16.4. Sur l'apprentissage du temps par la gauche

Les événements qui ont provoqué la scission et la destitution collective de la direction du STIEP en 1991/1992 allaient provoquer de profonds changements dans la pratique des militants de la gauche. En raison du déchirement du groupe, plusieurs jeunes militants refuseront de participer au processus électoral qui suivra la destitution de la direction.

‘<<Dans le syndicat, les choses ont dégénéré complètement, après que la direction eut demandé la destitution de B. et de C. ; mais B. proposa la destitution collective de la direction et la réalisation de nouvelles élections, proposition qui fut adoptée après consultation de la base dans des assemblées. Il y aura de nouvelles élections entre mars et avril de cette année. Moi, j'ai déjà décidé de ne faire partie d'aucune des listes. Je vais prendre du temps pour moi-même, pour ma vie.’ ‘Dans une des listes il y a prédominance de la CUT Par la Base, ..., et l'autre, qui n'a pas encore été inscrite, devra être dirigée par B. et par M.. Si M. fait partie de cette liste je vais la soutenir. Je pense que c'est quelqu'un de plus démocratique (un populiste amélioré) ; je pense qu'il est meilleur que les autres pour la corporation et est plus représentatif de celle-ci.>> (Lettre d'un militant de gauche envoyée à l'auteur).’

Cette lettre, d'un militant de gauche déçu avec la gauche, touche un point important : les pratiques de la gauche paraissaient non démocratiques pour un bon nombre de travailleurs. Dans la mesure où les débats internes aux directions syndicales occupaient le devant de la scène, on reprochait à la gauche de ne pas prendre en compte "le sentiment de la base".

Ces critiques auront des répercussions importantes même à l'intérieur des directions syndicales sous contrôle de la CUT. Dans un texte collectif d'évaluation de l'action de la direction du SINDIPETRO entre 1990 et 1992, les responsables syndicaux de gauche feront leur autocritique en insistant sur la distance entre direction syndicale et base.

‘<<L'action de la direction syndicale a laissé beaucoup à désirer : elle n'a pas rempli les obligations basiques d'une direction de syndicat, tels le développement d'un travail auprès de la base, la présence et les contacts directs avec les travailleurs. Les activités programmées par le syndicat sont diffusées dans le journal d'information et tous s'attendent à ce que la base vienne, sans envisager de discussion avec la base, d'articulation, de convocation, pour s'assurer de la présence d'un certain nombre de personnes à ces événements.’ ‘Nous pouvons dire que la relation de notre direction avec la base est une relation autoritaire. Il reste à développer un travail de base qui soit effectif aussi bien lors des grands mouvements que des petits ...>> (In : Évaluation de la Direction du SINDIPETRO, 1992, Ronéo.).’

Cette distance entre base et directions de gauche était également importante au niveau symbolique. Dans la logique des militants de la gauche, pour faire avancer la conscience de classe des petroleiros, il fallait changer radicalement les symboles utilisés par les syndicats. Dans cette perspective, tous les symboles datant de l'époque populiste furent considérés comme des symboles conservateurs, dépassés.

Ainsi, par exemple, ont provoqué une vive indignation des travailleurs de la base, les faits suivants: la décision de la direction de gauche d'enlever du siège du syndicat une image d'un saint catholique, ainsi que le portrait de Francisco Mangabeira, le président de PETROBRAS entre 1962-1963. Cela, ajouté à la décision de mettre fin, subitement, aux services offerts par le syndicat, attirera l'antipathie des retraités et des travailleurs les plus âgés à l'égard des militants de la gauche au pouvoir.

La décision de la base d'organiser de nouvelles élections et de donner le contrôle du syndicat à la liste composée en majorité par des groupes non liés à la CUT, mènera une partie de la gauche sur la voie de l'autocritique.

‘<<Nous n'avons pas su respecter la corporation. Nous avons voulu mettre fin à toute l'histoire des petroleiros>>. (Entretien avec un militant de la gauche).’

C'est ce manque de respect pour la base qui va rendre possible, dans le processus de conflits internes à la gauche, le rapprochement de certaines tendances de l'opposition, avec des anciens syndicalistes populistes et avec des groupes syndicaux non liés à la CUT. Autrement dit, les divisions de la gauche favorisent le retour au syndicat de syndicalistes proches des idées populistes. Ainsi, lors des élections de 1992, au STIEP, Wilton Valença, le leader des petroleiros dans les années 60, publie un tract donnant son soutien à la liste n°2, celle où la CUT était minoritaire.

‘<<Avec la responsabilité de seul fondateur du STIEP, 34 ans après sa fondation, jouissant encore d'un mandat syndical, et, pour cela, ayant un passé à préserver devant l'Histoire, ..., nous avons accepté de rester dans la lutte. Lutte que nous avons commencée dès la lontaine année 1956, coude à coude avec les vaillants compagnons de la "vieille garde" (...).’ ‘Maintenant, notre lutte a pour objectif la "reconquête de la crédibilité" perdue, par manque de vision historique de certains.>> (In : Tract intitulé: AOS COMPANHEIROS DO PETRÓLEO, signé Wilton Valença). ’

Ce regain de la légitimation des listes syndicales portées par des leaders populistes était une manière de reconnaître le poids symbolique du passé des petroleiros. Dès lors, les tendances syndicales de gauche essayeront de tisser des liens avec des groupes de retraités. Profitant des querelles entre la direction du STIEP et la direction de la SOTAPE (Société des Travailleurs Retraités de PETROBRAS), les tendances de gauche mises à l'écart lors du processus électoral mèneront une politique de bon voisinage avec leurs anciens adversaires de la SOTAPE 449 .

Cette proximité de la gauche avec des groupes de retraités fut d'autant plus aisée qu'au cours des années 1993 et 1994, tous les groupes à l'intérieur de PETROBRAS avaient participé aux mobilisations contre la modification de la législation pétrolière du pays. En effet, lors de la Réforme de la Constitution, entre 1993 et 1994, les syndicats du pétrole, l'Association des Ingénieurs de PETROBRAS (AEPET) et les associations de retraités du pétrole, mèneront une campagne de mobilisation de l'opinion publique (avec le soutien de la direction de l'entreprise) contre la fin du Monopole d'État sur le pétrole.

Ainsi, dès avril 1993, les syndicats commencent à proposer l'organisation de réunions publiques pour la défense de PETROBRAS et du monopole d'État. De même, en juillet 1993, les syndicats du pétrole, la SOTAPE (Société des Travailleurs Retraités de PETROBRAS) et l'AEPET, créent la Commission Bahianaise de Défense du Monopole (CBDM), laquelle organisera plusieurs réunions et débats publics pour la préservation du monopole étatique sur le pétrole.

Dans le même temps, à l'intérieur de l'entreprise, plusieurs responsables régionaux et nationaux s'engagent dans la campagne pour la défense de PETROBRAS. Cela mènera à la création de groupes, plus ou moins informels, ayant pour tâche d'inciter à l'organisation de manifestations populaires pour la défense du monopole, ainsi qu'à la publication de tracts et d'ouvrages mettant en évidence l'importance de PETROBRAS pour le développement national et régional.

Ainsi, par exemple, parmi les nombreuses publications de la compagnie à cette période, se trouve un tract intitulé "La PETROBRAS ET BAHIA", dont nous citons les extraits ci-dessous.

‘<<Les conséquences pour Bahia en cas de changement institutionnels dans le secteur du pétrole.’ ‘En cas de modification du monopole d'État, les grands oligopoles internationaux auront tendance à gagner des marchés sur PETROBRAS, malgré une compétence et une efficacité de la Compagnie, reconnues mondialement. Cela, parce que ces oligopoles possèdent non seulement de l'expérience et de la technologie, mais surtout, parce qu'ils ont accès à d'importants volumes de capitaux, en plus d'un fort pouvoir politique.’ ‘Bahia, la première capitale du pays, a connu une période de stagnation économique à partir de la deuxième moitié du siècle dernier ; laquelle période n'a pris fin qu'avec la création de PETROBRAS, du Centre Industriel de Aratu et du Pole Pétrochimique de Camaçari. En résumé, avec une PETROBRAS affaiblie, Bahia va tomber dans un rythme plus lent de développement.>> (A PETROBRAS E A BAHIA, PETROBRAS, 1994).’

Des tracts semblables à celui-ci furent par ailleurs distribués dans les principaux États où PETROBRAS avait des activités économiques importantes.

L'engagement de l'entreprise dans cette campagne sera aussi visible par le financement de plusieurs activités développées par les organismes regroupant syndicalistes, ingénieurs et retraités. D'après des militants qui participèrent à ces activités, plusieurs concerts précédant les réunions politiques furent financés par la compagnie. De même, plusieurs travailleurs furent mis à disposition de ces organismes, notamment des militants syndicaux n'ayant pas de responsabilités dans les syndicats. Cela dans le cadre d'un accord informel entre syndicalistes et responsables de PETROBRAS, démontrant ainsi le rôle rassembleur du nationalisme dans la compagnie pétrolière.

‘<<Notre participation dans la lutte pour la défense du monopole d'État sur le pétrole et contre la révision de la Constitution fut très ferme. Nous avons toujours été en première ligne, avec une participation d'importance. La direction du SINDIPETRO ayant eu un rôle fondamental dans l'engagement de la direction de PETROBRAS dans la campagne. Ce qui a rendu possible les aides apportées par des responsables de l'entreprise, favorisant la création de groupes de défense du monopole pour organiser un travail de sensibilisation de l'opinion publique...>> (In : Évaluation de l'Action de la Direction du SINDIPETRO, Thèses pour le Congrès Régional, 1994).’

Quoi qu'il en soit, un engagement plus poussé des militants de la gauche dans les campagnes nationalistes en faveur du monopole permettra de réduire la distance entre retraités et travailleurs de la "vieille garde" d'une part, et la gauche syndicale d'autre part. Au point que, lors d'une enquête d'opinion réalisée à la demande de la direction du SINDIPETRO, en 1994, les retraités interrogés donnèrent la note 9 (sur une échelle de 0 à 10) à l'action des responsables de ce syndicat ; note plus significative que celle obtenue par la direction auprès de la base (8 sur 10).

Cela, d'autant plus que l'action menée conjointement par l'entreprise, les syndicalistes, les ingénieurs et les retraités de PETROBRAS atteindra l'objectif affiché par le mouvement, celui d'éviter le vote de la fin du Monopole d'État au Congrès National.

Tout cela rendra les militants de gauche beaucoup plus ouverts et conciliants, vis-à-vis des travailleurs les plus âgés, qu'ils ne l'étaient par le passé.

Notes
449.

D'après les témoignages des membres des tendances de gauche, une partie du matériel de campagne des listes composées en majorité par des militants de la CUT, fut financée par la direction de la SOTAPE.