11.3.5. L'institutionnalisation de la cogestion

Tout cela aboutit à l'institutionnalisation d'une cogestion à PETROBRAS. En décembre 1963, par exemple, le président de PETROBRAS, Albino Silva, détermine la participation des travailleurs (par le biais des représentants syndicaux) à l'organe centralisateur des décisions de PETROBRAS à Bahia, le CREBA (Commission Régionale de Coordination de Bahia).

Cette institutionnalisation de la cogestion se matérialisera, également, par la création de commissions où la présence de représentants des syndicats était assurée, dans chaque unité de l'entreprise. Il s'agit surtout des Commissions Paritaires de Discipline et des Commissions Paritaires d'Encadrement Fonctionnel créées au cours de l'année 1963.

Les Commissions Paritaires d'Encadrement Fonctionnel, composées de syndicalistes et de techniciens de l'entreprise, avaient pour fonction de résoudre les nombreuses questions d'écarts statutaires ; c'est-à-dire, les cas où des ouvriers étaient classés en dessous des fonctions qu'ils exerçaient véritablement. Il s'agissait surtout de légaliser une situation qui était très courante. Pour éviter que des cas particuliers et temporaires (par exemple, un ouvrier qui remplace l'agent de maîtrise pendant que celui-ci est en vacances, etc.) ne portent atteinte à la structure des fonctions de l'entreprise, seuls les travailleurs exerçant une fonction depuis plus d'un an pouvaient demander la régularisation de leur situation.

Pour estimer l'importance que cette Commission a dû avoir, il suffit d'écouter un des militants engagé dans son organisation :

‘<<... nous avons régularisé, avec la Commission d'Encadrement, la situation fonctionnelle d'environ 10 % du personnel de la raffinerie de Mataripe.>>. ’

Par ailleurs, le journal d'information du STIEP, du mois d'août 1963, publie une liste de 4.692 travailleurs de PETROBRAS (liés à la RPBa 324 ) bénéficiaires des études de la Commission d'Encadrement. Si l'on confronte ce nombre avec le nombre d'employés à la RPBa (environ 7.000), à l'époque, on peut avoir alors une idée plus précise des conséquences de l'action de cette commission sur la vie professionnelle des travailleurs.

Cela procura un gain de légitimité des dirigeants syndicaux vis-à-vis de la base, en même temps que cela leur permit d'établir un moyen de contrôle sur les travailleurs critiques vis-à-vis de leur politique. Certains militants diront que les directions syndicales se sont servies des commissions d'encadrement pour persécuter les travailleurs qui contestaient leurs méthodes d'action ; du fait que les syndicalistes avaient un pouvoir réel dans l'évolution professionnelle d'une partie de la corporation, ces travailleurs contestataires auraient vu leurs demandes de régularisation fonctionnelle refusées. Comme de coutume, il est très difficile d'évaluer la véracité ou l'étendue de ces critiques (s'agit-il d'un cas isolé où était-ce une stratégie d'étouffement des voix contestataires ?) ; néanmoins, ces témoignages montrent que la proximité entre syndicalistes et entreprise était si développée qu'elle a donné lieu à de tels soupçons.

Les Commissions Paritaires de Discipline étaient aussi composées de syndicalistes et de cadres hauts placés de l'entreprise (deux de chaque) ; elles avaient comme principale fonction de réévaluer et de juger de la pertinence des sanctions adressées aux ouvriers. Si quelqu'un se sentait injustement puni par son supérieur hiérarchique, il pouvait s'adresser à ces Commissions de Discipline, lesquelles allaient procéder à une vérification, et par la suite, donner leur avis, favorable ou non, sur le maintien de la sanction disciplinaire. Il faut remarquer que dans cette démarche, les syndicalistes avaient autant de pouvoir de décision que les ingénieurs ou techniciens qui composaient la commission ; toutefois, en cas de divergences entre les membres de la commission, il revenait au surintendant de l'unité de décider quel serait le verdict final.

Malgré tout, la plupart des travailleurs interviewés accordent une grande importance à cette commission : comme facteur de démocratisation des relations de travail dans l'entreprise durant les premières années de la décennie 60. On peut supposer que les agents de maîtrise, confrontés à la possibilité de voir leurs décisions contestées et même invalidées, ont dû être moins fermes par rapport aux sanctions prises à l'égard des travailleurs ayant commis des fautes.

Notes
324.

Région de Production de Bahia.