15.2. La prise du pouvoir syndical par les populistes chez les petroleiros de Bahia

Les syndicalistes défendant des idées populistes arrivent à la tête des syndicats du pétrole en 1984. Comme on l'a vu antérieurement, dans le cas du SINDIPETRO, cela s'est fait par le retour, à l'entreprise, du principal leader syndical du raffinage du pétrole de Bahia dans les années 60 et par l'opposition de celui-ci aux groupes de gauche qui avaient organisé la grève de 1983.

Au STIEP, le rapprochement entre les leaders syndicaux et d'anciens leaders populistes s'organise dans le cadre des mouvements pour l'application de la loi d'amnistie à PETROBRAS. Ce rapprochement entre les leaders syndicaux issus de la période bureaucratique des années 70 et les populistes n'était pas complètement désintéressé : du côté des populistes il signifiait une aide institutionnelle de grande importance pour faire pression sur la compagnie et sur le gouvernement qui posaient des difficultés à reconnaître le caractère politique des licenciements des syndicalistes après 1964 ; du côté des syndicalistes, ce rapprochement était un moyen de profiter du passé des populistes pour augmenter leur légitimité auprès des travailleurs les plus âgés de PETROBRAS.

Mais, à l'opposé de ce qui s'est passé au SINDIPETRO, le rapprochement entre syndicalistes et populistes n'a pas signifié un conflit immédiat avec les militants de gauche. Bien au contraire, la stratégie adoptée fut d'inviter les militants à participer aux directions syndicales, afin de les intégrer à la politique syndicale mise en place et d'augmenter l'influence des leaders syndicaux sur les travailleurs les plus jeunes de l'entreprise. Cette proximité entre la gauche et les syndicalistes du STIEP fut facilitée par la participation de ces derniers au processus initial de création du PT et de la CUT, ce qui favorisera des liens et des contacts personnels entre les deux groupes.

Quoi qu'il en soit, le fait est que les deux listes gagnantes en 1984 arrivent au pouvoir avec une forte légitimité. Un indice de cela est qu'elles obtiennent une large majorité des voix exprimées : au SINDIPETRO, la liste de l'ancien leader syndical obtient 80 % des voix et, au STIEP, la liste des syndicalistes en place obtient 70 % des voix.

A partir de 1985, avec le retour de la démocratie, des contacts entre les syndicalistes du pétrole et les nouveaux maîtres du pouvoir rendent possible l'application intégrale de la loi d'amnistie à tous les travailleurs licenciés pour raisons politiques entre 1964 et 1979. Cela permettra le retour à l'entreprise de la grande majorité des militants et syndicalistes écartés durant la dictature 394 . On obtient de même la promesse de l'entreprise de réembaucher tous les travailleurs licenciés lors de la grève de 1983.

Sur le plan syndical, d'une part, ces faits vont favoriser le rapprochement entre leaders syndicaux et les militants et syndicalistes de l'époque du populisme ; d'autre part, ils vont légitimer les discours des syndicalistes en place, mettant en avant la nécessité du dialogue avec le gouvernement et l'entreprise, pour la résolution des problèmes des travailleurs. Cela dans une volonté explicite de prendre de la distance vis-à-vis des discours et des pratiques des syndicalistes et militants proches de la CUT (Centrale Unique des Travailleurs).

La conjonction de ces deux tendances accentuera les divergences entre la gauche et les autres tendances syndicales au sein des petroleiros de Bahia. Ainsi, le groupe de gauche du SINDIPETRO publie, dès la fin 1984, un journal d'opposition syndicale critique à l'égard de la direction du syndicat. Ce journal, imprimé dans des syndicats de Bahia liés à la CUT, deviendra dès lors un symbole de l'existence formelle de l'opposition ; laquelle essayait ainsi de mettre en place une sorte d'alter-ego de la direction syndicale : ces journaux étaient centrés sur les commentaires et critiques des décisions et actions des responsables syndicaux.

De même, au sein du STIEP, un fois passée la phase de rapprochement électoral entre syndicalistes et militants de gauche, les divisions internes de la direction du syndicat commencent à émerger. Suite à des querelles internes, en 1986, le président du syndicat rétrograde trois militants de la gauche, délégués syndicaux libérés, aux postes de simples délégués syndicaux. La gauche contre-attaque par le biais d'une "pétition" signée par 2.000 travailleurs (sur un total de 7.500 syndiqués), demandant la tenue d'une assemblée pour réévaluer la question. Face au refus de la direction d'obtempérer, les militants fondent un groupe d'opposition et commencent à publier régulièrement des journaux critiques à l'égard des syndicalistes, lesquels se rapprochent davantage des populistes et des représentants des retraités.

Dès lors, la vie syndicale des travailleurs du pétrole de Bahia deviendra très marquée par les querelles entre opposition de gauche et leaders syndicaux revendiquant l'héritage de la tradition syndicale populiste. En dehors de conflits d'intérêts personnels ou politiques entre groupes syndicaux, ces querelles étaient aussi l'expression de conceptions différentes de l'activité syndicale et de l'insertion des travailleurs dans les rapports de pouvoir de la société. Elles étaient, de même, l'expression de positionnements différents vis-à-vis du passé syndical du groupe.

Notes
394.

Jusqu'alors, seuls ceux qui avaient réussi à obtenir des avis favorables de la justice avaient réussi à être réembauchés par PETROBRAS.