11.3.6. Des transformations symboliques

L'existence de cette commission apparaît, dans les discours des ingénieurs et de certains ouvriers ayant vécu cette période, comme une atteinte à la discipline de l'entreprise. Voyons par exemple comment ce travailleur, lié à la gauche catholique dans les années 60, nous explique son opposition aux syndicalistes populistes et aux commissions de disciplines :

‘<<Cette commission m'a paru plus politique que... Alors j'ai été contre ... Par ailleurs, une des raisons qui m'a amené à me mettre en opposition par rapport à la direction syndicale fut justement cette Commission Paritaire. Cela parce que je n'admettais pas, d'aucune manière, (...) l'inversion des valeurs. Un ouvrier se tournait vers un ingénieur, n'importe si l'ingénieur était nouveau, et l'humiliait ; et le syndicat soutenait l'humiliation de l'ingénieur ou du chef ! Comme l'ouvrier était syndiqué, le pauvre chef devait accepter ; je n'admettais pas cela. (...) je n'admettais pas l'inversion des valeurs, j'étais très attaché à la discipline et je pense que le grand défaut de notre syndicat à cette époque est qu'il incitait, avant tout, au manque de discipline ...>>.’

Dans une société attachée à la hiérarchie et à la discipline comme l'était la société brésilienne de l'époque, il n'est pas très difficile d'imaginer les résistances qui ont dû se développer face à la montée du pouvoir syndical dans les relations de travail à PETROBRAS . Ce qui explique que la question de l'inversion des principes hiérarchiques soit un thème récurrent dans les témoignages d'acteurs ayant vécu cette période.

Bien que ces commissions aient symbolisé une certaine inversion des valeurs concernant les rapports entre ouvriers et ingénieurs, elles n'ont pas changé complètement les représentations sociales relatives à la discipline nécessaire au bon déroulement des activités productives. Dans le souci de discipliner la force de travail aux règles jugées indispensables dans une activité industrielle, des actes insignifiants prenaient une connotation symbolique majeure.

Voyons comment cet ancien patron de Mataripe (entre 1962 et 1963) justifie le fait d'avoir licencié un ouvrier qui était sorti de la raffinerie avec une pomme dans la poche, ce qui était interdit par le règlement de la compagnie.

‘<< J'étais surintendant, quand j'ai appris qu'un type avait été licencié. Il était sorti de la raffinerie avec une pomme dans la poche. Quand le personnel de la sécurité se méfiait de quelqu'un il le passait en revue pour voir s'il n'avait pas volé quelque chose. Alors, ils ont trouvé le type avec une pomme. Quelle idée, une pomme ! Mais il a été pris avec une pomme, la question n'était pas la pomme, c'était un vol. Comme c'était un vol il n'avait pas d'explication à donner, il devait être ... (...) Cela est allé jusqu'à la commission paritaire et là-bas le personnel savait qu'avec des vols je ne pardonnais pas... Il y a eu égalité des voix pour et contre le licenciement, quelque chose de très confus, car il y a eu des ingénieurs qui ont voté pour le licenciement, d'autres pour la mise à pied seulement ; il y a eu aussi des syndicalistes à voter pour le licenciement, (...). Comme il y a eu une égalité des voix, il me revenait de décider ; j'ai décidé pour le maintien du licenciement. Cela a fait beaucoup de bruit dans la raffinerie, tout le monde a pris une position, licencier un type à cause d'une pomme ! Mais, je ne l'ai pas licencié à cause d'une pomme, je l'ai licencié parce qu'il a volé. (...) Je ne pouvais pas laisser passer un vol sans faire un exemple. (...) La pomme n'avait aucune valeur, c'était l'attitude ...>>’

Il y avait des règles qui ne pouvaient pas être transgressées, sous peine de donner de mauvais exemples. Ainsi, dans le souci d'imposer aux travailleurs une certaine éthique, même une pomme dans la poche d'un ouvrier pouvait être associée à un vol. Du fait que la défense de l'entreprise et du patrimoine public était une des composantes majeures des discours des syndicalistes, même eux ne pouvaient pas s'insurger contre cette règle.

Cela attire notre attention sur les véritables changements introduits par les syndicats, dans l'entreprise pétrolière, durant la première moitié des années 60. Ils ont réussi à imposer des contrôles sur l'action discrétionnaire des responsables intermédiaires dans le domaine des relations de travail ; cela étant, les représentations liées à ce travail sont restées inchangées. Le respect de la discipline, de la hiérarchie, de l'ordre, de certaines valeurs morales, etc. demeurait indépassable. A certains égards, l'action des syndicalistes renforçaient même ces valeurs.

Ainsi, au fur et à mesure que croît le pouvoir syndical à l'intérieur de l'entreprise, croît le personnalisme et le présidentialisme dans la gestion syndicale des principaux responsables. Cela tendra à renforcer le principe de hiérarchie en vigueur à PETROBRAS.

Dans les comptes rendus des réunions syndicales de cette période, le respect (et même, la soumission) témoigné aux présidents des syndicats est très visible. Dans la mesure où ils détenaient le pouvoir d'imposer leur volonté à l'ensemble de la direction, les présidents des syndicats tendaient à s'adonner à un véritable culte de la personnalité, écartant de leur chemin toutes les voix dissidentes, à l'intérieur du syndicat.