11.3.3. Syndicats et Monopole du pétrole

Par rapport à la politique d'investissement de l'entreprise, fait inédit dans les entreprises nationales brésiliennes, les syndicalistes ont gagné un certain pouvoir d'influence sur les décisions techniques de PETROBRAS. Dans un entretien publié dans le livre de Dias et Quaglino (1991 ; l39), un ancien directeur de l'entreprise affirme que les syndicalistes ont gagné tant de pouvoir dans les premières années de la décennie 1960, que même sur des questions techniques ils pouvaient intervenir :

‘<<...les syndicats à un certain moment ont jugé que Pedro de Moura 315 ne respectait pas leurs positions et ont décidé de faire un mouvement pour le destituer. (...) Les gens du syndicat étaient dans une salle. Et ces gens-là, qui n'étaient pas des techniciens, dirigeaient les débats entre Pedro de Moura et les autres techniciens, en défendant un problème essentiellement technique : si l'on devait ou pas perforer des puits dans un endroit du Recôncavo, à Bahia, ou si la décision de localiser un certain puits dans une région avait été bonne ou mauvaise. Il y avait des choses de ce genre que, aujourd'hui, en regardant le passé, on voit que c'était presque des absurdités>>. 316

Ceci est un sujet de polémique car, même parmi les syndicalistes il n'y a pas consensus sur cette question. Certains nient avoir eu de l'influence sur des questions techniques ; ils affirment, au contraire, que leurs seuls intérêts étaient les relations de travail et la défense de PETROBRAS. D'autres, à l'inverse, affirment que leur pouvoir sur les domaines techniques était indirect, par le biais de techniciens ayant été soutenus par les syndicats dans leurs ascension hiérarchique.

Malgré tout, il paraît fort probable que le pouvoir des dirigeants syndicaux ait largement dépassé les seuls domaines des relations de travail. D'ailleurs, dans un contexte où la question pétrolière était idéologisée et politisée comme elle l'était dans les années 60, la frontière entre une question technique et une question plus générale, comme la défense du Monopole d'État dans le domaine pétrolier, n'était pas simple à établir.

Par exemple, les conclusions du rapport Link sur le potentiel de production de pétrole du pays revêtaient un poids politique et idéologique considérable. Dans la perspective nationaliste, un rapport contredisant le potentiel pétrolier du pays, ne pouvait être que le fruit de l'action de grands groupes pétroliers étrangers et de leurs alliés internes. Ainsi, tout au long des premières années de la décennie 60, un des buts "techniques" poursuivis par les nationalistes fut de démontrer l'inconsistance des conclusions du rapport Link.

De même, tous les débats sur la viabilité financière de l'extension du Monopole du pétrole à des secteurs tels que la pétrochimie, le transport maritime pétrolier, la distribution de dérivés ou sur la nécessité d'expropriation des petites raffineries privées encore existantes dans le pays, ne pouvaient laisser indifférents les travailleurs du pétrole. Dans la presse syndicale de la période, le débat sur les orientations à donner à la politique pétrolière du pays a occupé une place importante. Dans la mesure où les syndicalistes du pétrole avaient réussi à consolider leur pouvoir au sein de la structure technico-administrative de l'entreprise, ces travailleurs se constituaient en véritables médiateurs entre les diverses positions "techniques" existantes.

Ici encore, si une telle présence syndicale dans la vie interne de PETROBRAS a été possible, c'est que dans la vie politique nationale les syndicats devenaient de plus en plus importants pour la survie du gouvernement . En effet, cette dépendance du gouvernement vis-à-vis du mouvement ouvrier a été visible dès la crise de septembre 61, lorsque la mobilisation ouvrière est devenue un élément important pour surmonter les résistances des militaires et des groupes anti-getulistes à l'intronisation du vice-président João Goulart. Pour se constituer une base de soutien politique, une des possibilités données à Goulart a été de se rapprocher des politiciens nationalistes et des représentants des mouvements populaires 317 .

Notes
315.

Géologue chargé à l'époque de la réévaluation du potentiel pétrolifère du Brésil.

316.

Entretien réalisé en 1989 avec Wagner Freire, ancien directeur de PETROBRAS, pour le programme "Mémoire de l'Industrie du Pétrole au Brésil" de la Fondation Getùlio Vargas.

317.

Pour plus de détails sur cette période de la vie politique brésilienne voir Skidmore (1992).