13.3. L'inadéquation du syndicalisme bureaucratique aux nouveaux temps

Tandis que ces transformations s'opéraient à PETROBRAS, la conjoncture politique du pays devenait moins lourde. Progressivement, à partir de la moitié des années 70, les forces démocratiques (l'opposition politique, le mouvement syndical non attaché aux militaires, les mouvements sociaux) se réorganisent et gagnent de l'importance dans la société. Ce processus allait déboucher sur les grèves de 1978 chez les travailleurs de la métallurgie de la région du ABC, à São Paulo. Ces grèves serviront de déclencheur à plusieurs autres manifestations de la population brésilienne.

Dans ce contexte, l'inadéquation du type de syndicalisme mis en pratique dans la branche du pétrole à Bahia devenait de plus en plus évident. Cela, surtout aux yeux des travailleurs les plus jeunes, dont certains étaient devenus, dans les lycées ou universités, des militants des partis de gauche clandestins. Pour eux, l'inaction syndicale, était le signe du "péléguisme" 367 des syndicalistes de PETROBRAS, plus attachés à bénéficier des avantages que leur procurait leur fonction syndicale que de faire avancer les conquêtes et la conscience de classe des travailleurs.

Même pour la préservation de conquêtes jugées historiques par les petroleiros, les actions mises en place par les syndicalistes "bureaucratiques" se montraient inefficaces pour opposer de véritables résistances à la stratégie de l'entreprise de réduire les avantages acquis par les travailleurs. Ce fut le cas notamment des pourcentages du profit de PETROBRAS offerts aux travailleurs à titre de participation aux profits, qui baisseront considérablement au cours des années 70.

Partie des profits de PETROBRAS partagés avec ses employés (1963-1981)
ANNÉE PARTICIPATION AUX PROFITS ( %)
1963 11,39
1964 8,25
1965 9,92
1966 6,5
1967 10,0
1968 11,55
1969 11,23
1970 6,95
1971 5,01
1972 4,09
1973 4,04
1974 3,73
1975 3,47
1976 3,15
1977 3,11
1978 3,43
1979 3,67
1980 3,87
1981 5,89
Source : INFORMATIVO SINDIPETRO du 10/02/82.

De même, pour des groupes de travailleurs spécialisés de PETROBRAS – ayant, au moins potentiellement, des possibilités de trouver d'autres emplois industriels bien payés – l'incapacité des syndicats à faire changer les conditions de travail à l'intérieur de la compagnie sera une incitation à une plus grande participation aux activités syndicales. Ils vont donc développer des jugements très critiques à l'égard du syndicalisme bureaucratisé jusqu'alors dominant.

Dans le même temps, à l'intérieur même des directions syndicales, certains groupes vont essayer de pousser les syndicats du pétrole vers la réalisation de mobilisations collectives. Ces groupes – ayant pris des contacts avec des syndicalistes dits "authentiques", au cours des nombreux congrès de travailleurs réalisés à cette période – prendront le contrôle des syndicats du pétrole de Bahia, à la fin des années 70.

L'inadéquation du syndicalisme bureaucratique à la nouvelle période de la société brésilienne était double. D'abord, parce que dans une conjoncture de grandes mobilisations collectives, au niveau national, il était difficile d'expliquer l'absence de ces mobilisations chez les travailleurs du pétrole ; surtout après avoir toujours fait référence au passé de gloires et de luttes de ces travailleurs. De même, face à une forme de gestion du travail de plus en plus contestée, surtout par les jeunes travailleurs, ce type de syndicalisme ne pouvait rien offrir. D'abord parce que son action était principalement tournée vers des problèmes extérieurs à l'espace du travail (par le biais de l'assistancialisme) et, de plus, parce que, du côté de l'entreprise, on s'était habitué à l'absence d'acteurs collectifs, et on n'était plus trop prêt à accepter la participation des syndicats dans le domaine des relations de travail.

Autrement dit, face à une multitude de nouvelles revendications, le seul maintien de bons rapports entre syndicalistes et responsables de l'entreprise ne suffisait plus à garantir la résolution des problèmes. De même, dans la mesure où l'ordre établi (au niveau de PETROBRAS et du pays) était mis en cause par ces revendications, le rôle des syndicalistes bureaucratiques tendait à s'effacer.

C'est dans ce contexte général que les travailleurs du pétrole de Bahia vont essayer de mettre en pratique un renouveau syndical à partir de 1978. Il s'agissait là d'une adaptation au contexte ambiant ; mais, dans ce processus, les caractéristiques de la situation des travailleurs du pétrole allaient prendre le dessus, déterminant la direction et les modalités de cette adaptation. Ce qu'on essaiera de montrer dans le chapitre suivant.

Notes
367.

On a déjà vu combien cette expression est péjorative dans le vocabulaire syndical au Brésil.