15.6.2. Du pouvoir de l'écrit

L'anthropologue Jack Goody (1996) a souligné le fait que l'écriture des versions d'un mythe contribue à la diminution du nombre de ces versions. A partir du moment où une tradition orale est soumise à la forme écrite, elle se rigidifie, et devient difficilement exprimable en un grand nombre de versions différentes. L'écriture a le pouvoir de figer l'oral.

Un phénomène semblable commence à se produire chez les travailleurs du pétrole, à partir de la deuxième moitié des années 80. Non seulement par un intérêt nouveau des chercheurs pour la question syndicale à PETROBRAS, ou encore, à cause de la parution de certains ouvrages de retranscription de la tradition orale des travailleurs du pétrole de Bahia 419 , mais aussi par la volonté des syndicalistes d'écrire leur histoire. Cela surtout par le biais des journaux des syndicats.

Ainsi, dès juin 1985, la direction du SINDIPETRO publie un article pour "rappeler" l'anniversaire de la création du syndicat. Dans cet article, il fut question de nommer tous les membres de la première direction exécutive du syndicat entre 1960 et 1962, y compris le président du syndicat en 1985. De même, on cita les autorités présentes à cette cérémonie : le gouverneur de l'État, le maire de Salvador, parmi d'autres. Autrement dit, cet article constituait un moyen pour réactiver la mémoire sociale du groupe, en rappelant que dès les années 60 le président du syndicat participait déjà aux luttes syndicales des petroleiros.

Cette volonté de "reconstituer" l'histoire des petroleiros sera encore plus manifeste dans le journal du SINDIPETRO de septembre 1988.

‘<<En raison des trois interventions politiques que le SINDIPETRO-BA a souffert au cours de son histoire – toutes les trois soumises au pillage de ses archives – notre syndicat ne possède pas de documents historiques, surtout concernant les premières années de vie du syndicat. (...).’ ‘Il (le syndicat) a souffert trois interventions politiques : la première en 1964, quand le président était le compagnon Mario Lima ; la deuxième en 1968, quand le président était le compagnon Marival Caldas et la troisième en 1983, durant le mandat du compagnon Germino Borges. Les trois interventions ont détruit nos archives, de façon délibérée.’ ‘Pour récupérer cette dette historique, nous allons essayer de reconstituer nos archives ; pour cela nous appelons les compagnons les plus anciens, ceux qui possèdent des publications syndicales, à en faire don au syndicat. Nous allons aussi faire des enregistrements d'entretiens avec d'anciens compagnons, en vue de la publication d'un livre sur l'histoire glorieuse du SINDIPETRO-BA.>> (In : JORNAL SINDIPETRO, n° 45, année 27, septembre 1988).’

Autrement dit, cette volonté de "restituer" l'histoire syndicale des petroleiros rentrait dans une logique de "légitimation" par l'écrit des versions orales qui circulaient parmi les travailleurs. C'était, en quelque sorte, la transformation des "mythes" en "histoire".

Notes
419.

C'est le cas notamment de l'ouvrage de Costa (1990).