12. une ébauche de résistance ou la réactualisation des pratiques populistes : 1964-1968

12.1. Les conséquences du coup d'Etat pour l'action syndicale des petroleiros

Les répercussions du pronunciamiento de 1964 sur le mouvement syndical des travailleurs du pétrole ont été très importantes. Suivant une politique de neutralisation des principales forces sociales, capables de leur opposer des résistances, les militaires vont s'acharner à couper les liens entre les principaux leaders syndicaux du pays et les travailleurs.

En ce qui concerne les travailleurs du pétrole, cela allait se traduire par le licenciement des syndicalistes et des militants les plus engagés, par l'emprisonnement et la torture des leaders les plus en vue, par l'intervention du Ministère du Travail dans les syndicats des petroleiros – cela, immédiatement après le coup d'État et jusqu'en 1965 – et par la présence visible des soldats sur les lieux de travail.

De toute évidence, l'objectif de ces mesures était d'intimider les travailleurs, de leur couper toute envie de résistance aux nouvelles politiques qui se mettaient en place dans le pays et dans l'entreprise. Visant à disqualifier les pratiques populistes auprès des travailleurs, les nouvelles directions de l'entreprise vont insister sur le caractère illégitime de ces pratiques, car elles étaient <<... contraires aux objectifs d'une entreprise industrielle, dont le fonctionnement est de l'intérêt de la sûreté nationale.>> 337 .

De même, on essayera de désengager et de déresponsabiliser les travailleurs par rapport aux actions menées par les syndicalistes jusqu'en 1964. Ainsi, par exemple, dans le même journal d'information – journal à diffusion interne à PETROBRAS – on essayera de légitimer les licenciements de certains travailleurs par le fait qu'ils avaient obligé les autres salariés de l'entreprise à les suivre dans leurs actions :

‘<< Jusqu'à cette date, 526 employés ont été licenciés dans les diverses unités et organes de PETROBRAS du pays. Ce que l'on peut constater aujourd'hui, c'est que seule une partie réduite des trente cinq mille employés de PETROBRAS utilisait les processus les plus variés de pression, d'intimidation et de menaces pour créer dans l'entreprise le terrain propice à la propagation de leurs idéaux antidémocratiques... (...)’ ‘PETROBRAS poursuit ses activités à un rythme normal, avec l'engagement de son Administration de lui faire remplir fidèlement et effectivement la grande tâche qui lui revient dans le processus de développement et d'émancipation économique national. Il est possible qu'en raison des investigations et des enquêtes administratives d'autres licenciements aient lieu. Mais les employés qui remplissent leur devoir, tournés exclusivement vers les intérêts supérieurs de l'Entreprise, ne doivent en rien, n'ont aucune raison d'avoir peur.>> (In : INFORMATIVO PETROBRAS, édition spéciale, 20/10/64).’

Autrement dit, en même temps que l'entreprise donnait aux seuls syndicalistes et militants syndicaux la responsabilité des actes jugés "antidémocratiques", elle mettait en garde les travailleurs contre toute volonté de retour aux anciennes valeurs du populisme.

Cette manière d'envisager la responsabilité des leaders syndicaux dans les actions menées auparavant, n'était pas l'apanage des nouveaux administrateurs de PETROBRAS. A une échelle beaucoup plus large, les militaires ayant pris le contrôle de l'appareil étatique allaient, eux aussi, développer le même type de raisonnement. Dans un des innombrables procès militaires contre des syndicalistes de PETROBRAS, réalisés par les nouvelles autorités du pays, après 1964, on procédera de façon analogue.

‘<<La raffinerie de Cubatão était ostensiblement et presque entièrement dominée par le syndicat. Une telle domination a généré un climat de tension et d'oppression, empêchant une réaction définitive de la majorité [des travailleurs] ; laquelle avait peur des représailles personnelles et des atteintes à l'intégrité de leurs familles. Tout cela, avec l'approbation, ou l'omission, des plus hauts pouvoirs de la République... (...)’ ‘Ainsi, un inestimable patrimoine, vital pour la nation, est tombé à la merci d'une minorité oligarchique ...’ ‘La crainte du chômage, la crainte d'une famille menacée, la crainte d'être objet de campagnes de diffamation, ..., étaient les armes avec lesquelles les syndicats obtenaient une domination unitaire, exclusive et totale. (...)’ ‘A souligner, de plus, le comportement exemplaire de la majorité [des travailleurs] qui, par amour de la profession et du patrimoine, a permis d'éviter que ne surviennent des conséquences désastreuses à Cubatão.>> (In : rapport de l'investigation militaire réalisé à la raffinerie de Cubatão – État de São Paulo – du 21 avril 1964.).’

Ayant une vision élitiste des processus historiques et sociaux 338 , les militaires vont centrer leur action presque exclusivement sur les leaders et militants les plus actifs des syndicats, des partis politiques et des mouvements sociaux ; ils pensaient qu'en supprimant la tête de ces mouvements, ils réussiraient à enrayer définitivement le populisme de la vie politique brésilienne.

En ce qui concerne notre thème de recherche, cela eut des conséquences notables. En orientant la répression sur les leaders et militants syndicaux, les militaires réussiront à contrôler le mouvement syndical des travailleurs du pétrole ; mais ils ne réussiront pas, pour autant, à endiguer la sympathie de ces travailleurs pour les politiques syndicales populistes. Cela, d'autant plus, que la politique des militaires consistait à éloigner les leaders syndicaux populistes de la base, mais sans pour autant mettre en place des leaders proches du régime, et ayant acquis une légitimité face aux travailleurs pour disqualifier les anciens syndicalistes.

Notes
337.

In : INFORMATIVO PETROBRAS, édition spéciale, 20/10/64.

338.

Sur l'idéologie et la vision du monde des militaires brésiliens arrivés au pouvoir en 1964, voir Alves (1987).