9.1. La création de PETROBRAS : une incitation à l'engagement

L'histoire du mouvement syndical dans l'industrie pétrolière brésilienne commence avec la création de la compagnie PETROBRAS en 1953 . Avant cette date, les tentatives d'organisation de mouvements collectifs au sein des travailleurs du pétrole sont restées informelles et souterraines 198 .

Une des raisons de cette relative lenteur dans la création d'organismes représentatifs vient du fait que jusqu'en 1953 les travailleurs étaient attachés au CNP (Conseil National du Pétrole). Or, ce conseil étant non pas une entreprise mais un organe de l'État ayant la responsabilité de la politique pétrolière, ses employés avaient le statut de fonctionnaires ; il faut se rappeler que, à cette époque, les fonctionnaires avaient légalement l'interdiction de créer des organisations syndicales ou associatives. Ce n'est qu'avec la création de PETROBRAS que cette situation va changer : du fait que cette entreprise est née avec le statut d'une entreprise à capital ouvert – où, en principe, la seule spécificité était que l'État détenait au moins 51 % des actions –, ses employés n'étaient pas sujets aux mêmes interdictions que celles touchant les fonctionnaires, y compris celle de la syndicalisation.

Une autre raison pour expliquer la faible volonté organisationnelle des "petroleiros" avant la création de PETROBRAS peut avoir été la faiblesse des activités pétrolières à Bahia avant les années 50. En effet, bien que la constitution du CNP en 1938 et la découverte de pétrole dans l'État de Bahia en 1939 aient eu comme conséquence immédiate la concentration des activités d'exploration et de production du pétrole dans cet État, la quantité de ressources financières qui y était allouée n'a permis ni l'expansion rapide de la production de "brut", ni l'augmentation du nombre d'ouvriers avant 1953. Selon Smith(1978), pour toutes ses dépenses, le CNP ne disposait que de US$ 250.000 pour l'année 1939, de US$ 1.500.000 par an entre 1940 et 1943 et de US$ 2.500.000 par an entre 1944 et 1945. La production de pétrole, elle, ne dépassait pas 217 baril/jour 199 en 1945, correspondant à 0,7 % de la consommation brésilienne de l'époque, Smith(1978 ; 60,62 et 64).Le nombre de fonctionnaires du CNP à Bahia atteignait à peine 342 en 1945 200 .

De plus, l'isolement des activités de prospection et de production du pétrole, où de petits groupes d'ouvriers restent éloignés des centres urbains pendant des semaines 201 , allié à l'autoritarisme qui dominait la vie politique et sociale brésilienne – dont les syndicats constituaient des cibles constantes – n'ont pas aidé au développement des idées associatives parmi les ouvriers du pétrole.

La situation commence à changer vers la fin des années 40. Dès 1946, la volonté de résoudre définitivement la question pétrolière l'y obligeant, le gouvernement décide d'implanter une raffinerie de pétrole dans la région productrice, aux alentours de Salvador. En même temps, la production et, plus encore, les réserves, ne cessaient de s'accroître, donnant aux dirigeants du CNP des arguments pour augmenter les effectifs et les ressources employées. Par ailleurs, le débat politique sur le pétrole commençait à avoir une amplitude importante dans l'ensemble de la société.

Quoi qu'il en soit, c'est seulement à partir de 1950 qu'on peut vraiment parler d'une véritable industrie pétrolière à Bahia. Plus que la production – malgré les taux de croissance spectaculaires, celle-ci restait encore négligeable 202 –, c'est le démarrage des activités de la Raffinerie de Mataripe (RLAM) cette année-là, allié à l'augmentation des activités d'exploration, qui donne du poids, à la fois économique et démographique, à ce secteur productif.

Notes
198.

Dans tous les entretiens que nous avons faits, ou auxquels nous avons eus accès, avec les acteurs engagés dans la création du syndicat des ouvriers du pétrole de Bahia, les références concernant les premiers actes de création des organismes de représentation se placent après la création de PETROBRAS. Cependant, Oliveira Jr.(1996) cite un article paru le 12/01/46 dans un journal de Salvador (Diàrio de Notìcias) où l'on apprend l'existence d'une commission de 12 travailleurs constituée depuis novembre 1945 pour revendiquer des améliorations sur les conditions de travail. Selon le même article, tous les membres de cette commission ont été licenciés par ordre du président du CNP lui-même.

199.

Baril par jour, unité américaine de production de pétrole. Un baril correspond à 159 litres et 1 baril/jour est égal à 49,8 Tonnes/an de pétrole.

200.

Oliveira Jr, 1994 : 90.

201.

Ce qui rendait les contacts entre les militants et les travailleurs plus difficiles.

202.

Selon Smith(1978), la production de pétrole à Bahia, était de 300 barils/jour en 1949, de 930 barils/jour en 1950, de 1.620 barils/jour en 1951 et de 2.000 barils/jour en 1952 (pages. 86, 91 et 104).