14.7. La grève de 1983

En juillet 1983, en pleine dictature militaire, les ouvriers des raffineries de Paulínia (située dans l'État de São Paulo) et de Mataripe (à Bahia) ont mené une grève de 5 jours. Cette grève, la première réalisée dans l'entreprise du pétrole depuis le coup d'État de 1964, fut menée pour protester contre la politique économique du gouvernement, notamment contre des mesures mettant en cause les avantages des employés des entreprises nationales. Elle fut très violemment réprimée : outre l'intervention militaire dans les syndicats, les deux raffineries furent occupées par l'armée et près de 10 % du personnel (198 travailleurs à Mataripe et 126 à Paulínia) fut licencié.

A en juger par ces résultats, cette grève ne pourrait être considérée autrement que comme une grande défaite des syndicalistes. Mais cette expérience fut interprétée différemment dans les deux raffineries en question. Tandis que dans la raffinerie de Paulínia, la grève de 1983 restera gravée dans les représentations du groupe comme un moment héroïque, où la combativité et la politisation du syndicat et de la profession furent mises à l'épreuve (voir à ce propos l'étude de Brandt et Allii, 1990), dans la raffinerie bahianaise, à l'inverse, la grève fut plutôt mal vécue. Elle sera, par la suite, reprise dans certains discours comme étant une grave erreur de la direction syndicale de l'époque, erreur qui, selon les tenants de ce discours, coûta l'emploi à presque "200 travailleurs et pères de familles".

Une des conséquences directes de ces deux manières d'envisager un événement vécu conjointement par les deux groupes, fut les résultats opposés lors des élections syndicales qui eurent lieu en 1984 dans les syndicats des deux raffineries. Tandis qu'à Bahia c'est le groupe de syndicalistes rassemblés autour d'un ancien leader syndical des années 60 qui emporte l'élection, dans la raffinerie de São Paulo, au contraire, non seulement ce sont les militants de gauche qui reprennent le contrôle du syndicat, mais de surcroît aucune autre tendance syndicale ne s'est présentée lors des élections.

A Bahia, les discours du groupe vainqueur de l'élection furent axés, durant la campagne électorale, sur la promesse d'un retour au "bon vieux temps" où les syndicats du pétrole étaient respectés et où les leaders syndicaux avaient un pouvoir de décision sur des questions liées à l'entreprise. Ainsi, dans ces discours, on discréditait les militants de gauche qui furent à la tête du syndicat lors de la grève de juillet 1983, leur reprochant une utilisation politique et partisane du mouvement syndical des ouvriers du pétrole. Dans un tract distribué par ce groupe, juste avant les élections, on pouvait lire la déclaration suivante, signée par un ancien président du syndicat :

‘<< Je soutiens le retour de Mário Lima à la tête de notre syndicat, parce que je crois que des ouvriers sans mémoire sont des ouvriers sans personnalité. Je me souviens bien des luttes menées par Mario Lima, surtout des grèves victorieuses, qui ont assuré la conquête de maints droits pour les travailleurs.’ ‘Pour défendre la classe ouvrière il est nécessaire d'avoir beaucoup d'expérience, de compétence et d'équilibre psychologique, qualités de notre compagnon MÁRIO LIMA’ ‘Pour ce que je connais de lui, il ne laissera jamais exploiter politiquement nos luttes syndicales, un mal qui caractérise notre syndicalisme aujourd'hui. (...) Il n'exposera pas, j'en suis sûr, la classe ouvrière à des humiliations et à la souffrance.>>.’

Non seulement ce discours constituait un moyen pour rappeler l'action syndicale de celui qui était à la tête de la liste, une action interprétée par le groupe comme positive pour les travailleurs, mais il était aussi un moyen indirect pour critiquer les jeunes syndicalistes qui avaient dirigé la grève de 1983, présentée dans ces discours comme source "de souffrances et d'humiliations".

Quand on apprend que ce groupe remporte les élections à une large majorité, on peut se poser la question suivante : comment se fait-il que les ouvriers du pétrole de Bahia, contrairement à ceux de Campinas, aient pu, en peu de temps, changer d'avis sur la direction syndicale élue peu avant la grève de juillet 83 ? Comment se fait-il que l'invocation du passé à Bahia ait pu devenir si efficace dans les stratégies électorales ? Reprenant la question dans d'autres termes, qu'est-ce qui, dans le passé des ouvriers du pétrole de Bahia, les rendait sensibles aux appels d'un retour au passé ?

Pour répondre à ces questions, il nous semble important de revenir en arrière, de porter notre regard vers des temps anciens, révolus, mais restés dans la mémoire de ces ouvriers. C'est en effet de la comparaison entre un passé lointain (les années 60) et un passé proche (1983) que les conflits à l'intérieur du syndicat des ouvriers du pétrole, dans les années 80, deviennent compréhensibles.