15. Le retour dans le temps : la reproduction du syndicalisme populiste chez les travailleurs du pétrole de Bahia (1984-1990).

15.1. Le populisme dans une autre conjoncture.

La période d'après 1984 sera marquée par l'existence de profonds clivages au sein des travailleurs du pétrole de Bahia. Le retour en force d'anciens leaders syndicaux – et la conséquente revalorisation des pratiques syndicales du début des années 60 – s'opère dans un contexte complètement différent. D'une part, au niveau interne, l'opposition syndicale, organisée et intégrée aux débats syndicaux nationaux, est porteuse de visions et de propositions divergentes de celles défendues par les syndicalistes. D'autre part, au niveau externe, une conjoncture de grave crise économique (absence de croissance, accélération de l'inflation, chute du pouvoir d'achat des travailleurs, etc.) rend très mobilisateurs les débats syndicaux sur les alternatives aux politiques gouvernementales. Ces débats vont opposer notamment les défenseurs de la CUT à ceux de la CGT, au niveau national ; à PETROBRAS, ces débats vont se matérialiser par des divergences entre opposition de gauche et directions syndicales.

Ainsi, le contexte des années 80 était très différent de celui des années 60, où, malgré des querelles pour le pouvoir, prédominait une certaine unanimité au sein du mouvement ouvrier ; unanimité tissée autour de l'importance du nationalisme pour le développement du pays et du soutien nécessaire aux politiciens populistes.

Malgré cela, la stratégie adoptée par les leaders syndicaux populistes, arrivés aux syndicats en 1984 (soit directement, comme au SINDIPETRO, ou indirectement, comme au STIEP), sera centrée sur la volonté de reprendre les pratiques et les discours qui avaient fait la force des syndicats des petroleiros par le passé.

Ce retour dans le temps s'est fait par l'opposition entre le passé et le présent des travailleurs du pétrole ; par une interprétation négative de la grève de 1983, par rapport aux grèves "victorieuses" du passé.

‘<<Pourquoi la raffinerie de Mataripe, depuis 1983, n'a-t-elle pas eu l'opportunité de faire une grève ? A cause du traumatisme provoqué par une grève sans issue favorable aux travailleurs. De telles grèves laissent un traumatisme très important dans la base, voilà une chose que certains leaders syndicaux ne veulent pas voir. Alors, quand on a la préoccupation de ne pas faire de grèves sans issues favorables aux travailleurs, c'est parce que tous les syndicats qui réalisent ces grèves mettent des années pour s'en remettre. La facilité avec laquelle on réalisait des grèves à l'époque (dans les années 60) était une conséquence du fait qu'on ne connaissait pas de grèves avec des défaites des syndicats.>> (Entretien avec un leader syndical des petroleiros entre 1959-1964 et à nouveau entre 1984 et 1990).’

Cette opposition entre le passé et l'après grève de 1983, constituera même un des principaux éléments du discours de légitimation des syndicalistes populistes après 1984. Ainsi, au début de l'année 85, la direction du syndicat, en réponse aux critiques de la gauche, tiendra le discours suivant dans le journal d'information de la base :

‘<<Les petroleiros ont bien en mémoire leur action (des syndicalistes de gauche) radicale et irresponsable durant la courte période où ils ont été à la tête de notre organisation représentative. Restent vifs aussi les souvenirs des difficultés vécues par les compagnons licenciés, surtout ceux qui ne faisaient pas partie de la direction syndicale, en conséquence de la grève de 1983. Est-ce qu'ils (les syndicalistes de gauche) pensent que le travailleur de Mataripe n'a pas de mémoire ? Ils se trompent. Les travailleurs suivent, même à distance, notre travail pour soulever le SINDIPETRO, ..., afin de le rendre actif, puissant et respecté, comme il le fut par le passé. >> (In : SINDIPETRO-BA INFORMATIF, 01/85). ’

Cette manière de concevoir l'action syndicale des petroleiros de Bahia sera dominante jusqu'à la fin des années 80, quand la reprise des mouvements de masse par les syndicats des travailleurs du pétrole 393 dépassera la stratégie populiste.

Notes
393.

Cela, en résonance avec la banalisation et l'explosion du nombre de grèves dans le pays, entre 1988 et 1991.