16.4.2. Sur le conflit de générations dans les années 90.

Au début des années 90, avec la victoire de deux listes liées à la CUT, au SINDIPETRO et au STIEP, les conflits de génération paraissaient avoir perdu beaucoup de leur importance dans les stratégies syndicales et dans la vie professionnelle à PETROBRAS. Les événements qui suivirent démontreront le contraire.

Toutefois, ce conflit fut beaucoup moins marqué que dans les années 80. Le passage à la retraite de la plupart des travailleurs rentrés dans les années 50 et 60 et le rapprochement des forces de gauche avec des groupes syndicaux populistes (dans le cadre des conflits internes à la gauche) diminuent de beaucoup l'importance des querelles entre les générations, car ces querelles se déplacent sur des querelles de projets syndicaux différents.

C'est seulement après que les syndicalistes liés à la CUT eurent essuyé leurs premières défaites en raison d'un "manque de respect vis-à-vis de l'histoire accumulée des petroleiros" qu'ils commenceront à comprendre les "vieux" syndicalistes populistes ainsi que les générations d'ouvriers précédentes.

Au cours des années 80, lorsque l'ancienne génération rappelait aux militants de la gauche qu'ils étaient trop jeunes, inexpérimentés et sans connaissance de la vie politique du pays – car ils n'avaient pas connu la répression et la dictature –, la gauche tendait à répondre que les plus âgés avaient failli en 1964. En mettant en place des stratégies syndicales trop éloignées de la base, les syndicalistes populistes avaient laissé le chemin ouvert à la dictature.

Ces arguments avancés par la gauche, chez les travailleurs du pétrole, étaient en effet des thèses dominantes au sein de la gauche au Brésil d'une manière générale. Elle portait un jugement très négatif sur les syndicalistes populistes, surtout en raison de leur incapacité à avoir résisté au coup d'État de 64. Au sein de la gauche, il était commun de dire que les populistes avaient failli à leur mission, qu'ils avaient raté leur "vocation historique".

A PETROBRAS, la gauche ne pouvait tenir ces discours que dans des forums internes à la gauche, en raison de l'importante charge symbolique que l'époque populiste représentait pour les travailleurs qui avaient vécu cette période. Dans leurs discours, les militants de gauche essayaient de se poser en véritables continuateurs de l'esprit de lutte dont les petroleiros avaient fait preuve à l'époque populiste.

Au cours des années 80, la gauche réussit à faire passer sa vision des choses et à convaincre la majorité des travailleurs qu'elle était capable de changer les rapports de force dans l'entreprise et dans le pays. Leur réussite en 1990 en est la preuve. Cependant, c'est justement à partir de ce moment que ces tendances commencent à se rapprocher des groupes de retraités les plus militants, leurs adversaires du passé. Il y avait là une conjonction d'intérêts entre les deux parties, dans la dynamique des alliances électorales entre les groupes syndicaux.

Ainsi, ce qui était inimaginable au milieu des années 80 (des leaders des retraités, traditionnellement liés au populisme, donnant leur soutien à des listes de gauche), devenait réalité au cours des années 90.

Il y eut plus qu'une fragmentation de l'unité de la gauche, il y eut aussi un changement de position de la gauche vis-à-vis des générations précédentes. Dès lors, une sorte de compréhension mutuelle put se développer. Non que les points de vue des syndicalistes de gauche sur le populisme aient changé radicalement, leurs discours étaient à peu près les mêmes que ceux des années 80. Ainsi, en commentant l'histoire des travailleurs du pétrole, ce responsable syndical lié à la CUT dira, en 1994.

‘<< ... La relation des syndicats avec le gouvernement Goulart était très forte. Le syndicat avait même le pouvoir de nommer le président de PETROBRAS, exerçant une grande influence sur la politique de l'entreprise. Avec le coup militaire, il y a eu la dissolution de la direction du syndicat, la persécution des militants, leur emprisonnement ... Il y a eu une destruction complète du travail syndical mené par des directions syndicales paternalistes. La preuve est que, lors du coup d'État, la direction a essayé de faire une grève en opposition aux militaires, une grève pour la légalité du gouvernement Goulart. La grève a débuté mais n'a pas eu de suite. Les militaires ont arrêté les leaders et la grève a été terminé. Il n'y avait pas un travail de base organisé, dans lequel la base était consciente. Si tel avait été le cas, même avec les responsables en prison, le travail de protestation aurait pu continuer. Cela ne s'est pas produit à cause d'un travail très élitiste de la direction syndicale de cette époque.>> (In : Guimarães et allii, 1994 : 99).’

Bien que portant de tels jugements sur les syndicalistes populistes, au niveau pratique, les militants de gauche durent se rapprocher d'eux. En raison d'un accord tactique pour vaincre les tendances de gauche divergentes, mais aussi dans l'espoir de changer les points de vues des syndicalistes non liés à la CUT, de les faire "avancer" dans le même sens que les positions de la gauche.

‘<<[On] entendait qu'il était possible de faire une alliance avec A., qui était un homme de combat ... il pouvait avancer si nous lui accordions notre soutien politique.>> (Entretien avec un militant de gauche, in : Guimarães, 1994 : 102).’

Ainsi, bien que portant des jugements négatifs sur les populistes, d'une manière générale, les militants de la gauche commenceront à mieux comprendre leurs prédécesseurs populistes, ceux qu'ils avaient côtoyé dans les affaires syndicales et dans la vie professionnelle.

Autrement dit, les militants de la gauche durent accepter qu'ils ne pouvaient changer les choses par leurs seuls discours, qu'ils ne pouvaient changer les choses sans prendre en considération les stratégies de leurs "alliés" mais, aussi, de leurs "adversaires" ; et que la base "a sa propre personnalité, sa manière spécifique d'être".

Au cours du processus d'autocritique que la gauche entamera dans les années 90, il y aura une prise de conscience de ses propres limites à transformer les choses, d'où, une meilleure compréhension des limites des populistes.

‘<<Notre corporation est une corporation ancienne, stabilisée, sans licenciements ; alors, la relation d'amitié entre les travailleurs prend le dessus sur les grands discours politiques et idéologiques. Surtout quand nos discours mettent en danger l'apparente stabilité des choses ...(...).’ ‘Notre relation avec la base était une relation gauchiste. Par rapport aux retraités cela était encore plus fort. On a été complètement stupide, dans notre relation avec les retraités. On avait déjà un passé lourd de conflits avec les retraités et, après notre élection, nous n'avons pas su gérer ce problème. Au contraire, les comportements que l'on aurait dû éliminer, nous les avons aggravés : ce fut la séparation et la prise de distance de la direction du syndicat avec les retraités et avec la partie la plus conservatrice et plus ancienne des petroleiros. (...) Cela démontre encore une fois, combien nous ne connaissions pas notre base ...>> (Entretien d'un militant de la gauche).’

Tout s'est passé ici comme l'illustre le dicton selon lequel "les enfants ne commencent à comprendre leurs parents qu'après avoir eu leurs propres enfants et après avoir commis leurs propres erreurs". C'est de la compréhension de ses propres limites et de son "ignorance" que la gauche commencera à comprendre "le temps" des petroleiros de Bahia.