8.1. Sur le passé

De ce fait, il sera beaucoup question ici d'histoire et de mythe ; des faits tels qu'on peut les reconstituer avec plus ou moins de certitude, et des interprétations de ces faits. Étant donné que nous posons pour hypothèse que la valorisation d'un certain passé a joué un rôle important dans la vie sociale des ouvriers du pétrole à Bahia, nous nous sentons contraint de faire un double travail : d'une part, celui de quelqu'un qui s'efforce de trouver des indices qui puissent l'aider à établir avec une certaine fiabilité une chronologie, un travail d'historien en quelque sorte. D'autre part, le travail de quelqu'un qui cherche à connaître les représentations que les gens se font de leur passé ; quelqu'un que l'on pourrait rapprocher d'un mythologue. Y aura-t-il des frontières précises entre ces deux domaines ? Pourrons-nous faire clairement la part des choses entre ce qui relève de l'un et de l'autre ? Ce sont des réponses auxquelles nous-même nous ne pourrons pas, peut-être, répondre ; du moins avant la fin de l'écriture de cette thèse.

Mais d'ores et déjà nous souhaitons préciser que nous comptons traiter cette question en considérant la seconde moitié des années 80 comme étant la période de référence . En effet, notre souci, tout au long de cette étude, exige de considérer la façon dont les ouvriers du pétrole de Bahia ont pu interpréter leur passé. Il s'agit en somme, de savoir si et comment le poids du passé a joué un rôle sur leurs pratiques syndicales des années 80.

De façon pratique, cela veut dire que même lorsque nous essaierons d'établir une reconstitution fiable des faits, il s'agira de la confronter à la manière dont les ouvriers du pétrole l'interpréteront ultérieurement.

Ainsi, le recours au passé se fera un peu à la manière d'un écrivain de romans policiers. C'est pour comprendre le présent (le passé proche plutôt) que nous ferons appel aux temps révolus. Nous agirons comme un détective qui rassemble les données et les faits apparemment les plus disparates, provenant d'époques et de contextes divers, pour reconstruire un "crime parfait". Comme ce détective qui cherche dans le passé les clés du présent, nous nous promènerons en flash-back, d'une époque à l'autre, d'un temps à l'autre (parfois, même, aux dépens de la chronologie), en vue d'une compréhension plus fine des événements ; dans notre cas, des événements syndicaux des ouvriers du pétrole dans la deuxième moitié des années 80.

Une des raisons qui explique ce choix, est le fait qu'une partie de notre vécu personnel de terrain (d'abord comme acteur engagé puis comme chercheur) recouvre seulement cette période ; de ce fait nous pensons avoir plus de choses à dire sur cette période que sur des périodes plus éloignées. Il ne faut pas oublier non plus les difficultés auxquelles nous avons été confronté pour trouver des sources écrites 'fiables' sur le passé syndical des 'petroleiros' de Bahia ; difficultés qui s'interposent sur le chemin de tous ceux qui s'attellent à la difficile tâche de rétablir l'histoire de la classe ouvrière au Brésil.

Quoi qu'il en soit, nous aborderons l'histoire des travailleurs du pétrole à partir de la perspective des événements des années 80 184 ; ainsi, les faits et les périodes que nous ferons ressortir dans l'étude du passé, seront ceux qui nous paraîtront importants pour la compréhension de la période qui demeure au centre de notre réflexion.

Très concrètement, nous souhaitons étudier l'histoire du syndicalisme des ouvriers du pétrole de Bahia en identifiant, dans le passé, les événements qui ont marqué le plus les représentations de ces ouvriers ; nous souhaitons aussi, à partir de l'interprétation que nous ferons de ces événements, identifier des traits qui pourraient définir des périodes de l'histoire du groupe social étudié.

Ces deux 'procédés' sont, jusqu'à un certain niveau, complémentaires, car la mise en lumière de quelques événements jugés importants n'a de sens que par rapport à la compréhension de changements observables dans des situations concrètes ; des événements isolés sont donc des indices de changements plus profonds et moins visibles. C'est cela qui justifie le choix qui est le nôtre de suivre, sur le plan de l'exposition, la chronologie historique ; cela, autant qu'il nous soit possible de le faire.

De même, nous resterons très proche à la fois de 'l'authenticité' historique des événements ( authenticité évaluée par l'existence de sources fiables), et des façons dont les acteurs se les représentent ; car récit historique et représentation que s'en font les agents sont, dans le cadre théorique de cette thèse, complémentaires dans le processus de compréhension de la réalité sociale.

Notes
184.

Toute histoire se place nécessairement dans une certaine perspective temporelle ; on rétablit le passé pour comprendre une période subséquente, ce qui explique le choix de l'étude de certains événements plutôt que d'autres.