8.2. Des événements marquants

Cette façon de procéder laisse voir le côté artificiel du découpage historique, côté artificiel que nous assumons entièrement. Nous ne prétendons pas démontrer que le découpage que nous avons réalisé est le seul possible ou, même, le plus pertinent. Cela étant, nous ne prétendons pas qu’il obéit à une certaine logique ; il répond à certaines priorités, elles aussi, tout à fait arbitraires. C’est là tout le problème des critères qui doivent régir la construction des chronologies. D'ores et déjà, nous voulons affirmer que notre souci majeur a été de prendre en compte ce que, faute de mieux, nous pouvons appeler les ‘‘événements marquants’’, c’est-à-dire, les événements que les agents eux-mêmes considèrent comme les plus importants de leur passé.

Mais pourquoi doit-on donner la priorité aux grands événements ou aux ‘‘faits marquants’’, dans l’étude du passé ? D’abord pour une question de faisabilité : il est humainement impossible d’étudier tous les faits qui ont trait au passé, tous les faits qui se sont passés à une certaine époque. Mais aussi, parce qu'à travers eux nous accédons à certains enjeux qui se posent dans le présent. A partir de la vision que les agents se font de leur passé, nous pouvons accéder à certains traits de leur présent.

Dès lors, la question se pose de savoir comment choisir les événements marquants du passé, comment faire la distinction entre les ‘grands’ et les ‘petits’ événements. Il n’existe pas de formule magique, exempte de défaillance théorique. La formule que nous avons choisie met l’accent sur l'évaluation que les acteurs, ou que certains acteurs plutôt, font des événements. C’est un choix arbitraire, nous le concédons volontiers, mais après tout, dans ce domaine, tous les choix sont arbitraires.

De cette manière, un fait sera pour nous important, dans la mesure où les acteurs lui accordent, ou lui ont accordé, une importance symbolique dans leurs discours.

L’intérêt majeur de cette démarche est double : elle nous permet de voir comment le passé est interprété par les gens (et, dans la mesure où il existe des sources écrites fiables on peut faire une histoire des interprétations du passé), en même temps qu’elle nous aide à bien comprendre les enjeux qui animent le présent des acteurs. L’importance accordée à tel ou tel événement est un bon indice des positions actuelles des acteurs. En d'autres termes, les événements "marquants" sont tels dans la mesure où les acteurs les considèrent ainsi à un certain moment.

Il en découle que les événements marquants peuvent changer avec le temps, car un même acteur pourra, à des époques diverses, porter des jugements différents sur un même événement. Ici nous donnerons la priorité aux interprétations que les acteurs principaux des luttes syndicales ont portées sur leur passé vers la fin des années 80 et au début des années 90, car ce fut à cette époque que nous avons réalisé le gros de notre travail de terrain et que nous avons connu la situation des "petroleiros".