliquent pas tout du syndicalisme brésilien ; elles en font partie, une partie importante certes, mais elles ne l'épuisent pas. Ainsi, si la législation syndicale est restée pratiquement inchangée depuis la fin des années 30, il n'en est pas de même des pratiques syndicales que les travailleurs brésiliens ont développées durant cette période.

Cela vient nous rappeler qu'il existe de multiples façons d'interpréter et d'appliquer une règle ou une loi ; en fonction toujours des enjeux, des rapports de force et des stratégies des groupes en conflit dans le champ de validité de la règle ou loi. Une règle est, jusqu'à une certaine mesure, passible d'adaptations et de transgressions de la part des acteurs ou de certaines catégories d'acteurs.

Dans le cas de la législation syndicale au Brésil – une des caractéristiques juridiques les plus stables de la société brésilienne – les adaptations et interprétations de ces lois ont beaucoup varié dans le temps. Il n'empêche que ce thème demeure une des grandes énigmes de l'histoire du pays car, malgré des transformations importantes (économiques, sociales et politiques) survenues au cours de ce siècle, le corpus législatif régissant les rapports entre les entreprises, les syndicats des travailleurs et l'Etat n'a pratiquement pas changé.

Ce qui n'implique pas que le syndicalisme brésilien soit toujours resté le même, indépendamment des conjonctures socio-politiques que le pays a connues. La législation n'a pas empêché que les actions menées pas les agents sociaux dans le champs syndical se soient développées dans des voies différentes. Malgré son caractère contraignant, une règle peut parfois être dépassée ou contournée.

Ainsi, au cours des pages qui suivent nous essaierons de faire la distinction entre ces deux domaines : entre, d'une part, la législation syndicale brésilienne et, d'autre part, les stratégies des syndicalistes vis-à-vis des contraintes prévues dans les textes juridiques ; autrement dit, entre les lois syndicales et les modalités d'application de cette législation au cours des conjonctures successives depuis les années 30.

De cette manière, avant d'aborder directement la question de l'évolution historique du syndicalisme brésilien, il nous semble important d'expliquer en quoi consiste la législation syndicale brésilienne. Il s'agit ici d'un rapide aperçu des caractéristiques les plus importantes de cette législation ; aperçu forcément incomplet et schématique, mais qui pourra donner, nous l'espérons, une vision globale des principales lois et de l'esprit de la législation syndicale brésilienne.

Notes
109.

Parmi le grand nombre d'ouvrages et de textes parus sur le syndicalisme brésilien, voir en particulier : Simão (1966) ; Rodrigues (1979) ; Weffort (1973, 1978a et 1978b) ; Viana (1976) ; Almeida (1975) ; Humphrey (1982) ; Rodrigues (1981) ; Costa (1986), etc.

110.

D'après la définition du corporatisme de Schmitter (1974), reprise ensuite par plusieurs chercheurs brésiliens : Rodrigues (1986), Almeida (1986), etc.