16.3.3. La représentativité sur les lieux du travail

Ces divergences étaient d'autant plus importantes que les syndicalistes liés à la CUT ne réussirent pas à créer des organismes indépendants, représentant les travailleurs sur les lieux de travail. Ce qui pourtant constituait le discours identitaire de la CUT dans les années 80. Dans le cas des travailleurs du pétrole par exemple, malgré le fait que les programmes des directions liées à la CUT prévoyaient la création de commissions d'unités, indépendantes de la direction des syndicats, aucune action ne fut prise dans ce sens.

Cette incapacité de la gauche à mettre en oeuvre un point important de son programme est en partie liée aux idées dominantes parmi les travailleurs, lesquels ne reconnaissaient pas la légitimité d'organisations autres que les syndicats pour les représenter lors des négociations avec l'entreprise 447 . Sans compter qu'un point important de toute représentativité ouvrière est la question de l'immunité dont jouissent les représentants. Si sur le plan légal les représentants syndicaux jouissent de l'immunité, ce n'est pas le cas pour d'autres représentants des travailleurs. Dans le cadre de PETROBRAS où même des syndicalistes furent licenciés lors de grèves 448 , jugées systématiquement illégales par le TST, on peut penser que cette problématique de l'immunité était importante.

De plus, dans un contexte marqué par des conflits importants au sein même de la gauche, les syndicalistes ne paraissaient pas disposés à créer des structures indépendantes de leur contrôle direct, et donc pouvant potentiellement tomber entre les mains de militants tenant des discours différents de ceux que les directions syndicales défendaient.

C'est même à partir de ces conflits au sein de la gauche que nous pouvons comprendre le pragmatisme des syndicalistes du pétrole par rapport à la structure syndicale corporatiste. Toutes les tendances syndicales, au fur et à mesure qu'elles obtenaient le contrôle d'un syndicat, essayaient de profiter des ressources (financières et symboliques) disponibles. Ainsi, par exemple, après la prise du pouvoir au SINDIPETRO par un groupe dont la majorité était lié à la FORCE SOCIALISTE, le syndicat contractera les services d'un consultant qui n'était autre que l'un des principaux représentants de cette tendance à Bahia. Le même processus n'était pas étranger au STIEP, où l'embauche des administrateurs du syndicat a toujours été d'abord une question d'affinité idéologique de ceux-ci avec la majorité de la direction syndicale.

Autrement dit, malgré des prises de position critiques par rapport à la structure syndicale du pays, les tendances de la CUT furent amenées à adopter une attitude pragmatique par rapport à cette question. Les militants des diverses tendances continuaient de combattre les lois syndicales sur le plan du discours et sur le plan politique (surtout en ce qui concerne le rôle de la Justice du Travail et les limites imposées à la liberté syndicale), mais au niveau pratique, ils s'en servaient dans leurs luttes avec d'autres tendances syndicales.

Notes
447.

Ainsi, une des critiques adressées aux oppositions syndicales dans les années 80 était justement que la gauche voulait créer des syndicats parallèles. Ce fut une des raisons qui poussa la gauche à changer de stratégie syndicale, en donnant plus d'importance au rapprochement avec les tendances divergentes des directions syndicales en place.

448.

Ainsi, par exemple, lors des grèves de 1991, que 11 responsables syndicaux des petroleiros dans le pays, parmi d'autres travailleurs, furent licenciés. De même, durant les grèves de 1994 et de 1995, le licenciement de responsables syndicaux fut une des pratiques préférées par l'entreprise, pour démobiliser les travailleurs.