15.4.1. La grève de 1988

Cette grève a une importance considérable dans l'histoire des petroleiros, car elle fut leur première grève nationale. En effet, lors des onze jours de grève (entre le11 et le 21 novembre 88), la plupart des unités productives de PETROBRAS du pays sont arrêtées, menaçant ainsi le ravitaillement du pays en dérivés pétroliers. Le coup d'envoi de cette grève fut marqué par la décision du Tribunal Supérieur du Travail (TST) de ne pas concéder aux travailleurs du pétrole les mêmes augmentations que celles qui venaient d'être accordées à d'autres groupes de travailleurs.

Dès septembre 1988, les syndicalistes menaçaient l'entreprise de lancer une grève d'ampleur nationale au cas où elle ne concéderait pas d'augmentation salariale importante. Dans l'impossibilité de trouver un accord, l'entreprise fait appel à la Justice du Travail pour juger du bien fondé du litige. Les travailleurs s'attendaient à ce que le TST juge le cas des petroleiros de la même façon qu'il avait jugé les procès des travailleurs de la Banque du Brésil. C'est-à-dire, par une augmentation de 4 %, au titre de la productivité, et de 26,06 %, au titre de "restitution de l'inflation" qui n'avait pas été considérée par le gouvernement en 1986, lors du lancement du Plan Économique connu sous le nom de Plan Bresser.

Toutefois, à la surprise générale, le TST décida de n'accorder que 4 % d'augmentation, refusant les autres 26,06 %. Cette décision déclencha une marée d'indignation de la part des travailleurs et des syndicalistes du pétrole. En peu de temps, sous le conseil de la Commission Nationale des Petroleiros, la grève gagna les principales unités de production du pays.

A Bahia, cette fois-ci, les deux syndicats du pétrole prirent partie dans le mouvement, arrêtant presque toutes les activités de l'entreprise dans l'État. Un fait très significatif du niveau de participation des travailleurs à ce mouvement, fut la participation de certains ingénieurs de l'entreprise.

On peut expliquer cette participation inattendue(les évaluations des syndicalistes et des militants, avant la grève, étaient très pessimistes) non seulement par le sentiment d'avoir été victimes d'une injustice du TST, mais aussi par la conjoncture du pays.

La réalisation d'élections pour les maires et les conseillers municipaux, le 15 novembre 1988, allait renforcer la gauche, laquelle remporta les élections dans certaines grandes villes du pays (notamment São Paulo). Ces élections, au beau milieu de la grève des petroleiros, n'incitèrent pas le gouvernement et l'entreprise à faire appel à l'armée pour obliger les travailleurs à reprendre le travail. D'autant plus que peu de temps auparavant, le 10 novembre 1988, l'action de l'armée, lors d'une grève dans l'Usine Sidérurgique de Volta Redonda, dans l'État de Rio de Janeiro, s'était soldée par la mort de trois ouvriers ; ce qui choqua beaucoup l'opinion publique.

La solution à l'impasse créée par la grève des petroleiros sera trouvée, une fois encore, par la médiation du ministre des Mines et Énergies, Aureliano Chaves, qui obtint du gouvernement la proposition de donner une augmentation de 15 % en plus des 4 % accordés auparavant par le TST. Face à la menace du gouvernement d'avoir recours à la force en cas de refus de cette proposition, la Commission de Grève donne la consigne de mettre fin à la mobilisation.

Malgré de faibles conquêtes matérielles, sur le plan symbolique cette grève fut très importante.

‘<<Nous revenons, mais avec la tête haute : Sans Punitions, sans licenciements ; nous avons imposé une négociation au gouvernement, avec la base en grève.>> (In : INFORMATIVO STIEP, 21/11/88).’

En effet, cette grève marque le retour des travailleurs du pétrole aux grandes mobilisations de masse du pays. Après cette grève, les discours de stigmatisation du mouvement de juillet 83 perdront leur sens. Les grèves redeviennent des modèles d'action légitimes.

‘<<DE NOUVEAUX ASSOCIéS’ ‘Avec la très belle démonstration d'unité et de force de la base, lors de cette dernière grève, l'enthousiasme pour le syndicalisme a augmenté. Une preuve de cela est le nombre important de nouveaux compagnons voulant se syndiquer. Cette euphorie a atteint même les ingénieurs. Nombreux sont les employés avec des titres universitaires qui se sont syndiqués.>> (In : INFORMATIVO SINDIPETRO n° 73/88, 29/11/88).’

Dès lors, les syndicats vont adopter des discours beaucoup plus mobilisateurs que ceux du passé, prévoyant déjà la réalisation d'autres grèves dans le futur.

‘<<En préparation de LA PROCHAINE GRÈVE’ ‘Tant que la société sera divisée en classes sociales, les travailleurs auront toujours besoin de lutter pour défendre leurs intérêts de classe. L'accord que nous venons de faire fut le meilleur que la conjoncture permettait d'obtenir ; mais il est très loin de faire face à nos revendications et besoins. Cela démontre que nous devons être mobilisés en permanence, prêts pour la lutte.>> (In : INFORMATIVO STIEP, 23/11/88).’

Ce genre de discours, de la part des syndicalistes du pétrole, n'aurait pas été envisageable quelques années auparavant. La reprise des mouvements collectifs par les petroleiros, dans une conjoncture où les idées de la gauche devenaient dominantes chez les travailleurs des entreprises d'État (ceux qui souffraient le plus des mesures d'austérité du gouvernement), les amène à se rapprocher des discours de la gauche. Autrement dit, avec la grève nationale de 1988, les idées syndicales de la gauche deviennent hégémoniques parmi les travailleurs du pétrole de Bahia.

Cela, même au niveau du SINDIPETRO, où le poids des populistes était plus conséquent et où la stratégie de légitimation par les contacts politiques – établis par le président du syndicat et député fédéral, Mario Lima – restait importante ; dans ce syndicat, les responsables se verront obligés de construire leur discours en prenant bien soin de ne pas paraître moins "authentiques" que les militants et syndicalistes liés à la CUT et à la gauche syndicale.

‘<<Nous avons traversé un moment difficile (durant la grève de 1988), ce qui nous a obligés à arrêter le mouvement. Malgré un résultat économique peu favorable, à plusieurs égards le MOUVEMENT FUT VICTORIEUX. (...).’ ‘La consigne donnée par la Commission Nationale – choisie par le congrès national des petroleiros et composée de représentants de 8 syndicats, dont 4 liés à la CUT – de suspendre le mouvement de grève fut acceptée par tous, dans les assemblées. (...)’ ‘Nous revenons avec peu d'augmentations salariales, mais avec la tête haute : nous pouvons regarder dans les yeux les chefs (qui pensent représenter le patron) et les rares compagnons qui n'ont pas pris part à la grève. Nous revenons victorieux. (...) Nous avons fait plier le gouvernement, qui nous respectera dans les luttes futures, qui viendront. (...). Dorénavant, quand l'entreprise ou le Gouvernement voudront nous faire une autre "goujaterie", ils y réfléchiront à deux fois.>> (In : INFORMATIVO SINDIPETRO, n° 71/88, 23/11/88). ’

Cette volonté de ne plus stigmatiser les pratiques syndicales de la gauche syndicale, au SINDIPETRO, ira jusqu'à la réhabilitation des dirigeants syndicaux qui étaient à la tête du syndicat lors de la grève de 1983. Cela surtout s'agissant du président du SINDIPETRO durant cette grève, lequel fut le seul travailleur licencié à la fin du mouvement qui ne parvint pas à réintégrer PETROBRAS, dans le cadre des accords réalisés, en 1985 et 1986, entre l'entreprise et les syndicats du pétrole.

‘<<G. doit réintégrer l'entreprise.’ ‘Le compagnon G., ex-président du SINDIPETRO licencié durant la grève de 1983, (...), aura ses droits assurés par la nouvelle Constitution du pays.’ ‘Lors de l'assemblée mettant fin à la grève il y a eu des manifestations de solidarité à ce compagnon : l'assemblée a même délibéré afin qu'un télégramme soit envoyé au président de la PETROBRAS demandant une étude rapide de cette réintégration. Dans le cortège qui se dirigeait vers l'entrée de la raffinerie, à la fin de la grève, G. a fait partie du groupe qui marchait devant les travailleurs ...>> (In : SINDIPETRO INFORMATIVO : n° 73/88, 29/11/88).’

Or, cela, dans la logique des populistes représentait une défaite importante ; car non seulement la grève de 1983 était un des arguments préférés des populistes contre la gauche syndicale, mais de plus, les principaux militants de cette gauche avaient été proches de la direction syndicale écartée en 1983. Que les responsables syndicaux populistes aient décidé de modifier cet argument essentiel de leur discours, montre bien combien la gauche avait réussi à devenir une référence pour les travailleurs du pétrole à cette époque.