11.7. Conclusions : le coup d'État ou comment fabrique-t-on des mythes

Comme on le sait, malgré tout le pouvoir dont a fait preuve le syndicalisme populiste dans cette période, il a été impuissant à empêcher le coup d'État de mars 1964. Ce qui a constitué sa force, une légitimité basée sur la proximité d'avec le pouvoir politique, lui a fait défaut au moment de la confrontation avec ce même pouvoir.

En ce qui concerne les "petroleiros", plus spécifiquement, les événements de mars 1964 ont représenté un coup très dur pour leur organisation syndicale. Après le déclenchement du coup d'État le 31 mars 1964, les travailleurs du pétrole à Bahia entrent en grève et, avec l'assentiment de la direction régionale de PETROBRAS, commencent à paralyser les principales unités productives. Cependant, l'action répressive des militaires, conjuguée à la faible ampleur de la grève générale appelée par les forces de gauche, va forcer les leaders syndicaux encore en liberté à mettre fin à la grève 335 .

Ainsi, en guise de conclusion, nous pouvons synthétiser cette période de la façon suivante : après quelques années de relative accalmie, les syndicats des petroleiros deviendront à partir de 1960, des bastions du syndicalisme populiste et, en tant que tels, des bases importantes de soutien au schéma politique des gouvernements qui se sont succédés entre 1960 et 1964.

C'est l'âge d'or du national-populisme au Brésil. C'est aussi la période où plusieurs avantages seront attribués aux employés de l'industrie pétrolière, grâce, en partie, aux relations établies entre les leaders syndicaux de PETROBRAS et les politiciens populistes. Toutefois, le coup d'État de 1964 mettra fin à ce processus, sans grande résistance des populistes 336 .

Un fait caractéristique des pratiques syndicales populistes est que, mise à part la première grève des petroleiros en 1960, leurs autres mobilisations, entre 1960 et 1964, seront déclenchées pour des mobiles non directement liés à des revendications salariales ou à des améliorations de conditions de travail. C'étaient des grèves ou, le plus souvent, des menaces de grèves, qui affichaient d'abord la défense de PETROBRAS et du Monopole d'État du pétrole ; cela même si des avantages économiques s'ensuivaient. En ce sens, l'obtention de droits pour les travailleurs passait par le pouvoir politique que les syndicalistes obtenaient au sein de l'État et de l'entreprise, en monnayant leur capacité à mobiliser les travailleurs du pétrole. Ce qui est bien la preuve que les années 60 marquent une époque d'hégémonie du syndicalisme populiste chez ces travailleurs.

Mais, si dans d'autre groupes professionnels, les bouleversements provoqués par le coup d'État de 64 furent à la base d'une quête de nouvelles pratiques syndicales dans la région de São Paulo – comme l'affirment plusieurs analystes du syndicalisme des années 70 et 80 –, chez les "petroleiros" de Bahia, au contraire, le modèle d'action populiste conservera toute sa force et tout son prestige.

Dans la mémoire collective et dans les représentations sociales de ce groupe, le début des années 60 correspondra à la période glorieuse, à l'âge d'or des syndicats. Que ce soit par les avantages acquis, par la visibilité sociale des leaders syndicaux, ou par le statut dont les "petroleiros" jouissaient dans la société, le fait est que pour ces travailleurs cette période est restée un modèle, un idéal ; en un mot, un mythe.

Dans ce sens, le coup d'État a eu comme conséquence, chez les petroleiros de Bahia, la transformation des victimes de la répression en héros ; De la même façon, la période comprise entre l'année 1961 et l'année 1964 est devenue celle des temps héroïques pour ces travailleurs.

Nous ne serons donc pas étonné qu'au retour du pays à la vie démocratique dans les années 80, d'anciens leaders syndicaux "petroleiros", tenant un discours semblable à celui des années 60, soient de retour à la tête des syndicats des ouvriers du pétrole de Bahia. Les difficultés qui surgiront sur le chemin des groupes opposés à ce projet, venaient du fait qu'ils ne s'affrontaient pas à des hommes ou à des politiciens, mais à des héros mythiques, contre lesquels les discours d'autonomie ouvrière ou le socialisme n'étaient guère efficients. Car ces anciens leaders, aux yeux des ouvriers les plus âgés, portaient en eux, d'une certaine façon, une mission : réaliser la réconciliation entre le passé(si éloigné fût-il) et le présent des "petroleiros".

Notes
335.

Un communiqué publié dans plusieurs journaux de Salvador appelait ainsi le retour au travail : << Aux compagnons de PETROBRAS : après des contacts maintenus avec la Direction Régionale de PETROBRAS dans l'État de Bahia, les SINDIPETROS de l'extraction et du raffinage, devant la conjoncture nationale en vigueur, conscientes de leurs responsabilités et en conformité avec l'esprit de discipline et d'ordre, invitent les compagnons de toutes les unités de l'Entreprise dans l'État de Bahia à retourner au travail à partir du 4 avril à minuit.

<<Le retour au travail c'est notre mot d'ordre, compagnon !>> A TARDE, 4/4/64. In : Novoa(1990).

336.

La grève générale appelée par le C.G.T., le premier avril 1964, ne fut suivie que par très peu de syndicats et cela seulement durant un jour. D’après Costa (1986 : 175), à São Paulo (le principal centre industriel du pays), seuls les travailleurs des chemins de fer et ceux du port de Santos ont participé à la grève ; de même, à Rio de Janeiro n’ont participé à cette grève que les travailleurs des chemins de fer, les travailleurs du port, les métallurgistes et ceux de l’industrie textile. A Bahia, les travailleurs du pétrole furent les seuls à avoir esquissé une résistance par le biais d’une grève.