14. Le Renouveau Syndical ou de l'influence des conjonctures (1978-1983)

14.1. Syndicalisme et lutte pour la démocratie

Le renouvellement des pratiques syndicales des travailleurs du pétrole de Bahia, à la fin des années 70, ne peut pas être compris en dehors des changements conjoncturels qui se produisaient dans la société brésilienne de l'époque. Surtout en ce qui concerne la réapparition des syndicats comme interlocuteurs sociaux incontournables.

Durant la deuxième moitié des années 70, la conjoncture socio-politique brésilienne allait présenter des signes importants de changements : grèves ouvrières dans l'État de São Paulo, réapparition des mouvements sociaux, retour de l'inflation, difficultés d'adaptation de l'économie aux crises pétrolières, etc.

Dans le même temps, au niveau de l'État, les groupes militaires partisans d'un retour progressif à la démocratie deviennent hégémoniques, à partir de 1974, avec la montée au pouvoir du Général Ernesto Geisel 368 . Pour la succession de celui-ci, ils réussissent, de plus, à imposer aux autres militaires le Général João Figueredo.

Parmi les mesures adoptées par ces groupes, il convient de mentionner le retour des lois garantissant les libertés individuelles, la fin de la censure de la presse et l'adoption d'une loi d'amnistie, en 1979. Il ne s'agissait nullement d'un retour à une démocratie effective – le Parlement était encore sous contrôle et l'appareil répressif de l'État restait en place – néanmoins, cela représentait une certaine libéralisation de la vie politique brésilienne. Libéralisation qui allait profiter largement aux groupes politiques d'opposition et aux mouvements populaires.

En ce qui concerne le mouvement syndical, cette relative libéralisation du régime, qui allait de pair avec l'accélération de l'inflation et avec une situation perçue comme très défavorable aux travailleurs, dans les entreprises (Humphrey, 1982), va favoriser l'émergence de nouvelles conceptions syndicales. Les groupes porteurs de ces nouvelles conceptions vont donner la priorité, dans leurs stratégies, au travail de base visant l'organisation de la classe ouvrière pour d'éventuelles actions collectives. C'est dans ce contexte que les travailleurs de la métallurgie de l'État de São Paulo réalisent d'importantes grèves, en 1978.

Ces grèves auront pour rôle de replacer les grèves et les mobilisations des travailleurs dans le champ d'action des syndicalistes. Elles vont, également, renforcer l'idée de création d'une centrale syndicale dans le pays – lesquelles étaient interdites par la loi – et permettre les premiers contacts entre leaders syndicaux pour la création d'un nouveau parti politique, le Parti des Travailleurs. Une preuve que le but des syndicalistes dépassait les seules revendications salariales : il visait aussi une démocratisation de la vie politique et sociale brésilienne.

D'où, le soutien et la sympathie que le syndicalisme obtint auprès de la société civile. La répression généralisée et le contrôle politique ont souillé définitivement l'image des militaires qui avaient associé le pouvoir de l'État dictatorial aux intérêts des patrons. Ainsi, la force des mouvements sociaux et du mouvement syndical, à la fin des années 70, s'enracinait dans la défense de la démocratie et de la citoyenneté dans le pays.

En ce sens, ces mouvements constituaient les vecteurs d'une extériorisation des demandes sociales réprimées durant les années de la dictature. De même, ces mouvements étaient la manifestation de changements importants dans les représentations sociales dominantes. On va développer des discours alternatifs à l'idéologie dominante des années de la dictature, durant laquelle l'exercice du pouvoir était, en grande partie, posé comme une question purement technique, domaine exclusif des élites intellectuelles et économiques. On va aussi récupérer la place des conflits et de la "représentation d'intérêts" dans la vie sociale. Autrement dit, contre la peur panique que les militaires entretenaient vis-à-vis des conflits sociaux – fruit d'une vision statique et mécaniste de la vie sociale 369 –, les mouvements sociaux vont poser les conflits comme indépassables de la vie démocratique.

Ces changements symboliques vont inviter plusieurs catégories d'acteurs sociaux à une participation accrue aux actions collectives ; participation plus conséquente que celle qui faisait figure de modèle durant la dictature militaire. Ainsi, dans ces années-là, la participation à la politique et aux mouvements sociaux devient une activité très valorisée dans certains milieux sociaux : les étudiants et lycéens, certains groupes de travailleurs spécialisés, les participants de mouvements sociaux organisés par l'Église, etc. 370 .

C'est cette fièvre de participation publique qui explique la multiplication du nombre de militants au sein de partis de gauche ou de mouvements sociaux à cette époque. La lutte pour la démocratisation du pays, alliée à des changements symboliques, ouvre les perspectives d'une nouvelle citoyenneté à d'importantes couches de la population.

C'est dans ce cadre, à la fois politique, social et idéologique que le renouveau syndical prend sens chez les travailleurs du pétrole de Bahia.

Notes
368.

Lequel avait été président de PETROBRAS, entre 1969 et 1973 ; ce qui vient, une fois de plus, montrer la forte connotation politique de l'entreprise nationale du pétrole brésilienne.

369.

Sur la vision de la société des militaires brésiliens voir Alves, 1987.

370.

Sur l'émergence des nouveaux acteurs sociaux et politiques, à cette période, voir Sader (1988).