16.1.1. La grève de 1995

Cela fut à l'origine du déclenchement de la plus longue grève des travailleurs du pétrole en mai/juin 1995. Au départ, cette grève était la première étape d'un mouvement qui devait conduire à une grève générale des travailleurs du secteur public contre les réformes constitutionnelles et contre les privatisations annoncées par le gouvernement.

Cette stratégie n'était pas sans provoquer des remous au sein du mouvement syndical brésilien. La légitimité du nouveau gouvernement, élu à une large majorité des voix (54,28 %), dès le premier tour des élections, faisait craindre à certains leaders syndicaux un conflit direct avec le gouvernement ; cela d'autant plus que le Secrétaire Général de la Force Syndicale, centrale syndicale rivale de la CUT, avait menacé d'organiser des grèves en faveur des réformes proposées par le gouvernement, affirmant comme argument que les fonctionnaires et travailleurs des entreprises de l'État étaient des privilégiés 426 .

Ainsi, dès en mars 1995, lors de la réunion de direction de la CUT, il ne se dégagea pas de consensus sur la stratégie à adopter pour empêcher les réformes de la Constitution. D'après des entretiens publiés dans la presse 427 , le Secrétaire Général de la centrale, par exemple, proposait que la CUT participe aux pourparlers politiques sur les réformes, pour soutenir celles qui lui paraissaient importantes pour le pays et critiquer celles qui allaient à l'encontre des principes de la centrale (notamment les privatisations et les modifications des droits des travailleurs). Pour d'autres tendances de la CUT, dont les leaders syndicaux des petroleiros, le seul moyen d'éviter les réformes du gouvernement était d'organiser de grandes grèves, afin de placer ces réformes sur la scène publique. Cette stratégie du conflit interpellait surtout les leaders syndicaux représentant les travailleurs du secteur public, lesquels étaient sous le coup des mesures annoncées par le gouvernement.

Ainsi, lorsque les principales corporations de travailleurs du secteur public, liées à la CUT 428 , entrent en grève, le 03/05/95, c'est la politique économique que le gouvernement voulait mettre en oeuvre qui était en jeu. Dans le cas spécifique des petroleiros, à cette volonté générale, s'ajoutait la frustration des accords passés l'année précédente et jusqu'alors non respectés par l'entreprise. De cette manière, lorsque les autres travailleurs décident de mettre fin à leurs grèves, par manque de mobilisation des bases, les petroleiros décident de continuer leur mouvement. De ce fait, la grève des petroleiros allait avoir une double visibilité. D'une part, au niveau interne de la corporation, il s'agissait de contraindre l'entreprise à respecter les accords passés et d'autre part, au niveau externe, de la société civile, de lutter contre la fin du monopole d'État sur le pétrole.

Dès lors, les enjeux qui tournaient autour de ce mouvement des petroleiros n'étaient pas de simples enjeux économiques, c'étaient aussi des enjeux politiques. Cela devient explicite lors de la déclaration du responsable des Ressources Humaines de PETROBRAS à la presse 429 ; déclaration selon laquelle l'entreprise était économiquement en mesure d'honorer les accords, mais cela dépendait de l'aval du gouvernement. De même, quand le TST déclarera, le 11 mai, les accords passés en 1994 sans valeur légale, l'ancien président de la République, Itamar Franco – qui avait été le garant des accords passés entre l'entreprise et les syndicats – critiquera vivement la décision du TST et la position du gouvernement 430 .

Cette orientation politique de la grève, en fait un événement significatif sur le plan symbolique. Pour le gouvernement il s'agissait de casser définitivement les résistances du mouvement syndical à son projet libéral (d'où les constantes références dans la presse aux similitudes entre cette grève et celle des mineurs de la Grande-Bretagne de Margaret Tchatcher), tandis que pour les syndicalistes, elle signifiait un moyen d'imposer des limites à ce projet.

Ce sont ces enjeux qui expliquent la radicalisation des deux parties au cours du mouvement. Ainsi, les travailleurs, après le jugement rendu par le TST (sur le caractère abusif de la grève), arrêtent presque complètement la production de pétrole et de dérivés, menaçant sérieusement le ravitaillement en combustibles du pays.

De son côté, le gouvernement, profitant du caractère impopulaire du mouvement des petroleiros, envoie l'armée dans les principales raffineries pour obliger le retour des travailleurs.

Dans ce bras de fer, le gouvernement sortira largement victorieux, car non seulement il obligera les travailleurs du pétrole à mettre fin à leur grève après 31 jours, sans qu'aucune de leurs revendications ne soit prise en compte mais, de plus, il réussit à faire passer au Congrès National la fin des principaux monopoles d'État, dont le plus important, sur le plan symbolique, le Monopole sur le pétrole.

Comme nous l'avons déjà fait remarquer, la fin de cette grève représenta une défaite importante non seulement pour les syndicalistes du pétrole, mais aussi pour la gauche brésilienne. Elle mit en évidence l'incapacité de cette gauche à faire face au projet libéral du gouvernement ; projet devenu hégémonique non seulement parmi les parlementaires, mais aussi parmi la population brésilienne (un signe de cela est que la popularité du gouvernement resta très élevée).

Cette grève entama de beaucoup la légitimité des syndicalistes du pétrole auprès de la base. Ainsi, lors des négociations collectives entre syndicats et entreprise en 1995 et en 1996, malgré les menaces des leaders syndicaux, ils furent dans l'incapacité de mobiliser la base pour participer aux actions proposées.

Mais l'issue de cette grève est également symbolique sur un autre plan : elle montra que le nationalisme économique, dont le monopole d'État sur le pétrole était un symbole important, n'avait plus le poids politique qu'il avait eu par le passé. Autrement dit, la fin du monopole du pétrole, ainsi que le débat en cours au Brésil sur la privatisation de PETROBRAS et d'autres compagnies nationales 431 , montrent que le débat nationaliste n'a plus le caractère mobilisateur qu'il a eu auparavant. Nous allons y revenir.

Notes
426.

Cela dans un entretien publié dans le journal A FOLHA DE SÃO PAULO, du 02/05/95.

427.

In : A FOLHA DE SÃO PAULO, 13/03/95.

428.

Notamment les petroleiros, les travailleurs de l'entreprise de production d'énergie électrique, les travailleurs des télécommunications, etc.

429.

In : FOLHA DE SÃO PAULO du 08/05/95.

430.

In : FOLHA DE SÃO PAULO du 12/05/95.

431.

Débat qui est devenu très violent à propos de la privatisation de la Compagnie Vale do Rio Doce, entreprise nationale de minerais, en mai 1997.