14.5. Le retour des populistes.

En même temps que syndicalistes du pétrole et militants de gauche s'opposaient sur le rôle que les syndicats devaient jouer dans la société brésilienne, un phénomène spécifique à PETROBRAS, dans l'État de Bahia, commençait à émerger : le retour des syndicalistes et militants écartés de l'entreprise en 1964 et en 1968.

En effet, avec l'établissement de la loi d'amnistie par les militaires en 1979, plusieurs travailleurs de PETROBRAS – licenciés, entre 1964 et 1979, à cause de leurs idées politiques ou de leurs activités syndicales – s'organisent pour obliger le gouvernement à les inclure parmi les bénéficiaires de cette loi. Des premiers contacts établis à ce moment résultera la création, en juillet 1982, de la Commission Nationale des Amnistiés de PETROBRAS (CONAPE), regroupant 325 travailleurs dans tout le Brésil – dont 127 à Bahia.

L'organisation de cette association est née du refus du gouvernement militaire de reconnaître le caractère politique des licenciements des syndicalistes et de militants réalisés par PETROBRAS en 1964 et 1968. L'objectif de la CONAPE était double : d'une part, informer les travailleurs, ayant le droit de bénéficier de la loi d'amnistie, des démarches juridiques à entreprendre pour entamer des procès contre l'État et PETROBRAS ; d'autre part, elle avait aussi pour rôle de centraliser les contacts avec les politiciens et les membres importants du gouvernement, afin de trouver une solution négociée au problème.

Ainsi, quelques travailleurs réussirent à être réembauchés par l'entreprise, à partir de 1981, en raison de décisions judiciaires favorables. Toutefois, la majeure partie des amnistiés ne pourra revenir à l'entreprise qu'après mars 1985, avec le retour du pays à la démocratie. Ce qui ne les empêcha pas de reprendre des contacts avec les syndicats des petroleiros, ni de s'y syndiquer à nouveau.

Cela aura pour conséquence, notamment, le retour des leaders syndicaux populistes à la politique syndicale de l'entreprise nationale du pétrole ; ces leaders, dès les années 60, s'étaient éloignés des affaires touchant l'entreprise pétrolière en raison des persécutions dont ils avaient été victimes et des interventions dans les syndicats.

Ce retour des populistes marquera fortement les événements qui allaient suivre dans les syndicats des travailleurs du pétrole. Le retour des leaders du passé sera interprété, par toutes les tendances syndicales, comme un événement important pour la reprise des mouvements collectifs des travailleurs du pétrole : car en démontrant que par le retour à la démocratie et par la réapparition du mouvement syndical on pouvait remettre en question les actes répressifs de l'État, on essaiera de faire baisser les craintes de l'engagement syndical chez les travailleurs.

Ce qui explique, aussi, que toutes les tendances syndicales rendront hommage aux leaders populistes persécutés par la dictature militaire : ils étaient considérés comme de véritables martyrs de la cause des travailleurs du pétrole. Ainsi, en janvier 1983, les militants de gauche, récemment élus à la tête du SINDIPETRO, changent le nom du siège du syndicat : de Ministro Arnaldo Prietto, il est nommé siège Oswaldo Marques de Oliveira, le premier président du SINDIPETRO – entre 1960 et 1962 – licencié en 1964. De même, au niveau du STIEP, le rapprochement des syndicalistes au pouvoir avec les anciens leaders syndicaux ira jusqu'à l'embauche par le syndicat, en 1982, de celui qui fut son président, entre 1960 et 1964 380 . Cela comme mesure provisoire, en attendant qu'il puisse bénéficier de la loi d'amnistie.

De ces contacts avec les leaders syndicaux amnistiés, apparaissait déjà, de la part des diverses tendances syndicales, la volonté de s'en servir comme moyen de légitimation. D'où la mise en place d'une stratégie de rapprochement avec ces leaders, tantôt par les syndicalistes issus de l'époque bureaucratique, tantôt par les militants de la gauche. Ainsi, lors de l'élection syndicale du SINDIPETRO, en 1982, les membres de la liste de gauche jugeront important de faire publier un manifeste de soutien à Mario Lima, ancien député fédéral et président du syndicat entre 1962 et 1964, qui, en raison d'une décision judiciaire, était retourné à l'entreprise l'année des élections.

Toutefois, dans le processus d'opposition grandissante entre militants de gauche et syndicalistes, les leaders populistes vont se ranger majoritairement au côté de ces derniers. Soit parce que les syndicalistes issus de l'époque bureaucratique entretenaient des liens personnels, remontant aux années 60, avec les populistes ; soit pour une question de génération, car les populistes partageaient avec les syndicalistes beaucoup de valeurs dominants, surtout au sujet du rôle du syndicat ; ou soit encore, parce que les militants de gauche avaient une conception du syndicalisme et des rapports entre base et direction syndicale très éloignée de la pratique syndicale des années populistes, le fait est que le rapprochement entre leaders syndicaux populistes et syndicalistes opposés à la CUT s'est fait de façon presque "naturelle", au dépens des militants de gauche.

‘<<Il y avait une influence directe de Wilton Valença, ainsi que des autres amnistiés, dans le syndicat. Du moins, lors de mon mandat. Pour mon ascension dans le syndicat, je sais qu'il a eu une influence très grande, le compagnon Wilton Valença. Il m'a beaucoup aidé. Il ne participait pas directement aux élections, car il n'était pas encore amnistié, mais il avait une influence. (...) alors, il m'indiquait aux compagnons.>> (Entretien avec un Responsable du STIEP entre 1978 et 1987).’

Dès lors, les populistes seront considérés comme des conseillers privilégiés des syndicalistes non cutistes. En illustrant la puissance le syndicalisme dans les années 60-64, les populistes joueront le rôle de véritables historiens.

‘<<Pour nous, Wilton Valença a été une sorte de conseiller, de professeur, d'historien.>> (Entretien d'un leader syndical du STIEP entre 1978 et 1990).’

Autrement dit, par les liens qui se nouent entre syndicalistes et leaders syndicaux de l'époque populiste, les méthodes syndicales et les discours de la période populiste seront revalorisés.

Ainsi, le STIEP fait publier, en mai 1984, un texte de Wilton Valença – président du syndicat licencié en 1964 par les militaires – sur les trente ans de création de PETROBRAS. Dans ce texte, il reprenait la même empreinte de nationalisme exalté des années 50 et 60 sur l'importance de PETROBRAS dans le développement du pays. De même que les interpellations sur le rôle des syndicats du pétrole dans la défense de l'entreprise nationale du pétrole.

‘<<Le 10 mai 1954 est une date historique ...(...). A partir de cette date, jusqu'au coup d'État de 1964, le quotidien de PETROBRAS fut marqué par une implacable bataille contre le temps, dans une lutte sans repos et conjointe entre administrateurs, techniciens et ouvriers, ..., pour vaincre le retard que nous avions dans un secteur si important pour la vie contemporaine.’ ‘A cette époque, Jeunes compagnons Petroleiros, PETROBRAS a été plus qu'une entreprise publique ; grâce surtout à l'action véritablement PARTICIPATIVE des syndicats du pétrole, notamment de notre STIEP, l'entreprise du pétrole fut un véritable emblème de la nation : la sigle mythique qui pouvait réunir et organiser le plus grand nombre de Brésiliens fidèles à leur Patrie.’ ‘Il revient à vous, Jeunes Compagnons Petroleiros, de rendre hommage, aujourd'hui, au travail héroïque des Compagnons Pionniers de la recherche du pétrole sur notre Terre. (...)’ ‘POUR DE MEILLEURES CONDITIONS DE VIE ET DE TRAVAIL, REGROUPONS NOUS TOUS, A NOUVEAU, AUTOUR DE NOTRE STIEP.’ ‘Signé Wilton Valença (président du STIEP licencié par les militaires) >>(In : EXTRAPETRO, Bulletin d'information du STIEP-BAHIA, mai 1984).’

Des textes de cette teneur n'avaient pratiquement pas été reproduits, chez les travailleurs du pétrole, depuis le coup d'État de 1964. Leur reprise, par les acteurs qui les avaient portés avant 1964, signifiait une volonté explicite, de la part des tendances syndicales hégémoniques au début des années 80, de se poser en tant qu'héritières du mouvement syndical populiste. C'est sur la base de ce discours que ces groupes vont établir une différence entre eux et les jeunes militants de gauche dans les années qui suivront. On y reviendra.

Le retour des leaders populistes et leur rapprochement avec les syndicalistes du pétrole de Bahia, eut pour conséquence la reproduction, dans ces années, d'anciens conflits entre leaders populistes. Ce fut notamment le cas des conflits opposant le président du STIEP, proche de Wilton Valença, à Mario Lima, après l'accession de celui-ci à la tête du SINDIPETRO en 1984. Cette divergence ira jusqu'au point où Mario Lima soutiendra une liste d'opposition lors des élections de 1984 au STIEP. On se souvient combien ces conflits furent importants dans les années populistes ; leur reproduction dans les années 80 est un signe de plus de la place que les leaders populistes réussirent à acquérir dans le syndicalisme des petroleiros de Bahia à cette époque.

Notes
380.

Il s'agit de Wilton Valença.