13.1. De la faiblesse des syndicats

Cette croissance de la bureaucratie syndicale était la contrepartie d'une difficulté à organiser des mouvements collectifs. Ainsi, même lors des périodes de réajustements salariaux, le seul rôle joué par les syndicats fut celui de présenter à la Justice du Travail une demande de réévaluation des indices proposés par l'entreprise. On ne convoquait des assemblées que pour demander l'accord des travailleurs pour "signer des conventions collectives ou pour mener des actions auprès de la Justice du Travail". Autrement dit, les formes de protestation des travailleurs n'étaient même pas à l'ordre du jour.

En dehors des actions menées auprès de la Justice du Travail, les syndicalistes essayeront également d'influencer les décisions de l'entreprise, par l'entremise de contacts avec des politiciens proches du régime militaire et avec le Ministre du Travail.

‘<<En général, notre lutte se passait ainsi : dans nos assemblées nous élaborions nos revendications, lesquelles étaient envoyées directement à PETROBRAS et, indirectement, à des députés, des députés proches des problèmes du travail ; cela parce que nous savions que le syndicat, seul, n'avait pas la capacité, à cette époque, de réussir à négocier. Par le biais de contacts avec des députés ou des sénateurs, on réussissait à aller jusqu'au Ministère du Travail et, même, à la direction de PETROBRAS. On demandait à chaque responsable syndical, sur sa base territoriale, d'envoyer des rapports à des députés et à des sénateurs>> (Entretien avec un leader syndical des années 70).’

Un fait significatif de cette politique de rapprochement des leaders syndicaux avec des politiciens liés au régime militaire, fut donné lors de l'ouverture du nouveau siège du SINDIPETRO, en janvier 1975. Voulant resserrer les liens avec le Ministère du Travail, on baptisera le bâtiment où se trouvait le syndicat de "Siège Ministre Arnaldo Prieto", Ministre du Travail entre 1974 et 1979.

De même, lors d'une rencontre entre syndicalistes du pétrole et syndicalistes de la pétrochimie à Salvador, un responsable du STIEP allait inviter le représentant du Ministère du Travail à Bahia à animer la conférence d'ouverture ; ce qui, dans le contexte des grèves des travailleurs de la métallurgie de São Paulo, généra un malaise parmi d'autres syndicalistes.

Cette proximité entre syndicalistes de PETROBRAS et la bureaucratie du Ministère du Travail, peut aussi être attestée par le fait que, dans les années 70 et les années 80, pas moins de trois ex-responsables syndicaux des petroleiros furent nommés représentants des travailleurs (juges classistes) auprès de la Justice du Travail. Cela peut démontrer qu'il y avait des intérêts communs entre certains syndicalistes et les représentants du Ministère du Travail, ce qui pourrait expliquer, en partie, le type d'action syndicale menée alors 360 .

Quoi qu'il en soit, il est évident que cette façon d'envisager la question syndicale n'a pu devenir hégémonique que par l'influence de la conjoncture répressive de l'époque. Cette conjoncture tendait à éloigner les travailleurs plus critiques des activités syndicales, laissant la place à des travailleurs proches de l'entreprise et des gouvernements militaires. Un signe de cela fut le fait que, lors des élections syndicales réalisées au SINDIPETRO en janvier 1970 (les premières après l'intervention syndicale en 1968), il n'y eut qu'une liste inscrite. De surcroît, non seulement le Ministère du Travail décida d'empêcher deux candidats de cette liste de participer aux élections, mais de plus, onze autres participants de la liste décidèrent de ne plus en faire partie. Cela repoussa de cinq mois la réalisation des élections syndicales.

De même, lors de la réalisation des élections syndicales du STIEP, en novembre 69, des représentants de toutes les listes en compétition furent appelés à donner des renseignements au SNI (Service d'Information de l'armée) sur leur programme de gestion du syndicat. D'après un des syndicalistes ayant participé à cette réunion, l'objectif des militaires était de montrer aux travailleurs les limites "acceptables" de l'action syndicale ; ils voulaient également rappeler les sanctions auxquelles étaient exposés les syndicalistes dès lors qu'ils décidaient d'ignorer ces limites.

Cela aurait poussé certains candidats à ne pas se présenter : on suspectait certains représentants d'avoir le soutien des militaires ; cela leur faisait craindre d'être victimes de la répression, au cas où ils auraient empêché ces candidats, protégés par le régime, d'être élus.

A cette époque, les travailleurs avaient peur de participer aux activités syndicales. Au vu du climat politique répressif et des interventions survenues dans les syndicats des petroleiros de Bahia dans les années 60, le syndicalisme était considéré comme une activité dangereuse. Ce qui explique le fait que, d'après les syndicalistes de l'époque, un des critères pour faire partie des listes syndicales était d'être "stable", c'est-à-dire de ne pas être soumis au système du FGTS. Pour eux, cela constituait une garantie contre le licenciement après avoir fini leurs mandats 361 .

De même, à cette époque, les conflits à l'intérieur des syndicats deviennent des querelles juridiques. On considérait que pour être un bon syndicaliste, il fallait bien connaître les lois régissant les syndicats ; ainsi, lors des élections syndicales on profitait des moindres brèches juridiques laissées ouvertes par les adversaires, pour les éloigner du processus électoral. On allait jusqu'à accuser, auprès de la DRT 362 , les adversaires d'avoir des idées antidémocratiques ; ce qui dans le jargon de l'époque renvoyait à quelqu'un de gauche. L'un des syndicalistes interviewés nous raconte qu'il a dû faire la preuve, auprès de la justice, d'un passé honorable pour pouvoir participer à une liste, lors d'une élection syndicale au STIEP. A son tour, il affirme aussi avoir dénoncé la direction du syndicat, pour des raisons administratives liées aux élections syndicales ; ce qui aurait été la cause de l'intervention de la DRT, en juillet 1975, au STIEP.

Autrement dit, face à l'absence d'activité syndicale plus dynamique, les groupes en conflit pour le contrôle des syndicats essayèrent de devenir hégémoniques à travers des conflits juridiques. Dans ces querelles, la connaissance de la loi était aussi importante que les contacts avec les représentants du Ministère ou de la Justice du Travail.

Tout cela rendait plus facile le contrôle des activités syndicales par l'entreprise. Une des modalités de ce contrôle était l'interdiction de distribution des journaux syndicaux tant que les responsables de PETROBRAS n'avaient pas donné leur accord. Ainsi, dans les archives du SINDIPETRO, les journaux préservés de cette époque portent tous une signature sous la mention "autorise la distribution". Ce qui nous laisse penser que la pratique du contrôle sur les journaux syndicaux était courante : elle faisait partie d'une stratégie pour rendre les syndicats inoffensifs, incapables d'organiser des résistances à l'action du gouvernement ou de l'entreprise.

Notes
360.

Ce thème est polémique chez les travailleurs du pétrole de Bahia. Il y a des militants qui accusent les leaders syndicaux de cette époque d'avoir employé les syndicats à des fins politiques : le développement des services d'assistance (surtout les services médicaux et dentaires) serait une stratégie de soutien de leurs candidatures à des postes parlementaires ou à des mairies de communes de la région pétrolière de Bahia ; cela parce que les syndicats maintenaient des postes de santé dans plusieurs de ces villes. Pour d'autres, à l'inverse, cette tendance était courante à l'époque, les syndicalistes du pétrole s'étant simplement adapté au milieu ambiant.

361.

Les responsables syndicaux ont la stabilité de l'emploi durant et jusqu'à un an après la fin de leur mandat.

362.

Organe représentant le Ministère du Travail dans les États.