7.2.1. Une législation influencée par le corporatisme

Avec la montée de Vargas au pouvoir en 1930, l'Etat brésilien s'engage dans une nouvelle façon d'envisager les rapports entre les groupes sociaux. En mettant fin au monopole politique dont jouissaient les oligarchies agraires dans la politique brésilienne, le nouveau régime sera plus sensible aux attentes des classes sociales urbaines, principalement celles des entrepreneurs industriels et des ouvriers. Cependant, cette sensibilisation aux questions sociales liées à l'industrialisation ne s'est pas réalisée dans une optique de libéralisme politique ou dans l'idée d'un plus grand équilibre entre les classes sociales pour le partage du pouvoir. Cela se fera plutôt par le gain d'influence, au sein de l'Etat, d'un groupe d'intellectuels et de jeunes Militaires, issus des classes moyennes, partisans d'une nouvelle conception de l'Etat et de son rôle dans la régulation sociale et économique.

Les idéologues du nouveau régime, influencés par les idées corporatistes du fascisme européen de l'époque, vont alors mettre en place toute un législation capable de répondre à cette nouvelle manière de concevoir la société où l'Etat était envisagé comme le garant des solidarités entre les groupes sociaux.

Ainsi, dans un livre de 1939, un des rédacteurs de la législation syndicale brésilienne s'exprimait de la façon suivante:

‘<<Le principe sur lequel l'idée d'un État corporatif est basé est celui de la représentativité de la société par le biais d'organes qui constituent le noyau des groupes économiques et professionnels. D'après cette théorie, doivent partir des syndicats, pour converger vers l'Etat, les expressions multiples des courants qui forment, dans son ensemble, la volonté nationale. Les syndicats peuvent donc être considérés comme d'authentiques forces représentatives de la nation.>> (Extrait du livre "L'Etat Autoritaire" de Azevedo Amaral, cité par Erickson, 1979: 39).’

C'est dans ce contexte politique et idéologique que naît la législation syndicale brésilienne.

Ainsi, l'ensemble des lois qui régissent la vie syndicale au Brésil fut établi lors du premier gouvernement Vargas, entre 1930 et 1945 ; avec l'intention manifeste de la part des législateurs qui furent à l'origine de ces lois, de contrôler le mouvement syndical. En intégrant une partie des demandes des travailleurs dans une législation sociale avancée pour l'époque et en transformant les syndicats en organisations attachées et dépendantes de l'Etat, on prétendait éviter que le pays ne développe les mêmes tensions et conflits sociaux que ceux de l'Europe. Cela par le biais du contrôle étatique des organisations représentatives des travailleurs et des entrepreneurs 111 .

Cette volonté affichée de contrôler le mouvement syndical est évidente au regard des termes utilisés par le Ministre du Travail pour présenter à Vargas la première loi syndicale du gouvernement, en 1931, un an seulement après la prise du pouvoir par le groupe varguiste :

‘<<Intégrer le syndicalisme dans l'Etat et dans les lois de la République doit être, et est, pour votre honneur, Monsieur le Président, une des tâches les plus élevées, les plus nobles et les plus justes de la Révolution Brésilienne. (...) Les syndicats, ou associations de classe, seront le pare-chocs de ces tendances antagonistes. Les salaires minimums, les régimes et les heures de travail seront des sujets de leur compétence immédiate, sous le regard bienveillant de l'Etat. La résolution des conflits sera aussi de leur domaine d'action, avec l'assistance de personnes extérieures aux conflits de classes et faisant appel aux tribunaux supérieurs. De plus, tout ce qui relève de la défense des intérêts d'une classe ou profession trouvera dans le respectif syndicat un porte-parole autorisé et compétent .>> (in : Préalable du Ministre du Travail – Mr. Lindolpho Collor – à la loi syndicale du 15 mars 1931, cité par Costa, 1986 : 76-77).’

Nous noterons là, sans difficultés, l'influence idéologique du corporatisme et du fascisme italien, ce qu'un des intellectuels influents du gouvernement Vargas revendiquera ouvertement :

‘<<Le libéralisme politique et économique conduit au communisme.’ ‘Le corporatisme tue le communisme comme le libéralisme génère le communisme. Le corporatisme interrompt le processus de dégradation capitaliste résultant de l'anarchie libérale prévue par Marx.>> (Francisco Campos, O Estado National, Sua Estrutura, Seu Conteúdo Ideológico, Rio de Janeiro, José Olympio, 1940, pp. 61, cité par Rodrigues, 1979 : 77). ’

De même, il y avait aussi derrière ces lois, le désir de construction d'un État puissant, capable de s'imposer à l'ensemble de la société comme médiateur des rapports sociaux. En ce sens, comme le dira Vargas, les individus et les groupes sociaux n'avaient pas de droits, ils n'avaient que des obligations vis-à-vis de l'Etat et de la collectivité.

‘<<L'Etat Nouveau ne reconnaît pas les droits de l'individu contre la collectivité. Les individus n'ont pas de droits, ils ont des devoirs !’ ‘L'Etat, en contrôlant les conflits d'intérêts, garantit les droits de la collectivité et fait respecter les devoirs des individus vis-à-vis de celle-ci.’ ‘L'Etat ne veut, ne reconnaît pas la lutte de classes. Les lois travaillistes sont des lois de l'harmonie sociale.>> (discours de Vargas pendant l'Etat Nouveau, cités par Humphey, 1982 : 19).’

Nous saisissons bien ici l'intention du gouvernement de situer la législation syndicale comme élément capable d'éviter les conflits directs entre les groupes. Dans cette perspective, l'Etat devait assurer la solidarité sociale en s'interposant comme médiateur incontournable entre les groupes et les classes sociales. Rien de surprenant alors, à ce que la plupart des chercheurs qui se sont penchés sur la question syndicale au Brésil fassent le rapprochement entre la législation brésilienne et les législations syndicales corporatistes d'inspiration fasciste ; d'autant plus que les auteurs de la loi brésilienne faisaient eux-mêmes des références à la "carta del lavoro", loi syndicale de l'Italie fasciste des années 30 112 .

Quoi qu'il en soit, la volonté du gouvernement Vargas de placer le mouvement syndical sous le contrôle de l'État est évidente. Ce fut une première dans l'histoire brésilienne. En effet, jusqu'au début des années 30, l'attitude des gouvernements vis-à-vis du mouvement ouvrier fut de faire appel à la répression policière ; le Président de la République entre 1926 et 1930 sera explicite à ce propos, pour lui la question sociale n'était autre qu'un cas de police, une question relevant plus "de l'ordre public que de l'ordre social" 113 .

Cela commence à changer avec la coalition qui arrive au pouvoir avec Vargas. Pour eux, les syndicats devaient être intégrés à la vie sociale, mais sous les auspices de l'Etat. Dans l'esprit d'un changement limité des rapports sociaux, la mise sous tutelle du mouvement syndical était un moyen à la fois d'institutionnaliser les revendications des travailleurs et d'éloigner de la scène politique les dangers représentés par les tendances syndicales qui se disputaient alors l'hégémonie du mouvement syndical brésilien ; à savoir, les anarchistes, les communistes et les trotskistes.

Parmi les différentes méthodes employées par le gouvernement pour réussir ce pari, il convient de citer la loi du début des années 30, déterminant que seuls les travailleurs adhérant à un syndicat reconnu par les pouvoirs publics auraient droit aux avantages sociaux que le gouvernement commençait à mettre en place, notamment le salaire minimum, les congés annuels rémunérés, les systèmes de santé et de retraite, etc. Cette loi n'eut cours qu'entre 1931 et 1934, mais démontre néanmoins l'intérêt de l'Etat brésilien pour l'adoption des nouveaux syndicats par les travailleurs brésiliens.

De plus cette législation sociale, ainsi que la législation syndicale, étaient très sélectives par rapport à leur public cible : seuls les travailleurs urbains étaient concernés par elles. Cela excluait la grande majorité des travailleurs brésiliens de l'époque, concentrés en majorité à la campagne, dans des activités liées à l'agriculture. Ce qui nous amène à penser que ces lois constituaient un moyen pour éviter que la partie la plus active des classes populaires, les travailleurs industriels, ne soit tentée par les idéologies politiques révolutionnaires.

Ainsi, dans le rapport justificatif de la commission ayant rédigé les lois syndicales mises en place par Vargas en 1939, il sera explicitement dit :

‘<<Au vu des fonctions de grande importance que les associations professionnelles jouent dans l'ordre économique et politique, il n'est pas possible de leur donner le niveau d'autonomie qu'ils avaient dans la Constitution antérieure.(...)’ ‘La commission a jugé nécessaire d'introduire dans le projet de réforme de notre législation syndicale une préoccupation plus grande pour la discipline et la structure, ainsi que pour une obligation plus importante [de la part des syndicats] de collaboration et de prestation de services sociaux.(...)’ ‘Il y a en lui [dans le projet de réforme sur le syndicalisme] la volonté de poursuivre selon l'ancienne tradition, ..., de refus du syndicat révolutionnaire, syndicat instrument des idéologies extrémistes et de la révolution sociale.’ ‘(...)’ ‘... toute la vie des associations professionnelles tournera autour du Ministère du Travail : elles y naîtront, y grandiront, s'y développeront, s'y éteindront.>> (In : Rodrigues, 1979 : 90).’

Dans ce contexte politique, les principaux mécanismes de la législation syndicale brésilienne allaient dans le sens d'une restriction de l'action syndicale aux modalités prévues par la loi. Ainsi, par exemple, seuls les syndicats urbains reconnus par le Ministère du Travail pouvaient représenter les intérêts d'une base professionnelle auprès de la Justice du Travail, spécialement créée pour arbitrer les différends opposant syndicats de travailleurs et entrepreneurs. Il n'était admis qu'un seul syndicat par base professionnelle sur une même base territoriale : en général par commune et, plus rarement, par regroupement de communes ou par État.

De même, il revenait au Ministère du Travail de décider des critères de définition d'un groupe professionnel spécifique. Ainsi, par exemple, les travailleurs de l'industrie du pétrole de Bahia ont dû créer deux syndicats différents car selon les critères du Ministère du Travail les travailleurs des activités d'exploration et production du pétrole n'appartenaient pas à la même base que les travailleurs du raffinage du pétrole. Cela, indépendamment du fait que les travailleurs du raffinage aussi bien que ceux de la production et exploration du pétrole appartenaient à la même entreprise.

De plus, pour avoir la reconnaissance de leurs syndicats, les travailleurs devaient, au préalable, constituer et enregistrer au Ministère du Travail une Association Professionnelle regroupant au moins un tiers des membres d'une profession dans une commune ou dans un État. Cette association devait faire la preuve d'une certaine représentativité parmi les travailleurs et, surtout, devait faire approuver par ses associés un règlement intérieur proche du modèle de règlement rédigé par le Ministère du Travail. C'est seulement après avoir dépassé cette étape qu'une Association pouvait être reconnue comme syndicat, ce qui dépendait toujours de l'évaluation des techniciens du Ministère.

Le fait que seul un syndicat était officiellement reconnu pour représenter un groupe professionnel sur une base territoriale donnée, selon le principe de "l'unicité syndicale", provoquait des situations juridiques ambiguës. Ainsi, dans le cas où plus d'une Association se disputait la reconnaissance syndicale, il revenait à la bureaucratie du Ministère du Travail de trancher quelle association était la plus représentative, selon les critères de la loi syndicale : nombre d'affiliés, patrimoine de l'association, conformité des règlements intérieurs au règlement standard imposé par la loi, etc. Nous voyons bien par là que la reconnaissance d'une association en syndicat n'était pas automatique ; elle était conditionnée au respect de certaines règles par les membres de l'association et à l'évaluation du Ministère du Travail.

Une fois reconnu comme syndicat, celui-ci avait le monopole de la représentation syndicale d'un groupe professionnel (y compris les non-syndiqués), pouvant le représenter dans les négociations avec le patronat ou, le cas échéant, auprès de la Justice du Travail. De même, les syndicats pouvaient imposer des contributions financières à tous les membres du groupe représenté, même aux non-syndiqués. Les entreprises étaient tenues de respecter ces décisions, sauf en cas de refus écrit des travailleurs.

De plus, la même loi prévoyait la garantie de ressources financières des syndicats, par la création d'un impôt syndical. Cet impôt – correspondant à un jour de salaire – touchait tous les travailleurs du pays, syndiqués ou non, une fois par an. Il était une des principales ressources financières de la plupart des syndicats du pays, permettant ainsi la survie de syndicats ayant des taux de syndicalisation non significatifs. Ainsi, outre les cotisations mensuelles, prélevées sur les salaires des travailleurs syndiqués, les syndicats bénéficiaient aussi d'une cotisation imposée à tous les travailleurs urbains du pays.

En contrepartie, il y avait des normes très strictes établissant les modalités d'utilisation par les syndicats de ces ressources. Sous peine de remise en question de leur autorisation de fonctionnement, les syndicats devaient utiliser l'argent des cotisations des syndiqués et de l'impôt syndical pour offrir une série de services à leurs membres. Ainsi, les syndicats étaient obligés de maintenir des écoles, d'offrir des soins médico-odontologiques et un service de conseil juridique, de fonder des coopératives de consommation et de crédit, etc.

Dans cette perspective, les syndicats étaient surtout une organisation auxiliaire de l'Etat, co-responsable du bien-être social. Leur rôle était plutôt d'oeuvrer pour la conciliation entre les intérêts des travailleurs et des entrepreneurs, aidant l'Etat à assurer la solidarité sociale. Par exemple, il était formellement interdit aux syndicats de tenir des discours prêchant la lutte de classe ou d'envisager des actions visant le conflit ouvert, le maintien de fonds de grève, par exemple.

Paradoxalement, les grèves, bien que difficilement envisageables selon les critères de la loi, n'étaient pas formellement interdites 114 (sauf pour les fonctionnaires et pour les activités dites essentielles 115 ). Toutefois, lorsque la Justice du Travail avait rendu son jugement sur une grève ou sur les revendications des travailleurs (déterminant notamment des indices de réajustements, etc.), les syndicats étaient obligés de l'accepter et de mettre fin à l'arrêt de travail et aux mobilisations des travailleurs, sous peine de voir la grève déclarée illégale, laissant ainsi ouvert le chemin à l'intervention du Ministère du Travail dans le syndicat et, sans doute, à la destitution de la direction.

Le rôle joué par la justice du travail était donc essentiel dans cette législation, car elle était censée éviter le déclenchement et la radicalisation des conflits de travail. Ainsi, durant des périodes préalablement établies par la loi 116 les travailleurs pouvaient revendiquer des augmentations salariales et signer des conventions collectives de travail avec les entrepreneurs. En cas de désaccords, l'une des deux parties pouvait demander la médiation de la justice du travail. En attendant la décision des juges, les travailleurs pouvaient organiser des manifestations collectives, mais une fois connu le résultat du jugement, les travailleurs et les entrepreneurs étaient sommés de l'accepter.

Les conventions collectives ainsi signées avaient une validité d'un an, suivant un calendrier préalablement établi par le Ministère du Travail. Durant les négociations, où en cas de non signature des accords, les conventions collectives de l'année précédente étaient prolongées jusqu'à la signature de la nouvelle convention.

Dans ce système, le droit de grève appartenait aux syndicats et non aux travailleurs : il était formellement interdit à tout groupe de travailleurs d'organiser des mouvements collectifs, dès lors qu'ils n'étaient pas représentés par un syndicat. Les syndicats avaient le monopole de la représentation des travailleurs.

Cela n'était pas le cas des syndicats d'entrepreneurs. Lors des négociations, les patrons pouvaient être représentés tantôt par les syndicats officiels, tantôt par des responsables d'un groupe d'entreprises ou, même, par une seule entreprise. Ce qui était une conséquence de la diversité des situations dans l'industrie brésilienne, même à l'intérieur d'une même branche. Dans ce cas, le rôle des syndicats patronaux se limitait à apporter un soutien logistique à leurs associés.

Rien d'étonnant donc à ce que la pratique de la négociation directe entre entrepreneurs et syndicats n'ait jamais été très développée au Brésil ; tradition qui a laissé ses empreintes jusqu'à aujourd'hui, dans la tendance des syndicats à se tourner vers les revendications "politiques", ou dans la faible représentation collective des entrepreneurs brésiliens 117 .

De plus, cette législation ne favorisait pas la présence des syndicats sur les lieux de travail. Ainsi, par exemple, chaque syndicat – indépendamment du nombre de travailleurs représentés – ne pouvait compter plus de 20 responsables (10 responsables titulaires : 7 dits de "l'Exécutif" et 3 du conseil fiscal ; et 10 responsables suppléants) 118 , lesquels jouissaient de la stabilité d'emploi durant leur mandat et jusqu'à un an au-delà de l'échéance.

Sur ces 20 responsables, seuls 2 (le Président et le Trésorier) étaient dispensés de leurs tâches quotidiennes pour se dédier intégralement à l'activité syndicale ; tous les autres devaient mener leur action syndicale parallèlement à leur activité professionnelle. Dans la pratique, comme le nombre de responsables ne correspondait pas à celui des travailleurs d'une profession, leur action face aux problèmes quotidins des travailleurs, sur les lieux de production, ne s'entrouvait pas facilité. Cela signifiait dans la pratique une faible présence syndicale sur les lieux de production. Dans la loi il n'y avait aucune référence aux délégués du personnel, par exemple. Le travail de présence quotidienne sur les lieux de travail était assuré seulement par les responsables syndicaux qui continuaient leurs activités professionnelles. Cela était surtout vrai dans le cas de groupes socioprofessionnels nombreux et dispersés dans de petites et moyennes entreprises (les syndicats des travailleurs du commerce ou des services, par exemple).

Chaque direction syndicale avait un mandat de deux ans (qui passe à trois ans dans les années 70), mais un même individu pouvait participer à plusieurs directions successives, sans limites. Les élections devaient être encadrées par les représentants du Ministère du Travail dans les États, lesquels avaient le pouvoir de reconnaître, ou pas, les résultats électoraux. De même, pour pouvoir participer aux élections syndicales, les travailleurs devaient présenter une attestation d'idéologie (document attestant l'idéologie à laquelle ils adhéraient) aux autorités 119 , ce qui n'était qu'un moyen détourné d'éviter la présence des communistes dans les syndicats brésiliens.

Dans un système si réglé, rien n'était laissé au hasard. Ainsi, au niveau des organisations regroupant plusieurs syndicats (les organisations syndicales de niveau supérieur, dans le jargon brésilien) il y avait des règles très strictes à respecter. Était interdite la création d'organisations syndicales regroupant des syndicats de professions appartenant à des secteurs d'activités différents, les centrales syndicales par exemple. Les seuls regroupements de syndicats autorisés étaient ceux des syndicats d'un même secteur d'activité économique (d'après les critères définis par la loi).

Ainsi, cinq syndicats de travailleurs d'un même secteur d'activité pouvaient demander la création d'une fédération syndicale auprès du Ministère du Travail ; ces fédérations étaient créées au niveau de chaque État (cependant le Ministère pouvait dans certains cas exceptionnels permettre la création d'une fédération au niveau national) et pouvaient représenter un groupe de syndicats dans des négociations collectives et devant la Justice du Travail. De même, le groupement d'un minimum de trois fédérations pouvait demander la création d'une confédération syndicale ; ayant une représentativité nationale, les confédérations pouvaient être autorisées à fonctionner par le seul Président de la République, au contraire des fédérations et des syndicats, qui étaient du ressort du Ministère du Travail.

Bien que les fédérations et confédérations aient bénéficié d'un éventail de représentativité plus élargi que les syndicats, elles n'avaient qu'un rôle bureaucratique dans les relations professionnelles. Leur survie financière n'était assurée que par une partie des ressources issues de l'impôt syndical. De même, que ce soit dans le cadre des négociations collectives ou dans celui des rapports avec la base de travailleurs, ce sont les syndicats qui jouaient le rôle actif : fédérations et confédérations étaient pratiquement absentes de ces domaines. Elles n'avaient un pouvoir que dans les désignations des représentants des travailleurs aux tribunaux de la Justice du Travail, les juges représentant les classes (dit "juges classistes ").

Cette législation réglait non seulement les modalités d'organisation des travailleurs, mais aussi les conflits. Ceux-ci étaient considérés comme un dysfonctionnement du système et dans tous les cas de figure il revenait à la Justice du Travail – spécialement créée pour résoudre les conflits dans les négociations entre patrons et travailleurs – de décider des mesures pratiques à adopter. Afin de leur conférer un caractère d'impartialité, les tribunaux de la Justice du Travail étaient composés de trois sortes de juges : les juges de carrière, les juges désignés par les travailleurs et ceux désignés par les entrepreneurs ; ces deux dernières catégories de juges étaient appelées juges classistes et étaient choisies à partir d'une liste que les organisations légales des travailleurs (les confédérations et fédérations en général) et les entrepreneurs proposaient au Ministère du Travail. Il y avait plusieurs instances de ces tribunaux, depuis les instances dans chaque État de la fédération jusqu'à l'instance fédérale, représentée par le Tribunal Supérieur du Travail (TST). Le TST était l'instance chargée de juger les actions déjà jugées dans les instances régionales, mais dont une des parties en conflit n'avait pas accepté le résultat.

Le rôle de la Justice du travail était de régler les conflits entre syndicats et patronat ou entre travailleurs individuels et patrons. En effet, dans ce système, il était possible aussi bien aux travailleurs individuels qu'aux syndicats de faire appel à la justice du travail contre le non respect, par les patrons, de clauses du contrat de travail (pour les cas individuels) ou de la convention collective (dans les cas des syndicats). Le traitement juridique de ces conflits était à la charge d'une commission composée par un juge de carrière – qui avait aussi la direction des travaux – et deux juges classistes, un représentant les travailleurs et un autre les entrepreneurs. Après une première confrontation entre les deux parties en conflit, quand les juges essayaient un accord pacifique, d'autres audiences étaient prévues, où chacune des parties devait présenter les preuves de son plaidoyer. Toutefois, les délais entre les audiences pouvaient aller à des mois, voire des années, surtout dans les cas de conflit individuel, poussant ainsi les travailleurs à accepter des accords moins avantageux que ce à quoi ils avaient droit et, par contrecoup, n'incitant pas les entreprises à respecter certains droits des travailleurs (le payement d'heures supplémentaires, etc.).

De plus, il fallait faire appel à des avocats dans ces procès, obligeant la plupart des syndicats à avoir des juristes dans le personnel. Ces avocats des syndicats étaient chargés aussi bien d'accompagner les travailleurs dans leurs plaintes individuelles que de prendre en charge les négociations collectives.

En ce qui concerne les négociations collectives, elles n'avaient lieu qu'une fois par an, selon un calendrier établi par l'Etat, pour régler des situations de réajustements salariaux et d'autres revendications des travailleurs. Dans un premier temps des représentants des travailleurs et du patronat de chaque secteur d'activité sur une base territoriale se réunissaient afin de déterminer les termes d'un accord. Cette négociation initiale se faisait hors du cadre de contrôle, mais seuls les syndicats reconnus par l'Etat avaient le droit de représenter les travailleurs (y compris lse non-syndiqués) . Cependant, en cas de désaccord, une des parties pouvait faire appel à la Justice du Travail en demandant la médiation des juges ; il revenait alors aux représentants de la justice de définir les termes de l'accord que travailleurs et entrepreneurs étaient sommés d'accepter.

Dans le cas où, pendant ce processus, les travailleurs avaient déclenché une grève ou d'autres formes de protestation, ils étaient obligés de les arrêter après la décision judiciaire, sous peine de déclaration d'illégalité de la grève et de déclaration d'intervention dans les syndicats. Théoriquement, le seul recours possible contre une décision d'un Tribunal de la Justice du Travail était de faire appel de cette décision auprès d'une instance supérieure de cette même justice.

On voit par là combien les activités syndicales étaient contrôlées dans ce système. Théoriquement, le non respect de ces lois par les syndicalistes pouvait amener les autorités du Ministère du Travail à intervenir dans les syndicats, ce qui signifiait la destitution des directions syndicales et la nomination de représentants de l'Etat à la tête des syndicats. Ces représentants, dits "interventores", avaient pleins pouvoirs pour représenter les travailleurs, y compris signer des accords avec le patronat ; toutefois dans un délai de six mois à partir de la destitution de la direction du syndicat, de nouvelles élections devaient être organisées.

Sur un plan strictement légal, les syndicats jouissaient de peu d'autonomie et de liberté d'action. Cela, d'autant plus qu'ils n'avaient pas été intégrés à la gestion du système de protection sociale. Cela, excepté durant la période allant de 1960 à 1964, quand des représentants syndicaux eurent le droit de siéger à la direction de l'Institut National de Protection Sociale (INPS). D'après Erickson, c'est justement la mise à disposition, par ce biais, de ressources économiques et politiques aux syndicalistes, qui peut expliquer la relative autonomie des syndicats à cette époque.

Quoi qu'il en soit, la brièveté de cette expérience et le manque de participation des syndicalistes à la gestion des institutions de protection sociale, démontrent le caractère essentiellement de contrôle de la loi syndicale brésilienne.

Notes
111.

Une des caractéristiques de la législation syndicale brésilienne est qu'elle prévoyait un parallélisme entre les associations représentatives des ouvriers et des patrons. Ici, il ne sera question d'étudier que les aspects de la loi relatifs aux syndicats des travailleurs, ce qui se justifie par le peu d'importance que les syndicats officiels patronaux ont eu dans l'histoire du pays, en comparaison avec les syndicats des salariés.

112.

La référence au caractère corporatiste de la législation syndicale au Brésil est devenue un lieu commun de la littérature spécialisée ; pour la plupart des auteurs ayant abordé ce sujet, le corporatisme est ce qui caractériserait le syndicalisme dans le pays.

113.

in Rodrigues, 1979 : 68.

114.

Elles n'étaient permises que dans les cas où les syndicats avaient épuisé tous les moyens de négociation, y compris l'arbitrage de la Justice du Travail. Autrement dit, les grèves n'étaient tolérées qu'entre l'échec des négociations, avec la médiation étatique, et la décision du Tribunal du Travail sur les revendications des syndicats.

115.

Notamment les services liés à la santé, aux transports et aux secteurs de production d'énergie, y compris l'activité pétrolière.

116.

Dit les "datas base".

117.

Sur la politisation des syndicats voir notamment Weffort (1973 ; 1978a et 1978b). Par rapport au manque de représentation sociale des entrepreneurs voir Cardoso (1964) et Schneider (1995).

118.

Dans les années 70 ce nombre sera augmenté à 24 responsables syndicaux.

119.

Cette attestation reste valable jusqu'en 1951, lorsque Vargas, lors de son deuxième gouvernement, l'abolit. Cependant, elle sera à nouveau rétablie après le coup d'Etat de 1964.