16.2. Face au conflit, l'entreprise change de stratégie

Comme nous venons de le voir, les mobilisations des petroleiros dans les années 90 furent très marquées par des enjeux nationaux. Depuis les grèves de la fin des années 80, le caractère national des mouvements ouvriers à PETROBRAS devient évident. Quelques-unes des raisons à cela furent la mainmise de l'État sur la politique salariale des entreprises nationales, y compris PETROBRAS, et le niveau de centralisation des décisions dans l'entreprise pétrolière.

Toutefois, l'augmentation du nombre de grèves à PETROBRAS va amener les responsables de l'entreprise à essayer de mettre en place des procédures de gestion visant à neutraliser l'attrait que le syndicalisme exerçait sur les travailleurs à cette période. Cela se fit à partir du constat que les modalités de gestion en vigueur dans l'entreprise étaient incompatibles avec la conjoncture socio-politique du pays. Ainsi, dès mars 1989, dans un congrès sur les ressources humaines à PETROBRAS, un responsable de l'entreprise allait souligner la nécessité pour l'entreprise d'ajuster sa politique du personnel aux temps nouveaux.

‘<< Le contexte extérieur crée, de plus en plus, de nouveaux défis qui déstabilisent le rapport capital/travail.’ ‘Aujourd'hui, la compétitivité, les changements technologiques, le syndicalisme, les changements constitutionnels, les aspirations humanistes et même le manque d'autonomie des entreprises nationales dans la gestion de leurs ressources humaines, sont des facteurs qui nous poussent à revoir nos positions sur les rapports que nous devons établir avec nos fonctionnaires ; cela si nous voulons bien gérer les tensions à l'origine de ces rapports.>> (In : Ier Séminaire d'Administration des Ressources Humaines du Système PETROBRAS, SERIND/ARSUD/PETROBRAS, 1989.’

Ce constat, établi par un responsable du secteur des ressources humaines de l'entreprise, confirme la manière dont la gauche syndicale percevait la gestion du travail de PETROBRAS. A dire vrai, on peut même affirmer que la légitimité que cette gauche obtient à la fin des années 80 était, en partie, liée à l'ambiance interne de l'entreprise.

A Bahia, les discours syndicaux de la gauche, basés sur le conflit et sur le besoin de transformations socio-économiques structurales dans le pays, interpellaient surtout les travailleurs les plus jeunes, nous l'avons déjà vu. Ces travailleurs jugeaient les rapports sociaux trop autoritaires dans l'entreprise, ce qui, d'après plusieurs témoignages, les poussait à soutenir un discours syndical plus orienté vers le conflit que ceux des directions syndicales, mettant en évidence plutôt la négociation et la conciliation.

Par ailleurs, le manque de dialogue entre les travailleurs et leurs supérieurs hiérarchiques est un point presque unanimement souligné dans les interviews que nous avons réalisées. Même des ingénieurs ayant occupé des postes de responsabilité dans l'entreprise entre les années 60 et la fin des années 80, ont employé des expressions telles que "autoritarisme cordial", "autoritarisme élitiste" etc. pour parler des styles de gestion du travail mis en place dans l'entreprise.

De même, dans un rapport réalisé en 1992 par des responsables de Mataripe, au vu d'une restructuration de l'organisation administrative de cette raffinerie, on caractérisera le modèle de gestion de PETROBRAS comme "autoritaire/paternaliste".

‘<< Il y a une prédominance du modèle autoritaire/paternaliste, avec de fortes tendances à un système rigide. On observe une centralisation accentuée des décisions au niveau des responsables, (...), que ce soit au niveau interne de la Raffinerie ou entre celle-ci et le siège central de l'entreprise. (...).’ ‘Le modèle de gestion n'est pas basé sur des principes clairs et bien établis. Il est intuitif, personnel, bureaucratique, parfois autoritaire. Il demande, éventuellement, l'effort dans la production des personnes, mais seulement en tant qu'êtres "fonctionnels", sans prendre en compte l'intégralité humaine dans ses dimensions bio/psycho/sociale. (...).’ ‘Le manque de confiance entre les subordonnés et leurs responsables est mutuel. Ces derniers agissent fréquemment avec partialité et seulement éventuellement mettent en pratique les idées de leurs subordonnés (...).’ ‘Les relations interpersonnelles sont pauvres et froides. Il y a une prédominance de la hiérarchie à la place du leadership. (...).’ ‘La participation, on non, des employés à des mouvements syndicaux, comme si c'était un acte de "trahison", rend les rapports personnels et professionnels plus difficiles.(...).’ ‘Malgré le fait qu'il n'existe pas de déterminations dans ce sens, les moyens employés pour motiver les salariés sont la peur, les menaces, les récompenses, les châtiments, et rarement la participation, cela de manière sélective. >> (In : PETROBRAS, RLAM, 1992). ’

Nous pouvons voir par là que les évaluations que les travailleurs faisaient de la gestion du travail à PETROBRAS n'étaient pas très éloignées de celles que certains responsables en faisaient.

Selon cette conception des choses, on accepte plus volontiers l'incompétence professionnelle que des attitudes mettant en question les rapports hiérarchiques. Ce serait une tradition qui demeure à PETROBRAS ( et même au Brésil d'une façon générale) : les relations entre les supérieurs hiérarchiques et les travailleurs s'établissent sur des rapports distants, tendus. Des rapports perçus comme très autoritaires.

Ces rapports ont été constamment dénoncés par les syndicats, surtout depuis la croissance de leur autonomie à la fin des années 70. Ainsi, par exemple, dès 1981, la direction du SINDIPETRO fit appel au régionalisme bahianais pour mobiliser les travailleurs contre les pratiques autoritaires de gestion mises en oeuvre par les responsables de la raffinerie de Mataripe.

‘<< ... Les compagnons sont les plus grands témoins de la lutte difficile menée par les travailleurs, pour rompre les chaînes mises en place par les successives administrations de la RLAM ; lesquelles, par ailleurs, soit dit en passant, sont dirigées depuis 17 ans par une "oligarchie gaucha" 432 ; ce qui est un véritable mépris pour la capacité technique et administrative des Bahianais.’ ‘Nous savons tous, parce que les abus de pouvoir restent dans la mémoire, qu'il y a deux ans nous avons dénoncé, au niveau national, le fait que l'administration de la RLAM ait obligé des travailleurs, durant un certain temps, à entreprendre debout leur voyage de retour à leur domicile, après leur journée de travail 433 . Ce qui portait atteinte aux lois du travail. (...).’ ‘La répression à Mataripe est une routine, une institution ... >> (In : SINDIPETRO INFORMATIVO, n° 34/81, 16/12/81).’

Pour de nombreux travailleurs, non seulement les gestionnaires de PETROBRAS à Bahia étaient très autoritaires, mais de plus, ils n'acceptaient pas la contestation de leurs pratiques. Ainsi, dans les années 80, deux militants de gauche furent licenciés parce qu'ils avaient dénoncé, lors d'un congrès syndical, les mauvaises conditions de travail dans une des unités de PETROBRAS. Les licenciements furent organisés sous l'allégation que les militants avaient porté atteinte à la crédibilité de l'ingénieur responsable du secteur. Pareillement, lors d'une grève dans les années 90, deux travailleurs non-militants furent licenciés à cause de chansons ridiculisant les ingénieurs qui ne faisaient pas grève mais qui recevaient les mêmes augmentations que les autres travailleurs.

Tout cela montre combien la hiérarchie était jugée importante à l'intérieur de PETROBRAS. Ce qui remontait loin dans le temps: dès 1981, le journal du SINDIPETRO remet en cause le licenciement d'un employé à cause des revendications qu'il avait émises.

‘<<Compagnons,’ ‘Le 13/11/81 le compagnon "X" a été licencié. (...). Nous arrivons à la conclusion que ce licenciement fut d'ordre politique et répressif, car les raisons avancées par l'entreprise ne justifient pas une telle attitude. (...).’ ‘En ce sens, nous rejetons fermement la décision de l'administration de persécuter un compagnon dont le grand péché fut d'élever la voix pour la défense des droits légitimes de la classe ouvrière.>> (in : SINDIPETRO INFORMATIVO, n° 17/81, 01/09/81).’

Cette hiérarchie ne fut mise en danger que durant les années où les populistes étaient au pouvoir, dans les années 60. Toutefois après le coup d'État de 1964, on allait accroître les contrôles sur les travailleurs et rendre les rapports hiérarchiques plus fermes. C'est l'époque où, d'après les travailleurs, "le chef avait toujours raison".

C'est ce système hiérarchique que les jeunes travailleurs arrivés à partir des années 70 vont commencer à contester. Ces jeunes travailleurs, issus de Lycées et d'Écoles Techniques, avaient des attentes différentes de celles en vigueur à PETROBRAS. Attentes qui portaient aussi bien sur les rapports humains dans l'entreprise que sur les fonctions qu'ils allaient exercer au sein de la compagnie.

Si l'on en croit certains militants de gauche, ces attentes et déceptions étaient partagées non seulement par les militants eux-mêmes, mais aussi par toute une frange des travailleurs du pétrole. Raison qui expliquerait pourquoi les discours de rébellion de la gauche paraissaient si attirants aux yeux des travailleurs les plus jeunes, considérés comme le groupe le "plus avancé des petroleiros".

‘<<... la partie la plus avancée (de la corporation des petroleiros) est constituée des travailleurs les plus nouveaux, les plus jeunes, issus de l'École Technique et qui ont fait Électronique, Minéralogie, Géologie, etc. et qui sont en train d'exercer des fonctions moins importantes que celles pour lesquelles ils ont été formés.>> (Entretien avec un représentant de la gauche chez les petroleiros, publié in Guimarães et allii. (1994 : 109).’

Il est difficile d'évaluer jusqu'à quel point ces appréciations sont fondées. Toutefois, il y a des éléments qui les confirment. Ainsi, d'après une enquête réalisée par l'Institut d'Administration de l'Université de São Paulo (PETROBRAS, 1988), auprès d'une population représentative des travailleurs de PETROBRAS de l'ensemble du Brésil, 79 % des employés de l'entreprise considéraient qu'une des caractéristiques les plus importantes de la culture de l'entreprise, était l'exigence de "conformité" à la hiérarchie, c'est-à-dire, "l'exigence d'acceptation des normes et règlements qui régulent la vie organisationnelle". Dans cette même enquête on apprend que seuls 22,5 % des petroleiros jugeaient le climat dans l'entreprise favorable à "l'apparition naturelle de représentants des travailleurs et à la mise en application de leurs suggestions".

De plus, les résultats de cette enquête démontrent aussi que seuls 19 % des travailleurs considéraient que l'entreprise "offrait des possibilités de réalisation de tout leur potentiel". Autrement dit, seule une minorité des travailleurs considéraient pouvoir exercer pleinement leurs potentialités dans leur activité professionnelle.

Bien qu'il ne faille pas généraliser les résultats de cette enquête, laquelle présente des résultats à un niveau national, sans spécifier les réponses des petroleiros de Bahia, elle traduit néanmoins un certain malaise à l'intérieur de la compagnie pétrolière relativement à ces questions. On voit ici confirmé le sentiment des travailleurs interviewés lors de notre enquête, lesquels ont souligné, dans la grande majorité des cas, l'importance des rapports hiérarchiques à PETROBRAS.

C'est en raison de ce malaise que des initiatives commencent à prendre forme dans l'entreprise afin de changer la manière dont les petroleiros considéraient PETROBRAS. Si jusqu'à la fin des années 80, l'entreprise pouvait se contenter de faire appel au sentiment patriotique des petroleiros pour repousser les demandes des travailleurs, avec la montée des syndicalistes liés à la CUT, cette stratégie deviendra moins efficace. Ainsi, en octobre 1988, un mois avant la grève de novembre, le président de PETROBRAS adresse le message suivant aux employés de la compagnie.

‘<<C'est avec une grande joie que nous voyons, exactement 35 ans après la signature de la loi 2.004 – qui institue le monopole d'État sur le pétrole et crée PETROBRAS – ce même monopole être substantiellement fortifié, avec son inscription dans le texte constitutionnel.’ ‘Créée pour assurer notre autosuffisance pétrolière, la PETROBRAS n'a jamais cessé de poursuivre ce but. Dans les premiers temps, les nouveaux employés se sont laissés emporter par un esprit missionnaire : construire une entreprise capable d'agir comme le plus grand centre dynamique du développement national.’ ‘Conquérir l'autosuffisance signifie assurer l'émancipation économique du pays, ainsi que garantir notre souveraineté. C'est pourquoi, quand la conquête de cet objectif devient réalisable, il nous faut revenir "à l'image mythique de PETROBRAS", laquelle, soit dit en passant, n'était pas seulement le fait des travailleurs de la compagnie mais de tout le pays. (...).’ ‘Dans les zones de production, dans les plates-formes maritimes, dans les bureaux et même dans la jungle, nous retrouvons des hommes qui portent la même mission, celle de nous tous : faire que la PETROBRAS devienne chaque fois plus grande et chaque fois plus forte ; cela pour que nous puissions la laisser à nos enfants et petits-enfants avec la fierté de la mission accomplie.>>(In : JORNAL PETROBRAS, octobre 1988, pp. 2).’

En même temps, la reprise des mouvements syndicaux l'aidant, les responsables de PETROBRAS essayeront de changer leurs méthodes de gestion du travail. Ils prétendaient ainsi diminuer les facteurs d'insatisfaction des travailleurs et rendre moins mobilisateurs les discours des syndicalistes.

Ainsi, au niveau local, plusieurs initiatives seront mises en oeuvre. D'après un travail présenté au séminaire de ressources humaines à PETROBRAS (PETROBRAS, 1993), des responsables de ce secteur de la raffinerie Alberto Pasqualini nous apprennent que dès 1986, ils essaient d'appliquer un nouveau modèle de gestion, afin de réduire le climat d'insatisfaction des travailleurs. Les principaux points de ce modèle touchaient à "l'humanisation des rapports interpersonnels", "la mise en place d'une administration participative" et "l'optimisation des résultats organisationnels". Cela fut essayé par une restructuration organisationnelle de la raffinerie et par la proposition de cours de relations humaines aux superviseurs.

De même, à Bahia, à partir de la fin des années 80, l'entreprise lance un important programme de formation des cadres et contremaîtres en ressources humaines. Pour avoir une idée de l'importance accordée par l'entreprise à ce programme, il faut savoir qu'elle a fait suivre des cours de ressources humaines à 6.000 de ses employés (cadres, contremaîtres et ingénieurs), soit plus de 10 % de l'ensemble de son personnel 434 .

Dans ces cours, il était question de sensibiliser cadres et contremaître (les superviseurs, dans le jargon interne à PETROBRAS) à l'importance des rapports humains dans le climat d'insatisfaction des travailleurs. Ainsi, dans un texte distribué lors de ces cours, on peut lire :

‘<<Le superviseur d'aujourd'hui a besoin de nouveaux instruments de travail. Il ne peut plus être l'employé qui monte dans l'échelle interne grâce à des "actes de courage" et qui soit si attaché aux traditions qu'il ne se rende pas compte de ce qui se passe autour de lui. (...).’ ‘Le superviseur doit avoir un bon niveau culturel, (...), qui lui permettra d'informer, de dialoguer et de convaincre, dans une logique raisonnable, ses subordonnés. Il doit, encore, comprendre que parmi ses attributions il y a celle d'être le porte-parole de son groupe de travail, rapportant aux responsables intermédiaires, les suggestions, les réclamations et les préoccupations de ses subordonnées. (...). De même, il doit être l'interprète de l'Entreprise dans la transmission d'instructions ou d'éclaircissements.>> (In : A SUPERVISÃO, PETROBRAS, 1991).’

Il est évident ici qu'au delà des préoccupations relatives au climat de l'entreprise, on voulait également s'assurer la fidélité des superviseurs dans les périodes de conflits syndicaux. Cette préoccupation de l'entreprise était d'autant plus compréhensible que durant les grèves, même des ingénieurs – traditionnellement distants du mouvement syndical à PETROBRAS – commençaient à y participer.

‘<<Durant la plus longue et plus forte grève des petroleiros jusqu'à aujourd'hui, il doit être souligné la participation des compagnons de niveau universitaire (ingénieurs, chimistes, administrateurs, etc.), lesquels par leur adhésion attestent du niveau de conscience atteint par les petroleiros. (...).’ ‘Rien qu'à Bahia, les travailleurs de niveau universitaire en grève comptent plus de 150 personnes, sans compter les chefs de secteur qui refusent de participer aux actions répressives.>>(In : BOLETIM CONJUNTO, STIEP/SINDIPETRO, 12/03/91).’

Cette préoccupation de l'entreprise vis-à-vis des grèves devient aussi visible par le fait qu'elle fait rédiger des programmes antigrève au début des années 90. Un de ces plans, auquel nous avons eu accès, propose aux responsables régionaux une série de mesures à adopter avant, durant et après la grève. Parmi ces propositions un intérêt particulier est accordé à l'analyse de l'ambiance dans l'entreprise à chacune de ces étapes. Par ailleurs, ce plan conseille aux responsables de réaliser une fois par mois une enquête, basée sur un questionnaire, sur l'ambiance interne dans leurs secteurs.

Ainsi, on peut affirmer que les transformations des politiques de gestion adoptées par l'entreprise constituaient un moyen pour contrer la progression de la légitimité des syndicats lors des mouvements de grève. De même, ont dû agir dans le même sens la démilitarisation des postes de responsabilité dans l'entreprise et la diffusion dans le pays de nouvelles formes de gestion du travail.

En ce sens, la perte d'influence des militaires à l'intérieur de l'entreprise, à partir du processus de démocratisation du pays, fait que le modèle de gestion basé exclusivement sur la hiérarchie (ce qui était perçu comme de l'autoritarisme) devient de plus en plus contesté, même par les responsables de l'entreprise 435 .

De façon similaire, l'adoption par PETROBRAS, au début des années 90, du modèle de gestion nommé "Programme de Qualité Totale", très diffusé dans le milieu industriel brésilien, aura certainement joué un rôle important. Ce modèle de gestion accordait une place importante à la motivation des travailleurs, sensibilisant les responsables de l'entreprise au rôle que la subjectivité humaine joue dans la vie et dans l'efficience des organisations ; et, donc, aussi, dans l'augmentation de la productivité.

D'après des publications de l'entreprise, cette forme de gestion commence à être adoptée par l'entreprise à partir de 1991 et vise surtout "à favoriser une meilleure intégration interne, une meilleure conscience des employés de la compagnie et l'uniformisation des méthodes et des concepts de gestion" 436 .

L'emprise de ces nouvelles modalités de gestion dans les unités de PETROBRAS à Bahia peut se vérifier par l'impressionnante quantité de panneaux de propagande sur la nouvelle méthode sur les lieux de travail. Sur l'un de ces panneaux, on pouvait lire :

‘<<Nous, de la Raffinerie de Mataripe, devrons améliorer continuellement la qualité de nos produits, services et procédures visant la satisfaction, toujours plus grande, des besoins de la société brésilienne et de nos clients externes et internes ... Nous adopterons la Gestion pour la Qualité Totale, mettant au premier plan la réalisation de l'être humain...>> (In : panneaux dans la raffinerie de Mataripe).’

Ces panneaux avaient pour but affiché d'engager tous les travailleurs dans le "Programme de Gestion pour la Qualité Totale", afin d'accroître la productivité à PETROBRAS. Nous pouvons, néanmoins, supposer qu'un autre objectif de ce programme était de renforcer la solidarité des travailleurs avec l'entreprise et, ainsi, de réduire l'attrait des discours syndicaux.

Tout cela démontre bien la préoccupation de l'entreprise à apporter des solutions à des problèmes locaux pouvant pousser les travailleurs vers une action revendicative organisée par les syndicats. Ce qui, du fait d'un manque de communication entre les secteurs de l'entreprise n'était pas toujours possible. Ainsi, lors de notre enquête sur le terrain, nous avons observé une réunion entre la responsable du secteur chargée de surveiller l'ambiance de la raffinerie de Mataripe (très significativement, une assistante sociale), des responsables syndicaux et des militants de base. Cette réunion tournait autour de la décision de l'entreprise de ne plus envoyer les repas des travailleurs postés sur leurs lieux de travail , par mesure d'économie: ils devaient venir se les procurer au réfectoire. Les syndicalistes argumentaient du fait qu'il n'était pas toujours possible pour les travailleurs postés de laisser partir un travailleur de l'équipe pour aller chercher les repas, et que de plus, dans certains secteurs de la raffinerie, cela signifiait des distances supérieures à deux kilomètres. Ils avaient même réalisé une étude mettant en avant les coûts additionnels de cette mesure, sans avoir obtenu de réponse de la part de ceux qui avaient pris la décision. L'intervention de la responsable du "secteur d'ambiance interne" fut demandée après que les travailleurs eurent refusé les repas offerts par l'entreprise.

L'assistante sociale se contenta d'écouter les plaintes des travailleurs. Du fait qu'elle n'avait pas encore eu connaissance de ce problème (même pas de l'étude réalisée par les travailleurs), elle demanda un délai pour qu'elle puisse se renseigner auprès des responsables de la raffinerie sur les raisons de leur décision. Elle demanda alors de repousser la réunion au lendemain, quand elle disposerait de plus de données sur la question.

Nous avons appris plus tard, par des syndicalistes, qu'un consensus fut trouvé. Néanmoins, indépendamment des résultats pratiques de cette réunion, elle nous semble d'une importance particulière pour le thème de cette thèse. Cela parce que, d'une part, elle atteste la préoccupation de l'entreprise d'établir des canaux de communication avec les syndicats et les travailleurs, afin d'éviter, autant que possible, les points de friction. Toutefois, cette préoccupation ne se manifestait qu'une fois les décisions prises, en cas de résistance des travailleurs ou du syndicat ; autrement dit, les responsables de l'entreprise ne jugeaient pas toujours nécessaire de vérifier, avant leur mise en oeuvre, comment leurs décisions seraient perçues par les employés.

Notons, au passage, que dans ce cas, les suggestions faites par un groupe de travailleurs, directement touchés par le changement du lieu de distribution des repas, n'ont même pas été étudiées ; du moins, pas plus les travailleurs que l'assistante sociale n'ont reçu de réponse par rapport à ces propositions.

D'autre part, cette réunion nous montre aussi comment les syndicalistes participaient à la résolution des problèmes sur les lieux de travail. En dehors des responsables syndicaux "libérés", qui étaient constamment sur ces lieux, il y avait également les responsables qui continuaient à travailler normalement, lesquels avaient un rôle de véritables délégués syndicaux. Dans la réunion citée plus haut, étaient présents deux responsables syndicaux qui étaient, eux aussi, des travailleurs postés et qui se sentaient directement concernés par la question.

Autrement dit, l'insertion des syndicats sur les lieux de travail était intimement liée au fait que des militants et/ou des responsables syndicaux travaillaient dans tel ou tel secteur. Cette présence n'était pas institutionnalisée. Ce fait est important, car il montre bien que, malgré leur discours et leurs efforts, les syndicalistes de gauche à PETROBRAS ne réussirent pas à créer des organisations représentatives des travailleurs, sur les lieux de travail, indépendantes du syndicat et reconnues par l'entreprise.

Malgré ces changements évidents dans la gestion du travail, il faut considérer que ces efforts d'amélioration des rapports humains à PETROBRAS étaient neutralisés par la conjoncture économique du pays et par la centralisation des décisions, dans l'entreprise pétrolière, au niveau de la direction centrale, à Rio de Janeiro (parfois même au niveau du gouvernement). Le manque d'autonomie des responsables régionaux de l'entreprise pour négocier avec les syndicats, ne laissait pas beaucoup de place à la concertation sur des questions plus générales (salaires, définition des carrières, politique de formation, etc.), légitimant ainsi la logique conflictuelle des syndicalistes de gauche ; ce qui explique le succès de la logique conflictuelle parmi les travailleurs du pétrole jusqu'en 1995.

Autrement dit, les changements de gestion avaient des limites très précises : ils ne dépassaient pas le cadre des questions quotidiennes liées au travail (conditions de travail, sécurité, etc.). C'était une façon d'établir des points de contact entre les responsables régionaux de l'entreprise et les travailleurs et les représentants syndicaux, dans la résolution des problèmes.

A un niveau plus global, ces changements opérés dans la gestion du personnel rentraient aussi dans une stratégie de l'entreprise visant à limiter l'action des syndicats ; lesquels étaient maintenant trop portés par des idées de gauche et par une logique du conflit. Ainsi, outre l'adoption d'une tactique de licenciement des militants et responsables syndicaux lors des mouvements de grève (ce que les jugements d'illégalité des grèves par le TST rendaient possible) l'entreprise va refuser, à partir de 1991, de payer les salaires des syndicalistes qui passaient l'intégralité de leur temps de travail à la disposition du syndicat, pratique courante depuis les années 60.

Jusqu'au début des années 90, PETROBRAS assurait le paiement des salaires et des cotisations sociales de trois responsables syndicaux, par syndicat, plus d'un certain nombre de délégués de base – nommés par les syndicats – en fonction du nombre de travailleurs ; avec le changement d'attitude de l'entreprise, les syndicats se verront réduire le nombre de responsables syndicaux payés par l'entreprise à un seul, ce qui correspondait à ce que prévoyait la loi syndicale.

Cela vient renforcer l'idée que les changements dans la gestion du personnel et dans les rapports entre l'entreprise et les syndicats avaient un objectif évident de limitation du pouvoir mobilisateur des syndicats. De cette manière, en même temps que les dirigeants de PETROBRAS facilitaient les contacts et la résolution des problèmes liés au quotidien du travail, ils posaient des obstacles à l'action syndicale.

Face à l'ambiguïté de PETROBRAS, les syndicalistes vont se diviser sur la meilleure stratégie à adopter : soit le conflit permanent, afin de mieux organiser la base ; soit un conflit plus limité, lors de la signature des conventions collectives, mais en tissant des liens avec les responsables régionaux de PETROBRAS pour résoudre des questions locales. Cela renforcera les luttes internes au sein des groupes syndicaux de gauche à la tête des syndicats.

Notes
432.

Ce terme est employé pour identifier les personnes nées dans l'État de Rio Grande do Sul.

433.

Cela parce que le nombre de travailleurs était plus important que celui de places assises dans les bus effectuant le trajet entre Salvador et les lieux de travail.

434.

Information in : PETROBRAS, 1993 : 150.

435.

Jusqu'à 1985, la présence des militaires à la tête de l'entreprise du pétrole était très significative ; ainsi sur les 17 personnes ayant occupé le poste de P.D.G. de PETROBRAS entre 1954 et 1985, rien moins que 13 étaient des militaires. Cela change radicalement à partir de 1985 : sur les 11 P.D.G. de PETROBRAS entre 1985 et 1997, seul un était d'origine militaire ; de plus, sur ces 11 P.D.G., 7 étaient des fonctionnaires de l'entreprise montés en grade. Ces faits paraissent montrer une meilleure professionnalisation des P.D.G. de la compagnie, ainsi que l'éloignement des militaires nationalistes des centres du pouvoir, par rapport à la question pétrolière.

436.

In : PETROBRAS, 1993 : 150.