13. la bureaucratisation des syndicats

Comme on l'a vu précédemment, la répression de la grève de la faim de 1968, en éloignant de l'entreprise les syndicalistes qui l'avaient organisée, laissa le chemin ouvert aux groupes syndicaux plus proches des intérêts de l'entreprise. Ainsi, sur le plan syndical, les années 69-79 seront caractérisées par l'absence presque totale de rassemblements ou de mobilisations ouvrières chez les petroleiros. De même, durant cette période, les syndicats vont devenir de véritables organisations bureaucratiques, avec l'expansion des services offerts et avec l'augmentation du nombre de leurs employés.

Dès lors, la légitimité des syndicalistes sera presque exclusivement basée, et de plus en plus au cours des années 70, sur leur capacité à trouver les moyens d'augmenter les services offerts et, aussi, sur leur niveau de proximité avec les responsables de l'entreprise, moyen privilégié pour résoudre les problèmes touchant les travailleurs, sans avoir besoin d'entreprendre des mobilisations ouvrières.

Ainsi, dans les numéros des journaux d'information des syndicats, parus à cette période, et auxquels nous avons eu accès, il n'y a pas une seule note appelant les travailleurs à organiser des actions mobilisatrices contre l'entreprise ou contre le gouvernement. Même dans des articles où l'on reconnaît l'existence de problèmes, les seules mesures que les syndicalistes se proposaient de prendre étaient de discuter la question avec les responsables de l'entreprise ou, en cas d'échec, d'intenter des procès auprès de la Justice du Travail.

C'est le cas, par exemple, d'une note parue dans le SINDIPETRO INFORMATIVO (journal d'information du SINDIPETRO) du 18/01/71, où un responsable syndical se plaint de l'action de certains chefs de secteur qui obligeaient les travailleurs à faire l'option de FGTS 358 . Face à une telle situation le syndicaliste menaçait de faire intervenir le surintendant de la raffinerie, lequel ne connaissait pas, apparemment, ces problèmes. Autrement dit, c'est "l'esprit de justice" du surintendant, ainsi que la bonne relation entre celui-ci et le syndicaliste qui rendra possible une issue au problème.

Toutefois, même ce genre de notes étaient rares. La plupart du temps, les journaux d'information des syndicats se limitaient à renseigner la base sur les services mis à disposition des travailleurs par les syndicalistes. Ces services comprenaient une gamme très étendue d'action : des bourses d'études pour les enfants des travailleurs, l'embauche de médecins et de dentistes par le syndicat, l'offre de services juridiques par des avocats du syndicat, la création de coopératives de construction de maison pour les travailleurs, le maintien par les syndicats d'établissements d'école primaire, l'entretien d'un service de coiffure pour les travailleurs, etc.

C'étaient ces services, en outre, qui légitimaient les leaders syndicaux aux yeux des travailleurs. Cela à tel point que le président du SINDIPETRO, en mars 1971, demanda aux travailleurs un usage plus régulier des services offerts par le syndicat :

‘<<Le syndicat dépense une bonne partie de sa recette dans le paiement des salaires de médecins, de dentistes, d'avocats, etc. (...). Pour cette raison, nous demandons aux compagnons de venir au syndicat lorsque vous avez des problèmes ou que vous avez besoin d'un avocat. De même, si vous avez besoin d'un médecin clinicien, d'un dentiste, d'un pédiatre, venez aussi au syndicat. Car, après tout, vous payez pour avoir ces services à votre disposition.>> (SINDIPETRO INFORMATIVO, 17/03/71).’

Autrement dit, dans cette vision des choses, les syndicats étaient davantage des organes dispensateurs de services que des institutions de défense des intérêts des travailleurs.

‘<<Cette direction a la plus grande volonté de servir toujours, et de la meilleure manière possible, les travailleurs ; elle concentre ses efforts afin de dispenser aux associés du SINDIPETRO une bonne assistance médicale, ainsi qu'une bonne assistance dentaire.>> (SINDIPETRO INFORMATIVO, 23/07/70).’

Cette conception de l'action syndicale, qui allait de pair avec les directives du gouvernement 359 , aura pour conséquence la croissance des secteurs bureaucratiques et de prestations de services sociaux, ainsi que la multiplication du nombre d'employés attachés directement aux organisations syndicales.

Employés du stiep et du sindipetro
ANNÉE NOMBRE D'EMPLOYÉS
  STIEP SINDIPETRO
1963 07 09
1971 104 34
1977 164 51
1984 125 41
1987 95 38
1989 89 27
Source : Archives des syndicats

L'étude de ce tableau nous montre que c'est entre 1964 et 1971 que les syndicats des travailleurs du pétrole augmentent le plus leurs effectifs. Ce nombre continuera de croître au cours des années 70, pour ne commencer à baisser qu'au début des années 80.

Quoi qu'il en soit, dans la conjoncture des années 70, les syndicalistes vont compenser leur manque de liberté syndicale, par la croissance des services offerts aux travailleurs dans le secteur social. Ce que les syndicalistes de l'époque justifieront comme étant une conséquence de la conjoncture politique.

‘<<Nous avons toujours essayé de donner des avantages à nos associés, parce que nous n'avions pas le pouvoir de faire des revendications. (...) Nous étions perclus par le régime, parce que c'était les militaires qui décidaient des destins de la nation. La difficulté d'administrer un syndicat comme celui des petroleiros était terrible.>> (Entretient avec un syndicaliste des années 70).’

En raison de cette option, non seulement les syndicats vont augmenter leurs effectifs, mais, de plus, ils vont, préférentiellement, affecter leurs employés à des activités de prestation de services sociaux.

Répartition des Employés du SINDIPETRO par grands secteurs d'activité et par année
Secteurs d'activité NOMBRE D'EMPLOYÉS( %)/ANNÉE
  1963 1971 1984 1987 1989
Service d'Assistance (médecins, dentistes, coiffeurs, etc.). –– 24
(70 %)
22
(54 %)
18
(47 %)
8
(30 %)
Administration du syndicat (secrétaires, comptables, etc.) 6
(67 %)
4
(12 %)
8
(19 %)
12
(32 %)
12
(44 %)
Activités complémentaires (gardiens, agents de nettoyage, etc.) 3
(33 %)
6
(18 %)
11
(27 %)
8
(21 %)
7
(26 %)
TOTAL DES EMPLOYÉS 9
(100 %)
34
(100 %)
41
(100 %)
38
(100 %)
27
(100 %)
Source : archives du SINDIPETRO
Répartition des employés du STIEP par grands secteurs d'activité et par année
Secteurs d'activité NOMBRE D'EMPLOYÉS ( %)/ANNÉE
  1963 1971 1984 1987 1989
Service d'Assistance (médecins, dentistes, coiffeurs, etc.). 2
(29 %)
67
(64 %)
53
(43 %)
37
(39 %)
27
(30 %)
Administration du syndicat (secrétaires, comptables, etc.) 5
(71 %)
22
(21 %)
33
(26 %)
26
(27 %)
21
(24 %)
Activités complémentaires (gardiens, agents de nettoyage, etc.) –– 15
(14 %)
39
(31 %)
32
(34 %)
41
(46 %)
TOTAL DES EMPLOYÉS 7
(100 %)
104 (100 %) 125 (100 %) 95
(100 %)
89
(100 %)
Source : archives du STIEP
Notes
358.

Il s'agit du Fonds de Garantie par Temps de Service.

359.

Lequel fixait strictement comment les syndicats devaient dépenser leurs revenus.