15.4.3. La tactique de la gauche

Dès le début de la création des groupes d'opposition, les divergences entre leurs membres étaient très importantes. Par rapport aux stratégies syndicales du groupe, par exemple, la question se posait de deux manières différentes. D'un côté, il fallait augmenter la diffusion de leurs idées au sein de la base ouvrière ; ce qui était vu comme un moyen de faire avancer la conscience de classe des travailleurs. De l'autre, il fallait adopter une stratégie de prise de contrôle de l'appareil syndical.

Les divergences au sein des oppositions naîtront justement des difficultés à concilier ces deux questions. Ainsi, une des divergences majeures au sein de la gauche était marquée par des positions contraires sur la meilleure stratégie à adopter pour atteindre ces deux objectifs.

Jusqu'à 1987, la position dominante, parmi les militants des oppositions syndicales, était de miser sur la diffusion de leurs idées, afin de convaincre la base du bien fondé de celles-ci. L'adoption de cette stratégie allait provoquer, au STIEP, la rupture entre les militants de la gauche et les responsables syndicaux en place : les méthodes employées par la gauche étant mal perçues par ses alliés populistes. Voyons, par exemple, comment le secrétaire général du STIEP nous parle de ses divergences avec la gauche.

‘<<Je pensais qu'on devait faire du syndicalisme sans y mêler la politique partisane. (...) L'influence politique doit exister seulement quand on se sert des politiciens pour obtenir des avantages pour les travailleurs : cela avec n'importe quel politicien, indistinctement, pour améliorer la situation des travailleurs. (...) Alors [avec l'arrivée des militants de gauche], j'ai trouvé qu'il y a eu de l'ingérence politique dans notre syndicat. Nos divergences tournaient autour de cette question. (...).’ ‘N. fut désigné délégué syndical, et c'est là que l'ingérence politique a commencé. J'admire beaucoup N., mais le travail qu'il faisait consistait seulement à recruter de nouveaux adeptes pour son parti. Je dis cela car quelques fois je suis allé avec lui dans les régions de production et il allait toujours dans les maisons des compagnons : histoire de catéchiser les gens pour les faire adhérer à son parti. Je le critiquais pour cela. Le travail qu'il devait faire en tant que délégué c'était le même travail qu'on faisait, c'est comme ça que les problèmes ont commencé. Je lui disais que s'il allait dans les unités de production et s'il trouvait des problèmes touchant les travailleurs, il devait aller parler avec les chefs de secteur ou avec leurs supérieurs hiérarchiques. Au cas où il ne réussissait pas, il pouvait exposer ces problèmes aux réunions de la direction syndicale pour qu'on puisse aller jusqu'au Surintendant. C'était ça la fonction du délégué. Mais N. n'était pas d'accord. (...). C'est à dire, il y avait une divergence politique entre nous. Dans ma manière de voir les choses, ce qu'il voulait c'était cela : pour résoudre un problème il fallait faire un mouvement, une grève, quelque chose de ce genre. Je pensais le contraire. Avant d'aller jusqu'à ce point, nous devions discuter, négocier quelque chose pour essayer de résoudre la question.>> (Entretien avec le Responsable du STIEP entre 1978 et 1987).’

On voit par là que la priorité de la gauche à cette époque était d'augmenter son impact politique sur la base. Ainsi, des faits caractéristiques de cette phase seront l'expulsion des militants de gauche de la direction du STIEP, en 1986, ainsi que le lancement de la publication d'un journal d'information de l'opposition.

Mais, déjà à cette époque, les tentatives de conciliation entre les deux objectifs de l'opposition cités plus haut (avoir l'hégémonie politique et idéologique de l'action syndicale des petroleiros) provoquaient une certaine friction à l'intérieur de la gauche. La décision de certains membres de l'opposition de participer à la direction syndicale en 1984 ne fut pas unanime parmi les militants de gauche, qui à cette époque se réunissaient pour mener une action commune.

Pour certains, la participation de la gauche à une direction syndicale non cutiste pouvait être perçue par la base comme une légitimation des politiques menées alors par les syndicats, tandis que pour d'autres, cela pouvait signifier un début de changement de l'action syndicale chez les travailleurs du pétrole.

De même, après le départ des militants de gauche de la direction syndicale, en 1986, la décision de publier un journal d'information de l'opposition syndicale, mettant en évidence, ou non, le nom de la CUT, fut le fruit de longs débats ; pour certains militants revendiquer une identité de "cutiste" était un peu suicidaire, au vu des caractéristiques de la base des petroleiros, et de l'attachement de cette base à un type de syndicalisme plus tourné vers la défense de l'entreprise et du monopole d'État que de la lutte de classes. Pour d'autres, à l'opposé, la revendication du nom de la CUT était important pour rassembler autour de l'opposition la partie progressiste de la base (les jeunes techniciens), en même temps que pour faire "l'éducation politique" des secteurs plus conservateurs.

Quoi qu'il en soit, cette première période de l'opposition syndicale des petroleiros fut davantage marquée par la victoire des thèses tournées vers la diffusion des idéaux de la gauche. L'événement majeur dans cette stratégie fut la participation de la gauche aux élections de 1987 avec des listes propres.

Toutefois, la défaite des oppositions lors des élections de 1987 a montré d'une façon très nette l'impact déstabilisateur des retraités aux élections syndicales (comme on l'a vu, selon des estimations faites par l'opposition, environ 90 % des retraités, dont le poids proportionnel était d'environ 40 % du collège électoral, ont voté pour les populistes, en 1987, au STIEP). Dès lors, la stratégie d'alliances avec d'autres groupes syndicaux deviendra dominante au sein de la gauche. C'est une phase d'autocritique de la gauche par rapport à ses options passées.

‘<< Au début de la période 1984-1987, le travail réalisé par les trois membres de l'opposition à la direction du syndicat (...), était parfois complètement dissocié des personnes qui, en dehors de la direction syndicale, participaient aux luttes syndicales et nous soutenaient. Que ce soit par "volontarisme", 'inexpérience ou, même, par avant-gardisme, le travail des militants de l'opposition ne prenait pas en compte la réalité de la corporation dont nous faisons partie. (...) Si nous avions commencé le travail de prise du pouvoir par la voie interne, c'est-à-dire, en affaiblissant et isolant les positions de droite, il serait correct de continuer ce travail, pour ramener de notre côté les responsables syndicaux qui, quoique conservateurs, pouvaient évoluer avec nous dans la continuité du travail syndical ...>> (In : Texte écrit par un militant syndical de gauche et discuté par l'opposition du STIEP en 1988).’

Dès lors, l'opposition syndicale va mener une action privilégiant la formation d'alliances syndicales, avec des tendances considérées par elle comme conservatrices ; cela tout en préservant les liens avec ses sympathisants.

‘<< Mettant en pratique de telles propositions, nous pourrons mener un travail où nous ne perdrons pas les spécificités de notre travail d'opposition (proche de la partie avancée de la base) et où nous aurons les conditions pour dépasser les barrières qui nous tiennent éloignés de la partie conservatrice des petroleiros.>> (In : Évaluation d'un militant syndical citée plus haut).’

Cela entraînera le rapprochement des militants des oppositions de certaines tendances des directions syndicales en place, ainsi qu'un certain assouplissement des discours tenus par la gauche.

Un indice de cela est le fait qu'à partir de 1987, l'opposition du STIEP ne publiera plus de journaux d'information et les publications de l'opposition du SINDIPETRO seront moins fréquentes. Cela, parce qu'ils craignaient que la base ne comprenne pas comment il pouvait exister une opposition au syndicat parmi les travailleurs. Autrement dit, ils craignaient que la base ne prenne "l'opposition comme quelque chose contre le syndicat et non contre les positions conservatrices de la direction syndicale".

Toutefois, c'est la reprise des grèves par les petroleiros, à partir de 1988, qui mettra en évidence les militants de l'opposition. Ces militants, davantage préparés pour les conflits idéologiques et porteurs de discours de valorisation des concentrations de masse, vont très vite gagner une légitimité politique importante parmi les travailleurs du pétrole. Nous allons y revenir.