16.3.2. Des stratégies différentes au sein de la gauche

Ainsi, pour les tendances syndicales plus à gauche (FORCE SOCIALISTE et CUT PAR LA BASE), dominantes au sein des directions syndicales des petroleiros, l'objectif principal de la lutte syndicale, au début des années 90, était de rendre le projet libéral du gouvernement Collor non viable et d'application difficile ; cela par le conflit permanent entretenu par les travailleurs les plus organisés à travers le pays.

‘<<Nous sommes aujourd'hui au septième jour de grève, plus forts que jamais. La base des petroleiros a effectivement compris qu'une grève forte est la seule voie pour vaincre le Plan Collor II, le contrôle des salaires et pour défendre le patrimoine public, notamment la PETROBRAS.>> (In : BOLETIM CONJUNTO STIEP/SINDIPETRO, 04/03/91).’

Dans cette perspective, les travailleurs avaient atteint un tel niveau de pouvoir dans le pays qu'ils étaient en mesure d'imposer la prise en compte de leurs intérêts aux groupes sociaux qui avaient le contrôle de l'État. D'où l'utilisation fréquente, dans la presse syndicale de cette période, de slogans comme celui-ci : "CE QUI FAIT LA LOI C'EST LA LUTTE. CEUX QUI FONT LA LUTTE CE SONT NOUS !".

Ce qui explique aussi le discours mettant en cause les directions syndicales dont les bases ne participaient pas aux grèves nationales. Dans la logique de la gauche de cette période, la base suivait toujours les décisions des directions syndicales, dès lors que celles-ci adoptaient une position de lutte et réussissaient à acquérir le respect des travailleurs. Pour eux, les directions syndicales devaient montrer à la base ouvrière le chemin à suivre. Ainsi, si les travailleurs ne participaient pas aux grèves ou à d'autres mobilisations, la faute ne pouvait revenir qu'aux directions syndicales. A vrai dire, il y avait une véritable surenchère à la radicalisation à cette époque, chaque tendance et chaque groupe voulant paraître le plus mobilisateur et le plus radical.

Dans cette ordre d'idées, la direction du SINDIPETRO, élue en 1990, fera publier la note suivante dans le journal du syndicat, à la fin de la grève des 12 et 13 septembre 1990.

‘<<L'ASSEMBLÉE APPROUVE LE MESSAGE CONTRE LES SYNDICALISTES QUI ONT TRAHI NOTRE MOUVEMENT.’ ‘(...) L'assemblée a approuvé un document de rejet des directions syndicales qui n'ont pas mobilisé leurs bases dans la lutte pour la campagne de revendication salariale.’ ‘Le SINDIPETRO-BAHIA, entend qu'il est nécessaire de bannir, une fois pour toutes, la pratique "pelega", qui persiste encore chez les petroleiros, de syndicalistes qui acceptent les décisions des travailleurs, mais qui ne les mettent pas en pratique. Ce comportement mesquin, en vérité une trahison, fut la cause de notre insuccès dans notre campagne pour la récupération salariale...>> (In : INFORMATIVO SINDIPETRO, 21/09/90).’

Ce discours radical va fonder des pratiques de plus en plus conflictuelles, aussi bien pendant les grèves que durant les périodes d'apaisement. De cette manière, par exemple, les syndicalistes de gauche commencent à diffuser les problèmes détectés sur les lieux de travail dans la presse syndicale ; ces problèmes étaient perçus comme une preuve de la mauvaise volonté de l'entreprise vis-à-vis des travailleurs. Dans ces dénonciations, il s'agissait de ridiculiser les responsables de l'entreprise, afin de faire pression sur eux.

Contre cette vision, les militants de "l'Articulation" alliés à des forces syndicales "non cutistes" avaient une conception moins radicale de l'action des syndicats dans la conjoncture politique brésilienne, notamment en ce qui concernait la participation des syndicalistes à l'agenda de l'État et à la résolution des problèmes au niveau de l'entreprise.

‘<<Quand nous détectons un problème, la première démarche consiste à aller négocier avec le surintendant. C'est-à-dire, écrire dans le journal syndical, aller voir les responsables de l'entreprise, poser le problème ... Si l'on n'obtient rien, alors on fait une critique, sévère. On organise la base pour faire pression, nous pouvons même aller au siège de l'entreprise à Rio de Janeiro, discuter la question avec les responsables là-bas et essayer d'utiliser la mobilisation de la base pour résoudre les questions. Toutefois, on résout ici même au moins la moitié des problèmes. Nous arrivons à convaincre l'entreprise qu'elle n'est pas sur la bonne voie et elle finit par céder.’ ‘C'est cette nouvelle pratique de syndicalisme, que nous sommes en train d'implanter ici, très différente de celle de la direction précédente 444 ; laquelle dénonçait tout de suite, pour essayer ensuite de résoudre le problème ... Cela rendait difficile la résolution des problèmes parce que l'entreprise se radicalisait, même en ayant tort. Donc, cette pratique provoquait une situation où les parties se radicalisaient. (...)’ ‘En ce qui concerne les questions liées à la campagne salariale, qui ne dépend pas du surintendant local, on mène la campagne à un niveau national. Une lutte contre le gouvernement, par le biais, disons, d'une grève générale nationale, pour obliger l'entreprise à accepter nos revendications.>>(Entretien avec un Responsable du STIEP, partisan de l'Articulation, in : Guimarães, 1994 :110-111.).’

Cet entretien nous montre la volonté de certains groupes syndicaux d'entériner une participation à la résolution des problèmes liés au travail et susceptibles de trouver des solutions au niveau régional.

Cela dans une conjoncture de perte d'importance de l'industrie pétrolière de Bahia. Ces contacts avec les responsables régionaux devinrent d'autant plus faciles que la direction du syndicat s'ouvrit à la participation de travailleurs de niveau universitaire, issus de l'AEPET 445 , et dont la tradition de défense de PETROBRAS était proche de celle des responsables de l'entreprise. Ainsi, par exemple, l'un des responsables du Service du Personnel de PETROBRAS à Bahia, avait été auparavant un des directeurs de la section régionale de l'AEPET.

De cette façon, les divisions au sein de la gauche, outre des querelles personnelles et idéologiques, s'ancraient également sur les divergences de point de vue quant au rôle que les syndicats devaient jouer dans les relations professionnelles à PETROBRAS.

Face à l'inexistence de représentants de la base, non liés directement aux syndicats, les pourparlers avec l'entreprise, pour résoudre des problèmes liés au travail, ne pouvaient se réaliser que par le biais des syndicalistes. Dès lors, pour les différentes tendances, ces problèmes donnaient lieu à des stratégies de négociation divergentes.

Pour les tendances les plus à gauche, les problèmes quotidiens du travail constituaient un des moyens pour montrer aux travailleurs les contradictions du système capitaliste 446 . Ainsi, avant de les résoudre, il fallait souligner le caractère inhumain des conditions et des relations du travail dans une entreprise capitaliste. Avant de négocier un problème avec la direction régionale de l'entreprise il était important de faire prendre conscience à l'ensemble des travailleurs de la signification politique du problème. Ce qui s'inscrivait dans la logique de légitimation de ces tendances, pour lesquelles la lutte locale des travailleurs de PETROBRAS devait s'insérer dans la lutte politique de la classe ouvrière brésilienne.

‘<<Il faut mettre fin aux illusions des travailleurs. Les travailleurs doivent savoir qu'il n'y a pas de "sauveurs de la patrie" et qu'ils ne doivent rien attendre d'un syndicalisme paternaliste. Et aussi que toute conquête est le fruit de la lutte. Pour remporter des victoires il faut arrêter le travail !>> (In : Thèses du Congrès Régional du SINDIPETRO, 1992, Ronéo.).’

Pour le groupe qui prend le contrôle du STIEP en 1992, la résolution des problèmes locaux représentait un élément important qui permettait de légitimer son discours. Ce qui explique sa volonté d'établir des contacts moins conflictuels avec les responsables régionaux : c'était une manière d'obtenir plus facilement l'acceptation, par l'entreprise, de certaines revendications touchant au quotidien du travail des petroleiros.

Notes
444.

La direction composée à majorité par les tendances les plus à gauche de la CUT.

445.

Il s'agit de l'Association des Ingénieurs de PETROBRAS.

446.

Ce que la direction du SINDIPETRO, revendiquera dans un texte de 1994 : <<Un syndicalisme qui n'accepte pas de s'accommoder à la société capitaliste en place et qui a pour horizon la fin de l'exploitation de l'Homme par l'Homme. (...) Il est nécessaire que les syndicats fassent avancer les luttes populaires pour montrer à la tendance qui dirige la CUT que le meilleur moyen pour résoudre les problèmes des travailleurs est l'affrontement direct et non les pactes ...>> (In : Thèses pour le Congrès régional des Petroleiros, 1994).