7.3.1. Le syndicalisme sous le premier gouvernement Vargas (1930-1945)

Quoi qu'il en soit, au cours des années 30, le modèle syndical varguiste devient un lieu de passage obligatoire pour tous les courants politiques voulant peser sur les relations professionnelles au Brésil. Et cela ne fut pas obtenu par la seule répression envers les syndicalistes les plus critiques à l'égard des politiques gouvernementales, mais aussi parce que la législation présentait certains points attrayants du point de vue des travailleurs.

Ainsi, dans un premier temps, l'enjeu majeur pour l'Etat fut d'obliger les syndicats existants à s'intégrer aux nouvelles dispositions légales. Pour ce faire, le gouvernement mit en place un ensemble de mesures incitatives, parmi lesquelles les plus importantes furent les dispositions prévoyant que seuls les syndicats reconnus pouvaient officiellement représenter les travailleurs à l'Assemblée Constituante de 1934 et, de plus, que seuls ces syndicats pouvaient présenter des réclamations contre les patrons qui ne respectaient pas les nouvelles lois de protection des travailleurs urbains (journée de 8 heures - 48 heures hebdomadaires -, congés payés annuels, système de retraites, etc.). Ce qui expliquerait, selon Costa (1986), le fait qu'à partir de 1931 le nombre de syndicats ayant demandé la reconnaissance du Ministère du Travail ait sensiblement augmenté.

Nombre de syndicats de travailleurs reconnus par le ministère du Travail (1931-1936)
ANNÉE Nombre DE SYNDICATS RECONNUS dans l'année TOTAL CUMULé DES SYNDICATS RECONNUS
1931 32 32
1932 83 115
1933 141 256
1934 111 367
1935 73 440
1936 242 682
Source : Costa, 1986 : 23 et Rodrigues, 1979 : 124.

Le tableau ci-dessus nous montre combien les incitations étatiques étaient attractives pour certains courants syndicaux ; dès lors, nous comprenons pourquoi les syndicalistes liés aux anarchistes (jusqu'alors dominants) perdirent rapidement l'influence qu'ils avaient au sein du syndicalisme brésilien. C'est que, au contraire des communistes et des trotskistes – les autres tendances syndicales ayant une présence importante dans l'univers syndical brésilien –, les anarchistes ont toujours refusé de s'intégrer au système syndical mis en place par Vargas et son équipe. Cela aurait miné la légitimité des anarchistes par la base, car la possibilité des travailleurs de demander à leurs employeurs le respect des nouvelles lois travaillistes, poussa maints syndicalistes ou militants syndicaux à se faire reconnaître par les services de l'Etat. Or, une telle position était incompatible avec l'idéologie de l'anarcho-syndicalisme, pour qui la moindre dépendance vis-à-vis de l'Etat était vue comme une soumission à l'ordre bourgeois (sur ce point, voir le travail de Costa, 1986).

Ainsi, les années 30 marquent non seulement la naissance de la législation syndicale brésilienne, mais également une période de consolidation de cette législation. C'est aussi la période où la législation sur les relations professionnelles devient sans conteste acceptée par la plupart des tendances syndicales brésiliennes, y compris les tendances de gauche.

Ce processus d'édification de la législation syndicale comme point indépassable des rapports entre les syndicats des travailleurs, les patrons et l'Etat sera renforcé avec l'instauration de la dictature de l'Etat Nouveau en 1937. Alléguant une conspiration des communistes brésiliens, Vargas, avec le soutien des Forces Armées, instaure un coup d'Etat, se donnant des pouvoirs amplifiés.

Cela lui donnera la possibilité d'éloigner de la scène politique les opposants au régime (y compris les syndicalistes de gauche), et d'entériner les nouvelles règles régissant les rapports entre le capital et le travail dans le pays. Ainsi, la législation syndicale et certains droits des travailleurs (la journée de travail de 8h et de 48h par semaine – instaurée dès 1932 –, la retraite après 30 ans d'activité professionnelle pour les femmes et après 35 ans pour les hommes, la sécurité sociale, les congés payés annuels, etc.) seront réunis dans un code juridique spécial (la Consolidation des Lois Travaillistes : CLT) sans aucune consultation ou participation, ni des travailleurs et de leurs syndicats, ni des patrons ou de leurs associations.

Ces lois seront mises en avant par la propagande du régime varguiste comme un don du Président aux plus démunis de la société, d'où la représentation de Vargas dans la propagande officielle comme "père des pauvres". C'est le début de la politique populiste de Vargas, par le biais de laquelle il essaiera de s'attirer la sympathie du prolétariat urbain en rapide expansion et, ainsi, de trouver de nouvelles sources de légitimation de son pouvoir.

Cela était d'autant plus tentant que le poids des travailleurs de l'industrie dans la société brésilienne commençait à augmenter très rapidement : le nombre de travailleurs occupés dans le secteur secondaire au Brésil passe de 313.156 en 1920, à 815.041 en 1940, puis à 1.309.614 en 1950 et à 1.796.837 en 1960.

Parallèlement, le nombre de syndicats officiellement reconnus se développe : dans l'ensemble du pays ce nombre s'élevait à 873 en 1945 et à 939 en 1946 ; représentant, respectivement 474.943 et 797.691 travailleurs urbains syndiqués, dont près de la moitié étaient concentrés dans les seuls Etats de São Paulo et Rio de Janeiro 122 .

Toutefois, malgré ce poids numérique important, le mouvement syndical restait sous le strict contrôle du Ministère du Travail et sans aucun pouvoir d'influence sur les décisions gouvernementales.

Notes
122.

Selon les données avancées par Rodrigues (1979 : 129).