14. 7.2. Une gestion du travail trop autoritaire

La gestion du travail est mentionnée par pratiquement tous les personnes interviwés comme étant une des sources de conflits à PETROBRAS. Avant d'aborder cette question, quelques informations sont nécessaires. Ces informations ont été établis d'après les discours des acteurs eux-mêmes. De ce fait, elles sont tout autant des alibis, avancés a posteriori par les acteurs, que des indices sur la façon dont ils ressentaient certains problèmes à l'époque.

De cette manière, les références constantes des militants à la gestion du travail, ainsi qu'à la conjoncture socio-politique du pays, sont à la fois des manières "légitimes et légitimantes" de fonder l'identité sociale de l'opposition syndicale, dans ce début des années 80, et l'expression d'un certain malaise ressenti par le passé.

Tout cela pour dire que les références faites à la gestion du travail dans les discours des militants syndicaux doivent être comprises dans deux sens différents.

D'un côté, elles expriment une certaine inadaptation de ces militants aux rapports sociaux en vigueur à l'intérieur de PETROBRAS ; ces rapports étaient considérés comme trop autoritaires, trop contraignants vis-à-vis des travailleurs. En ce sens, nous pouvons parler d'une gestion du travail autoritaire, car elle était ressentie comme autoritaire par une partie des travailleurs de PETROBRAS. Parmi les personnes que nous avons pu interviewer pour réaliser cette recherche (y compris des ingénieurs et des non militants), il existe un consensus pour caractériser la gestion du travail des années 70 et du début des années 80 comme étant une "gestion trop autoritaire".

Une gestion est perçue comme plus ou moins autoritaire selon les modèles ou les idéaux de gestion avec lesquels les gens la comparent. Nous verrons que dans le cas des travailleurs du pétrole, ce modèle s'ancrait dans le passé, dans les histoires racontées par les anciens des années 50 et 60, où les conditions de travail étaient jugées plus humaines et plus avantageuses pour les travailleurs ; ce modèle se référait aussi au présent, car la libéralisation politique du pays, visible dès la fin des années 70, n'était pas compatible avec la perpétuation "de pratiques archaïques et autoritaires" de gestion.

Mais, en même temps, ces discours sur le caractère inhumain de cette gestion étaient pour les militants des arguments pour démontrer que leur manière d'envisager le problème était la bonne, que le militantisme syndical était le seul moyen pour lutter contre l'autoritarisme des "chefs" à PETROBRAS. A en juger par l'issue des événements, on peut admettre que les militants ont bien réussi leur pari : leur élection en 1982 à la tête du syndicat du raffinage de pétrole à Bahia en constitue la preuve.

Quoiqu'il en soit, dans presque tous les discours recueillis, la gestion du travail était considérée comme trop autoritaire et inhumaine, non seulement dans les rapports avec les syndicats - comme nous l'avons vu précédemment - mais surtout dans les rapports quotidiens entre les responsables et leurs subordonnés, cette gestion de l'entreprise était mal perçue par les travailleurs.

Ces rapports apparaissent dans les discours des militants comme très hiérarchisés : la possibilité pour le travailleur de contester les décisions des responsables était minime. Selon eux, le leitmotiv de l'entreprise, à cette époque, était "les chefs ont toujours raison", ce qui favorisait l'abus de pouvoir de quelques-uns.

Pour certains militants, un conflit de génération était à l'origine de ces rapports conflictuels. Cela parce que l'arrivée, à partir des années 70, de jeunes ayant un niveau scolaire plus élevé que celui des anciens travailleurs - lesquels de par leur ancienneté occupaient des postes de chefs intermédiaires - a créé une certaine tension entre ces deux groupes.

Mais, en même temps, une pression était exercée sur les travailleurs les plus anciens qui bénéficiaient du statut de "stables" 387 pour qu'ils acceptent la remise en cause de leur statut privilégié, contre une compensation financière. D'après certains de ces travailleurs, la stabilité de l'emploi les rendait plus résistants aux pratiques autoritaires des ingénieurs 388 .

Le secteur considéré comme le plus difficile de la RLAM, était le secteur de la maintenance. D'après les discours recueillis, les travailleurs y subissaient un véritable harcèlement. Leur temps était contrôlé dans les moindres détails (temps passé au toilette ou temps pris pour le café). Du reste, certains chefs de secteur avaient l'habitude, après les repas, de jeter le café restant afin d'éviter que les travailleurs ne cassent le rythme du travail en fournissant cette excuse.

Ce climat, dans le secteur de la maintenance, poussait les travailleurs à passer des concours internes pour changer de secteur, et aller en général vers l'opération, secteur jugé moins stressant et où il était plus facile de monter dans l'échelle professionnelle.

Un des critères que les personnes interviewées utilisent pour illustrer la hiérarchisation des rapports sociaux à PETROBRAS est l'existence de signes distinctifs : durant les années 70 et le début des années 80, l'entreprise adopta une politique de visibilité des niveaux hiérarchiques des travailleurs, à travers l'usage de signes distinctifs pour chaque fonction. Ainsi, les ingénieurs étaient reconnus par la couleur de leurs badges et de leurs casques ; de même, les travailleurs dits de "supervision" avaient un casque de couleur différente et leurs fonctions inscrites dans le dos. D'autres fonctions encore étaient identifiées par une petite marque sur le casque, ou par d'autres formes de distinction.

Pour les syndicalistes, cette procédure avait un sens explicite : éviter que le personnel d'encadrement et de la supervision devienne solidaire des autres travailleurs ; la stratégie de l'entreprise visait, selon eux, au développement au sein de son personnel dit "de confiance", du sentiment qu'il représentait les intérêts de la compagnie à l'encontre des intérêts des autres travailleurs. Ce qui explique la mise en place par l'entreprise de cours réservés aux ingénieurs et aux superviseurs afin de renforcer leur adhésion aux politiques de gestion du travail mises en place par la direction régionale de PETROBRAS.

En raison de l'importance évidente de ce sujet, nous reviendrons sur la question de la gestion du travail à PETROBRAS plus tard. Mais d'ores et déjà il faut admettre qu'il est très difficile de saisir le sens de certaines pratiques de gestion dans l'entreprise. Non seulement parce que le sens donné à certaines mesures est subjectif, change en fonction du locuteur ( pour les ingénieurs interviewés, ces mesures n'étaient pas si autoritaires que les militants le prétendent, etc.), mais aussi parce qu'on ne peut accéder à ces pratiques sinon de manière détournée, par le biais d'entretiens avec des personnages qui ont vécu l'époque ou par des documents préservés. La question est donc moins de savoir jusqu'à quel point les pratiques de gestion du travail étaient vraiment autoritaires que de voir comment cette perception est devenue dominante parmi les petroleiros.

En ce qui concerne les syndicats, la montée en puissance de la gauche syndicale chez les ouvriers du pétrole de Bahia, au début des années 80, témoigne de ce que la remise en question de la gestion du travail par la gauche avait une certaine répercussion sociale. Du moins, portée par un discours mettant en cause des pratiques jugées trop autoritaires, elle réussit à prendre le pouvoir syndical avec 90 % des voix exprimées.

Mais, au niveau théorique, nous pouvons penser que cela n'est pas du seul fait de la compétence de la gauche. Le discours de l'opposition syndicale prenait sens dans une conjoncture politique de démocratisation politique et de développement des mouvements sociaux. D'un certain point de vue, nous pouvons affirmer que, avec l'élection de la gauche à la tête du SINDIPETRO en 1982, la conjoncture politique brésilienne est internalisée à PETROBRAS.

Notes
387.

Il s'agit du statut dont jouissaient les travailleurs ayant plus de 10 ans d'ancienneté, jusqu'en 1966 ; ces travailleurs ne pouvaient être licenciés, sauf en cas de faute grave ou moyennant une importante compensation financière. Ce système changera en 1966, mais les employés qui avaient plus de 10 ans d'ancienneté à cette époque ont continué de bénéficier de cette protection.

388.

Dans l'imaginaire des travailleurs du pétrole de Bahia, nombreuses sont les "histoires" opposant des ingénieurs à des travailleurs "stables". Celle que nous trouvons la plus paradigmatique, est l'histoire d'un travailleur qui alla manger dans le réfectoire réservé aux ingénieurs et face à la résistance de l'un d'entre eux, contesta violemment ce privilège. Des faits comme celui-ci auraient été, selon certains, à l'origine du changement de politique de l'entreprise, éliminant la distinction entre le réfectoire des ingénieurs et celui des ouvriers.