12.2. La préservation du modèle populiste

Ainsi, après la fin de l'intervention militaire dans les syndicats et avec la relative libéralisation du régime à partir de 1965, certains groupes de militants essayeront de rééditer les actions mobilisatrices des travailleurs que les populistes avaient mis en oeuvre. D'après un des syndicalistes responsables de ce projet, son désir d'appartenir à la direction du syndicat naît dès qu'il apprend la nouvelle de l'inscription – lors des premières élections syndicales après le coup d'État, en 1965 – d'une liste composée par des travailleurs proches des militaires ; ils auraient même participé de la répression des syndicalistes populistes, en les dénonçant aux militaires durant les investigations et procès militaires.

‘<<Je suis arrivé au réfectoire, je me rappelle très bien, et il y avait une affiche informant que les élections pour le syndicat étaient autorisées. Il y avait une crainte très forte parmi le personnel de se mêler à nouveau aux syndicats, les choses étaient "encore chaudes". L'armée et la dictature étaient très fortes dans la raffinerie. Mais, j'ai vu qu'il y avait un seul candidat, un candidat unique, qui avait dénoncé beaucoup de monde en 1964 ; il était presque comme un candidat nommé, parce qu'il a été très utile à l'armée. (...) Alors on a réuni un groupe, le groupe des conversations à "voix basse", (...), et on a monté une liste.>>.’

Dans le refus de voir le syndicat tomber sous le contrôle d'un travailleur considéré comme un traître, rallié à la cause des militaires, il y avait aussi la volonté d'entretenir une certaine tradition de direction syndicale ; c'était en quelque sorte un hommage aux leaders syndicaux du passé. Ces leaders avaient été éloignés des syndicats et de la vie de l'entreprise, mais restaient présents dans l'esprit des travailleurs comme modèles à suivre pour la conduite des affaires syndicales à PETROBRAS.

Dans cette optique, on avait gardé du leader syndical l'image de quelqu'un capable de décider et d'affronter, seul, les responsables de l'entreprise pour lutter contre les injustices auxquelles les travailleurs étaient soumis. Cela correspond à la représentation de lui-même que ce leader syndical, arrivé au syndicat du raffinage en 1965, essaie de nous faire passer ; ainsi, il explique sa participation à cette liste, non pour une question politique ou idéologique, mais du fait de sa personnalité, revendicative :

‘<<J'étais le genre de mec pour qui aller voter au syndicat était d'abord une occasion d'aller boire un coup. Je n'avais aucune conscience politique ou syndicale, aucune ! ça a été plus pour une question de personnalité, de formation même : de ne pas être toujours d'accord, d'affronter...>>’

Indépendamment du fait qu'il est difficile de déterminer jusqu'à quel point ce témoignage ne relève pas de la volonté de l'interviewé de nous donner une vision positive de lui-même, on peut néanmoins considérer que cette façon de concevoir les leaders syndicaux avait une certaine répercussion parmi les travailleurs de l'époque. Ce même syndicaliste fera référence, à plusieurs reprises, durant l'entretien, au fait qu'il avait fait beaucoup de sport dans sa jeunesse, ce qu'il considérait comme un élément important dans sa propension à se mettre en évidence et à ne pas avoir peur des risques. Pour lui, un leader syndical devait être plus belliqueux et plus courageux que les autres travailleurs, avoir du "leadership", être capable de commander, de décider ...

‘<<Je dis souvent que ceux qui n'ont jamais pratiqué de sports ou participé au mouvement étudiant, ont beaucoup de difficultés à commander qui que ce soit ; car, cela commence là-bas, et c'est cela qui s'est passé pour moi.>>.’

On voit, nous ne sommes pas loin ici des pratiques personnalistes et de la conception du pouvoir que les leaders syndicaux populistes développaient à leur époque. L'important ici, est que ce modèle d'action va pousser certains syndicalistes de PETROBRAS, après le coup d'État de 1964, à s'opposer aux responsables de l'entreprise. Opposition visible principalement vis-à-vis des transformations en matière de gestion du travail, qui commençaient à se mettre en place.