15.4.2. la division des populistes

La reprise des mouvements de masse chez les petroleiros de Bahia deviendra encore plus évidente dans les années 89 et 90, quand ils participeront aux principaux mouvements décidés par la base au niveau national.

Ainsi, le 14 et le 15 mars 1989, les deux syndicats du pétrole de l'État participent à la Grève Générale appelée par les deux principales centrales syndicales du pays, la CUT et la CGT, pour protester contre la politique économique du gouvernement. De même, en janvier 1990, les petroleiros de Bahia participent à la grève nationale des petroleiros lors des négociations salariales avec l'entreprise. Comme en 1988, les difficultés rencontrées lors de ces négociations amèneront l'entreprise à faire appel au Tribunal Supérieur du Travail (TST), lequel, en période de vacances des juges, décide d'accorder une exception et jugent la grève des petroleiros. Les travailleurs, craignant une action répressive de PETROBRAS, décident de reprendre le travail après le jugement du TST, acceptant un jugement qui ne correspondait pas aux revendications syndicales.

Cette grève, d'une durée de huit jours, eut la particularité d'avoir été retardée depuis septembre 1989 à cause de la campagne électorale pour la Présidence de la République en octobre et novembre 1989. D'après plusieurs témoignages de militants et syndicalistes de gauche, ils ont attendu le résultat des élections, car ils ne voulaient pas porter préjudice à la campagne du candidat du Parti de Travailleurs (PT), le syndicaliste LULA. Ce fait allait donner des arguments aux syndicalistes populistes contre l'utilisation politique du mouvement des petroleiros par les syndicalistes et militants de la CUT.

‘<< Nous sommes indignés, mais pleinement conscients de l'objectif final des manoeuvres politiques des compagnons du DNP-CUT qui, comme les travailleurs peuvent l'observer, font tout pour améliorer l'image de leur candidat pour les élections du 15 novembre ... (...). Que la CUT réussisse son pari et que son candidat soit élu. Mais pas aux dépens des mobilisations des travailleurs. (...).Pourquoi reporter la mobilisation pour le mois de janvier ? Pour attendre le résultat des élections ?>> (In : INFORMATIVO SINDIPETRO, n° 69/89, 24/10/89).’

Cette grève atteste bien du fait que la conjoncture nationale avait acquis un poids important dans les évaluations et dans les décisions prises par les syndicalistes du pétrole à cette époque. Elle témoigne aussi du poids que la gauche avait réussi à prendre dans le mouvement national des petroleiros, car elle parvient à imposer sa volonté d'attendre la fin des élections présidentielles.

C'est dans ce contexte d'hégémonie des idées syndicales de la gauche chez les travailleurs du pétrole que les divisions au sein des groupes populistes deviendront plus importantes : à l'intérieur de chaque direction syndicale cette fois-ci.

Au niveau du STIEP, la proximité entre le président du syndicat et les militants de la gauche va créer des tensions à l'intérieur de la direction syndicale. En 1989, par exemple, une partie de la direction menace de destituer le président à cause de sa décision de créer un Département de Retraités directement attaché au syndicat ; en concurrence, donc, avec les dirigeants de la SOTAPE (Société des Travailleurs Retraités de PETROBRAS), des alliés traditionnels des syndicalistes populistes. En raison de la popularité du président du syndicat (lequel avait un style de leadership charismatique) et de l'organisation, par la gauche, de manifestations contre ce changement, la majorité de la direction du syndicat devra revenir en arrière.

‘<< ... on a diffusé le bruit que les Responsables du STIEP étaient contre le compagnon président A., essayant de l'obliger à renoncer à son poste. Ce n'est pas vrai. A aucun moment, les membres de la direction du syndicat n'ont pensé à provoquer la démission du président, avec qui nous sommes en complet accord sur les questions touchant aux intérêts principaux des petroleiros. Ce bruit a été répandu par un groupe, connu de tous, qui est habitué à perturber nos assemblées, réunions et actions publiques ... (...).’ ‘Notre direction, (...),forme une équipe qui présente parfois des divergences internes, en général, liées aux méthodes de prise de décisions, (...).’ ‘En vérité, ce que nous considérons comme un fait normal, il y a des divergences concernant l'évaluation de la crise par laquelle passe le pays et les formes de lutte les plus adéquates pour chaque période. Mais nous les avons toujours résolues par le dialogue et le débat et jamais par le mensonge et par le "ragot"...>> (In : INFORMATIVO STIEP, sans datte 409 ).’

Quoi qu'il en soit, la création du Département des Retraités par le président du STIEP sera un coup très dur porté aux stratégies électorales des syndicalistes populistes, pour qui les votes des retraités étaient importants. De plus, la décision de la base, prise en assemblée très mouvementée, que seuls les retraités liés au Département des Retraités et à jour de leurs cotisation 410 pouvaient voter dans les élections syndicales, allait réduire notablement le poids des retraités dans les querelles syndicales du STIEP. Ce qui explique, en partie, les divergences internes à la direction du syndicat.

Au SINDIPETRO, à la proximité des élections syndicales de juin 1990, des membres de la direction syndicale vont essayer de se rapprocher de la gauche afin de composer une liste commune. Toutefois, les militants de gauche, forts de leur légitimité auprès de la base, refuseront ces tractations avec les dirigeants les plus engagés dans le syndicalisme populiste.

Dès lors, ces syndicalistes vont essayer de se désengager de la direction syndicale, voulant ainsi se démarquer des pratiques jugées, par de plus en plus de travailleurs, comme très conciliantes vis-à-vis de l'entreprise.

‘<<Durant les trois années précédentes nous avons dû faire des concessions et agir de manière unitaire pour empêcher que notre SINDIPETRO ne reste entre les mains du député Mário Lima et de ses disciples, car cela aurait été un retour en arrière, avec l'implantation définitive d'un syndicalisme "officiel" parmi nous.>> (In : Brochure de la campagne électorale, en mai 1990, de la liste du groupe de dirigeants syndicaux dissidents>>.’

Tout cela met bien en évidence le processus de perte de légitimité des syndicalistes populistes chez les travailleurs du pétrole de Bahia, à la fin des années 80.

Ce qui explique que lors des élections syndicales, en 1990, dans les deux syndicats de petroleiros de Bahia, ce seront les listes des militants de gauche qui l'emporteront.

Ce changement dans la manière dont les petroleiros percevaient les populistes était contemporain du retour des mouvements de masses parmi les travailleurs de PETROBRAS, ainsi que de la progression politique, durant ces mouvements, des oppositions syndicales. Dès lors, une question se pose : quelle était la stratégie de la gauche syndicale et quelle était leur base de soutien ?

Notes
409.

Mais vraisemblablement du mois de septembre 1989.

410.

Mesure rendue possible par les changements introduits dans la législation syndicale durant les travaux de rédaction de la nouvelle Constitution du pays, entre 1986 et 1988. L'un de ces changements fut justement que les syndicats étaient libres de décider de leurs règlements intérieurs.