9.5. Tendances récentes de l'industrie pétrolière à Bahia

Avant de vérifier les répercussions de ces tendances sur l'action syndicale des travailleurs du pétrole, il nous faut observer quelques bouleversements en cours, à PETROBRAS.

L'industrie pétrolière brésilienne fut créée dans l'idée que le pays pouvait devenir un grand producteur de pétrole. Dès lors, au cours des années 50 et 60, la principale priorité de la politique d'investissements de PETROBRAS était de trouver du pétrole au Brésil et de faire la preuve une fois pour toutes du potentiel pétrolier du pays. C'est l'époque où le gros des investissements de PETROBRAS est orienté vers les activités d'exploration et de production du pétrole, avec des retombées importantes pour l'État de Bahia, nous l'avons vu.

Toutefois, faute de découvertes de gisements importants, PETROBRAS va, dans un premier temps – au début des années 70 – donner priorité à la construction d'un parc raffineur capable d'assurer l'autonomie du pays en dérivés du pétrole. Cela étant, les chocs pétroliers des années 70 vont pousser l'entreprise à entreprendre des recherches de pétrole sur les plates-formes sous-marine et à accélérer la production des gisements découverts, à la fin des années 70, sur la côte de l'État de Rio de Janeiro. Dès lors, ce sera le secteur d'exploration et de production de brut qui redeviendra la priorité des investissements de PETROBRAS.

Investissements de PETROBRAS
ANNéE INVESTISSEMENTS PAR SECTEUR D'ACTIVITÉ ( %)
  exploration et production raffinage Autres
1957 71 19 10
1961 37 32 32
1965 48 20 32
1970 40 28 32
1971 24 43 33
1975 29 37 34
1980 70 10 20
1985 83 3 14
1990 70 10 20
1993 72 11 17
Source : PETROBRAS, PRINCIPAIS INDICADORES, 1994 : 50.

En ce qui nous concerne, ce point est important parce qu'il met en évidence la perte d'importance de Bahia dans les investissements de PETROBRAS à partir des années 70, car les investissements dans le raffinage et dans la production du pétrole en mer se feront en dehors de l'État de Bahia.

Mais ceci ne signifiera pas pour autant un retrait complet de PETROBRAS de Bahia. La montée des prix du pétrole, dans les années 70 et au début des années 80, incitera l'entreprise à maintenir la production des anciens gisements de Bahia, stabilisant le niveau des activités pétrolières dans cet État.

Ce ne sera plus le cas à partir de la deuxième moitié des années 80. La crise de financement de l'État brésilien, alliée à la chute des prix du pétrole en 1986, va provoquer une réduction des investissements globaux de PETROBRAS.

Investissements globaux de petrobras (1980-1993)
ANNÉE INVESTISSEMENTS (en millions de $US) INDICE
1981 2.980 100
1982 4.296 144
1983 3.123 105
1984 1.985 67
1985 1.846 62
1986 2.241 75
1987 2.743 92
1988 2.262 76
1989 1.942 65
1990 1.861 62
1991 1.981 66
1992 2.350 79
1993 2.164 73
Source : PETROBRAS, PRINCIPAIS INDICADORES, 1994 : 50.

En raison de cette diminution des investissements, l'entreprise réalisera un grand effort de recentrage de ses activités et de modernisation productive, visant à élargir sa rentabilité. Cela, d'autant plus que l'entreprise présente des résultats négatifs en 1991, avec un taux de retour sur investissement qui devient négatif (-2,42 %) 228 .

Comme conséquence de ce processus, le nombre de travailleurs de l'entreprise pétrolière commence à baisser dès la fin des années 80. Du fait que dans la même période la production pétrolière augmentera, nous pouvons supposer qu'il y a eu une augmentation de la productivité du travail dans l'entreprise.

Production pétrolière et nombre d'employés à petrobras (1980-1993)
ANNÉE PRODUCTION DE PÉTROLE (en mil m3) NOMBRE d'employés
1980 10.562 48.226
1981 12.384 48.864
1982 15.079 50.132
1983 19.141 50.320
1984 26.874 51.777
1985 31.752 54.398
1986 33.244 56.605
1987 32.873 59.877
1988 32.284 59.210
1989 34.591 60.028
1990 36.634 55.569
1991 36.188 53.857
1992 36.411 51.638
1993 37.048 51.228
Source : PETROBRAS PRINCIPAIS INDICADORES, 1994 : 37 et 52.

Dans ce contexte, il n'est pas surprenant que les demandes des syndicats, au cours des années 90, aient été centrées autour de revendications pour la stabilité de l'emploi à PETROBRAS.

Cela étant, exception faite de l'année 1990, cette diminution du personnel de l'entreprise du pétrole s'est organisée principalement par la voie d'accords de préretraite, par les départs en retraite et par des incitations à la démission. Une politique massive de licenciements ne fut envisagée par l'entreprise qu'en 1990, durant la première année du gouvernement Collor, quand plus de 800 travailleurs furent licenciés en une seule fois. La plupart de ces travailleurs réintégreront la compagnie, car, à l'époque, la convention collective en vigueur interdisait formellement les licenciements non motivés.

Causes de départs des travailleurs de petrobras (1984-1993)
motifs DE DÉPART TRAVAILLEURS CONCERNÉS % DU TOTAL DE DÉPARTS
DÉMISSION 3.000 13,3
LICENCIEMENT DANS L'intérêt DE L'entreprise 1.296 5,8
LICENCIEMENT POUR FAUTE GRAVE 278 1,2
accords spéciaux (PRÉRETRAITES, DÉMISSIONS NÉGOCIÉES, etc.) 15.064 66,8
retraites 1.269 5,6
décès 1.052 4,7
Licenciement pour motif économique 584 2,6
TOTAL 22.543 100
Source : PETROBRAS, INFORMAçÕES GERENCIAIS, 1994 : 24.

A Bahia, ce processus de restructuration de l'industrie pétrolière eut des conséquences importantes. Cela, en raison de la chute de la production pétrolière et de la conséquente diminution du nombre de travailleurs dans l'État. La production de brut, qui durant la décennie 1980, était en moyenne de 80.000 barils/jour 229 , chute à 59.000 barils/jour en 1993, représentant seulement 10 % de la production pétrolière nationale.

En conséquence de la baisse de la production de pétrole, le nombre de travailleurs chute également : à la fin des années 70, ce nombre tournait autour de 12.000 travailleurs (équivalant à 30 % de tous les petroleiros) ; ils n'étaient plus que 10.502 (17,5 % des employés de l'entreprise), en 1987, et que 8.700 (16,9 % des travailleurs), en 1993. Cette réduction du nombre de petroleiros à Bahia, d'après des publications de l'entreprise (PETROBRAS, 1993), s'est opéré par le redéploiement d'une partie des travailleurs sur des zones productrices en expansion et par l'arrivée à l'âge de la retraite d'un nombre important de travailleurs.

Dès lors, les syndicalistes du pétrole de Bahia vont se trouver face à une situation caractérisée par le ralentissement de l'activité pétrolière dans l'État. Cela sera plus important en ce qui concerne le STIEP, syndicat représentant les travailleurs de l'exploration et production du pétrole, secteurs où le personnel occupé chute de façon éclatante.

Travailleurs de petrobras occupés dans l'exploration et production du pétrole à Bahia
ANNÉE nombre de salariés INDICE
1989 6.061 100
1990 5.415 89
1991 4.917 81
1992 4.681 77
In : PETROBRAS, RELATORIO EXPROPER, 1992 : 73.

Toutefois, le syndicat du raffinage de Bahia (SINDIPETRO) ne sera pas à l'abri des effets de cette restructuration de l'industrie pétrolière. Avec l'introduction de nouvelles technologies, et avec le non remplacement des départs en préretraite ou en retraite, la raffinerie de Mataripe commence à voir chuter le nombre de ses employés.

Personnel occupé dans la raffinerie de Mataripe (1989-1994)
ANNÉE Nombre de TRAVAILLEURS INDICE
1989 2.392 100
1990 2.203 92
1991 2.160 90
1992 2.101 88
1993 2.001 84
1994 1.933 81
Source : Archives de la Raffinerie de Mataripe.

Cette diminution du nombre de travailleurs à Bahia fut, en partie, neutralisée par le recours à un grand nombre de travailleurs intérimaires, surtout dans le secteur de la maintenance et, également, dans des fonctions peu spécialisées de la manutention et de l'entretien. Ainsi, d'après des données fournies par l'entreprise, à la raffinerie de Mataripe, il y avait 1.532 travailleurs intérimaires en 1993 (dont 60 % dans le secteur de la maintenance).

C'est dans ce contexte de perte de vitesse de l'industrie pétrolière dans l'État, de réduction des effectifs directement employés par PETROBRAS et d'augmentation du nombre de travailleurs intérimaires, que les syndicalistes liés à la gauche vont développer leur action auprès des petroleiros de Bahia, au cours des années 90.

Malgré une conjoncture instable, cette époque sera marquée par la participation des petroleiros de Bahia à plusieurs grèves nationales de la profession. Mais les conditions particulières de l'industrie pétrolière de Bahia allaient pousser certains syndicalistes de la gauche à adopter des positions moins radicales vis-à-vis des directions régionales de l'entreprise. Ce qui sera, comme nous allons le voir plus tard, une des causes de la division de la gauche syndicale chez les travailleurs du pétrole de Bahia.

Notes
228.

PETROBRAS, 1994 : 132.

229.

Elle avait atteint son point maximal à la fin des années 60, avec des valeurs proches de 150.000 barrils/jour.