14.2. Du Renouvellement de l'action syndicale des Travailleurs du pétrole

Chez les travailleurs du pétrole, cette tendance au renouvellement des pratiques syndicales commence à se répercuter dès 1977. Cette année-là, les dirigeants syndicaux des travailleurs du pétrole de tout le pays – réunis au cours de leur rencontre annuelle pour établir leurs revendications – décident de créer un organe permanent pour coordonner l'action de l'ensemble des syndicats du pétrole ; surtout lors des négociations avec l'entreprise.

D'après plusieurs syndicalistes, ces négociations n'étaient que fictives : avec le contrôle des salaires imposé par le gouvernement, l'entreprise se contentait de leur envoyer, sans les recevoir, les changements qu'elle comptait introduire dans la réglementation du contrat de travail. Lorsque les syndicats n'étaient pas d'accord avec ces changements, il ne leur restait qu'à poser un recours auprès de la Justice du Travail, pour qu'elle juge de la légalité de l'action de l'entreprise et du bien-fondé des revendications des travailleurs.

Par ailleurs, dans le résumé de la réunion syndicale citée ci-avant, il est dit que cette manière de procéder avait été léguée par le président Geisel, lequel, lors de son passage à PETROBRAS, n'avait pas permis que la direction de l'entreprise reçoive les syndicats. Fait très révélateur de cette stratégie, tous les accords passés entre l'entreprise et les syndicalistes jusqu'en 1979, seront signés après l'intervention de la Justice du Travail.

Voulant changer cette réalité, les syndicalistes du pétrole créent, le 5 novembre 1977, le Département Professionnel des Travailleurs du Pétrole et de la Pétrochimie de la Confédération Nationale des Travailleurs de l'Industrie. Ce Département fut créé, si l'on croit le résumé de la réunion, comme une première étape dans la formation d'une Fédération des Travailleurs du Pétrole ; idée qui, dès les années 60, tentait les dirigeants syndicaux de PETROBRAS.

Ce Département, rattaché à la CNTI, allait avoir pour fonction de resserrer les liens et les contacts entre les syndicalistes du pétrole, favorisant ainsi la diffusion d'idées plus mobilisatrices que celles des syndicalistes bureaucratiques de Bahia ; idées dont certains syndicalistes du pétrole étaient, par ailleurs, porte-parole dans le pays : c'était notamment le cas du Responsable du SINDIPETRO de la raffinerie de Paulínia, dans l'État de São Paulo, Jacó Bittar 371 . Du fait que celui-ci deviendra le premier président du Département des Petroleiros et des travailleurs de la Pétrochimie, la diffusion de ses idées syndicales se fera plus facilement.

De même, la création de ce département facilitera les influences entre les différentes unités de PETROBRAS. Ainsi, en août 1978, après les grèves de la métallurgie de l'ABC, les travailleurs des raffineries de São Paulo organisent plusieurs manifestations collectives afin d'obliger l'entreprise à entamer de véritables négociations avec les syndicats : on relate, lors la réunion du Département des Travailleurs du Pétrole et de la Pétrochimie du 25 août 1978, que des pétitions et des rassemblements sur les lieux de travail ont été organisés. Ce qui aurait provoqué, d'après les syndicalistes, la tenue d'assemblées importantes dans les autres syndicats du pays.

Les syndicalistes estiment que c'est grâce à ces mobilisations que l'entreprise acceptera de négocier directement avec les représentants des travailleurs du pétrole et d'instaurer la semaine de travail de 40 heures, en janvier 1979 ; cela, à une époque où la réglementation établissait la semaine de 48. Quoi qu'il en soit, la simultanéité entre le retour des mouvements ouvriers et la diminution de la semaine de travail à PETROBRAS ne pouvait que rassurer les syndicalistes sur l'importance de la reprise des mobilisations ouvrières.

Ces mobilisations deviendront plus fréquentes, à partir de 1979, avec le retour des négociations entre syndicats et direction de l'entreprise, lors des négociations collectives annuelles. Les syndicats commencent alors à organiser de grandes assemblées de travailleurs et à proposer la réalisation de manifestations de masse pour démontrer leur insatisfaction vis-à-vis de certaines politiques de l'entreprise.

Ainsi, dès 1980 – afin obliger l'entreprise à plus de souplesse lors des négociations collectives – les travailleurs du pétrole de plusieurs régions du pays, y compris Bahia, entament des grèves de la faim et d'autres actions de contestation.

La reprise des négociations collectives entre PETROBRAS et syndicats représente un véritable tournant dans les relations professionnelles de la branche pétrolière. Bien que le recours à la Justice du travail n'ait pas été complètement écarté pour résoudre les désaccords lors des négociations, ce seront dorénavant les rapports de force à l'intérieur de l'entreprise qui primeront dans les stratégies des deux parties.

Du côté de l'entreprise, la crainte que les mobilisations courantes d'autres travailleurs du pays ne prennent corps parmi les travailleurs du pétrole, l'amène, au départ, à accorder quelques concessions aux syndicats des travailleurs. Parmi ces concessions, il faut souligner, outre la réduction du temps de travail, la revalorisation des salaires perçus par les travailleurs.

Ainsi, d'après une étude réalisée par le DIEESE 372 en 1987, pour les syndicats du pétrole, les salaires réels à PETROBRAS ont légèrement augmenté entre 1979 et 1983. Après cette date, en raison de coupures budgétaires dans les entreprises nationales – décidées par les gouvernements pour faire face à la crise de la dette extérieure –, alliées au retour d'une inflation importante, ces salaires commenceront à baisser ; c'est aussi le moment où PETROBRAS commence à adopter une attitude plus ferme vis-à-vis des revendications des travailleurs.

Évolution du salaire moyen réel à PETROBRAS
ANNÉE/MOIS SALAIRE MOYEN RÉEL (INDICE) AOÛT 1979 = 100
1979 (SEPTEMBRE) 94,07
1980 (SEPTEMBRE) 104,41
1981 (SEPTEMBRE) 109,87
1982 (SEPTEMBRE) 123,24
1983 (SEPTEMBRE) 93,72
1984 (JUIN) 79,97
1984 (SEPTEMBRE) 102,30
1985 (SEPTEMBRE) 110,20
1986 (SEPTEMBRE) 96,70
1987 (MARS) 94,63
1987 (AOÛT) 70,43
Source : DIEESE, sous-section SINDIPETRO-BAHIA

Du côté des syndicalistes, la reprise des négociations collectives allait signifier un changement d'attitude assez remarquable : ils inciteront à l'organisation et à la mobilisation des travailleurs, car leur légitimité, en tant que leaders syndicaux, en dépendait. Ils pouvaient ainsi, non seulement obtenir plus d'avantages pour les travailleurs, mais aussi gagner en légitimité dans le milieu syndical des travailleurs du pétrole ; l'organisation de mobilisations était devenue la preuve qu'on n'était pas un "pelego". Autrement dit, être "combatif" était un moyen de se légitimer aussi bien auprès des travailleurs que des autres syndicalistes du pétrole du pays.

Notes
371.

Jacó Bittar, lié au groupe de syndicalistes dits "authentiques" (par opposition aux pelegos), sera un des syndicalistes responsables de la création de la CUT et du Parti des Travailleurs ; parti par lequel il devient maire de l'importante ville de Campinas, dans l'État de São Paulo, dans les années 80.

372.

Département Intersyndical d'Études Socio-Economiques.