9.3.2. Le vieillissement des petroleiros bahianais

De plus, au cours des années 70, le vieillissement des ouvriers de PETROBRAS à Bahia devient visible.

D'après les résultats d'une enquête (SENAI, 1977) sur les branches pétrolière et pétrochimique – réalisée, en 1976, conjointement par PETROBRAS, le Ministère du Travail et le Service National d'Apprentissage Industriel (SENAI) – 69 % des travailleurs du secteur d'exploration et de production du pétrole de la compagnie pétrolière avaient plus de 35 ans 221 . Or, étant donné qu'à cette époque les travailleurs occupés à Bahia représentaient 70 % du total de ce secteur d'activité, nous pouvons prendre cette donnée comme représentative de la classe d'âge des petroleiros bahianais en 1976.

Par ailleurs, on se rappelle que, d'après des données citées par Silva (1972), la majorité des petroleiros 222 en activité en 1971, à Bahia (80 %), étaient rentrés à PETROBRAS avant 1961, notamment au cours des années 50 (71,6 % du total). Cela signifie que non seulement la plupart des travailleurs du pétrole de Bahia avaient, au milieu des années 70, plus de 35 ans, mais qu'en majorité, ils avaient entre 15 et 25 années d'ancienneté.

Ces données sont importantes, car elles nous laissent voir le début de la croissance du nombre de retraités de PETROBRAS à Bahia. D'après la loi brésilienne, les travailleurs exerçant leurs activités par poste ou dans des "activités" considérées comme dangereuses (ce qui représentait un bon nombre d'ouvriers), avaient le droit de prendre leur retraite au bout de 25 ans d'activité, au lieu de 30 ans (pour les femmes) ou de 35 ans (pour les hommes). Ainsi, à partir des années 70, les travailleurs ayant été embauchés à PETROBRAS dans les années 50 vont commencer à prendre leur retraite.

Nous ne disposons pas de données générales mettant en évidence ce processus à Bahia. Toutefois, les informations préservées dans les archives du SINDIPETRO nous permettent d'observer de plus près la croissance du nombre de retraités parmi les travailleurs syndiqués de la raffinerie de MATARIPE. Ces données nous semblent significatives du parcours des petroleiros de Bahia, pour deux raisons ; d'abord, le taux de syndicalisation des petroleiros de Bahia a toujours été très élevé, dès les années 61-64. Même au cours des années 70, lorsque les syndicats sont devenus de simples organes prestataires de services, ces taux sont restés importants 223 . Ainsi, nous pouvons penser que les données préservées dans les syndicats sont représentatifs de l'ensemble des travailleurs du pétrole. De plus, d'après les données réunies par Silva (1972), les périodes de recrutement dans le raffinage et dans l'extraction ont été très similaires, nous laissant à penser que le nombre de retraités a dû augmenter en même temps dans ces deux activités.

Quoiqu'il en soit, la tendance que le tableau ci-dessous nous enseigne est que le nombre de travailleurs de PETROBRAS retraités commence à croître à partir de 1975, pour devenir important dans les années 80.

Retraités parmi les travailleurs syndiqués au sindipetro
PÉRIODE TRAVAILLEURS RETRAITÉS % DU TOTAL DE RETRAITÉS EN 1995 NOMBRE CUMULé DE RETRAITÉS % CUMULé
1960-1969 29 1,5 29 1,5
1970-1974 112 5,9 141 7,4
1975-1979 295 15,5 436 22,9
1980-1984 495 26,0 931 48,9
1985-1989 445 23,4 1.376 72,3
1990-1995 480 25,2 1.856 97,5*
Source : archives du SINDIPETRO
* La somme n'est pas de 100 %, car 49 dossiers (2,5 %) consultés n'avaient pas d'indication sur la période de la retraite.

Ce vieillissement des travailleurs de PETROBRAS amène l'entreprise à envisager des solutions alternatives à ce que prévoyaient ses directives internes. D'après les "Normes du Personnel" de la compagnie – établies en 1964, mais rédigées auparavant par des techniciens proches des syndicalistes populistes – l'entreprise avait l'obligation de compléter les retraites perçues par ses travailleurs, de la Sécurité Sociale brésilienne ; cela, jusqu'au montant du salaire perçu par les travailleurs avant la retraite.

La création, par l'entreprise, d'une Caisse Complémentaire de Retraite, en 1969, viendra pour éviter, selon les justifications avancées par la direction de PETROBRAS, que les retraites ne pèsent trop sur les comptes de la compagnie. Dans les statuts de cette Caisse Complémentaire (nommé PETROS), l'entreprise assurait environ 50 % de la valeur des cotisations, revenant aux travailleurs de payer les 50 % restant. Toutefois, l'entreprise devait aussi avancer le capital initial pour constituer les fonds financiers de la PETROS.

La création de la PETROS s'inscrit dans la logique de remise en question de certains des avantages, conquis par les travailleurs du pétrole à l'époque populiste, qui paraissaient comme des privilèges aux yeux des groupes au pouvoir durant la dictature militaire. Cela, d'autant plus que la grande majorité des travailleurs brésiliens n'avaient pas d'autre recours que de faire appel au système de retraites tenu par l'État. Du reste, à l'époque, d'autres compagnies nationales créeront des Caisses Complémentaires semblables à la PETROS.

A la limite, nous pouvons interpréter ces mesures comme un moyen d'augmenter le pouvoir d'autofinancement des compagnies nationales, lesquelles représentaient une partie essentielle de la logique développementiste mise en place par les gouvernements issus du coup d'État de 1964. Ainsi, avec la création de la PETROS, l'entreprise partageait avec ses fonctionnaires la charge financière du coût des retraites; cela, même si elle ne se désengageait pas complètement, puisqu'elle conservait la responsabilité de la charge la plus lourde.

Cette décision allait provoquer une réaction des syndicalistes, qui voyaient dans la création de la PETROS une remise en cause d'un droit des travailleurs. Pour les syndicalistes, si les petroleiros pouvaient prétendre à ce que, conformément aux normes internes de la compagnie, PETROBRAS complète intégralement leurs retraites, pourquoi allaient-ils accepter de payer pour cela ? Toutefois, au vu des conditions politiques de l'époque, ces syndicalistes ne mèneront pas d'actions explicitement contestataires vis-à-vis de cette mesure. D'après certains témoignages, ils se contenteront de mener une campagne plus ou moins secrète, afin que les travailleurs ne rentrent pas à la PETROS ; selon cette stratégie, une fois venu le moment de la retraite, il suffirait de porter PETROBRAS en Justice du Travail pour qu'elle soit obligée d'honorer ses engagements selon les "Normes du Personnel" établies.

Ce qui s'avérera difficile à réaliser. Dans le flou juridique régnant autour de cette question, les travailleurs n'ayant pas souscrit à la PETROS ne réussiront pas à obtenir de PETROBRAS leurs compléments de retraites. Cela aura comme conséquence, en ce qui concerne notre étude, l'organisation d'une association de retraités, afin de résoudre cette question.

En effet, en mai 1974, la Société des Travailleurs Retraités de PETROBRAS de Bahia (SOTAPE) est créée. Ce qui témoigne de l'augmentation rapide du nombre de travailleurs retraités, à Bahia. Cette Association, créée sous l'influence des syndicalistes, gagnera rapidement un rôle très important dans la vie syndicale des travailleurs du pétrole de Bahia ; car, en organisant les retraités, certains groupes de syndicalistes gagneront un pouvoir d'influence sur les élections syndicales de ces travailleurs. Cela parce que d'après la législation syndicale, en vigueur jusqu'en 1988, les retraités ayant été syndiqués avant leur retraite avaient le droit de continuer à participer de la vie syndicale, même sans être à jour de leurs cotisations.

Cela constituera un des axes majeurs des querelles syndicales au cours des années 80. On y reviendra.

Notes
221.

SENAI, 1976 : 62.

222.

Aussi bien du raffinage que des activités d'extraction du pétrole.

223.

Ainsi, selon des données collectées dans les archives du syndicat, en 1979, avec 2.571 associés, le SINDIPETRO avait un taux de syndicalisation d'environ 80 %.