Partie IV. Conclusions

17. Continuités et discontinuités de l'histoire syndicale des petroleiros

Après avoir vu en détail l'évolution des pratiques syndicales dominantes chez les travailleurs du pétrole de Bahia, nous pouvons mettre en évidence la continuité et la discontinuité de certaines de ces pratiques au cours du temps. De l'influence des conjonctures sur le comportement syndical des petroleiros, jusqu'au rôle du nationalisme et du régionalisme dans la construction de leurs discours identitaires, force est de reconnaître une dialectique assez particulière entre transformation et préservation chez ces travailleurs. Comme souvent, dans ces cas, transformation et préservation ici, ne sont que relatives.

Ainsi, par exemple, nous pouvons nous poser la question suivante : quelles sont les différences et les points communs entre le syndicalisme populiste des années 60 et le syndicalisme d'opposition des années 90 ?

Voilà une question qui donne sens à tout le travail de reconstruction historique développé ici. Autrement dit, qu'est-ce qui demeure d'une période à l'autre et qu'est-ce qui se transforme ? Qu'est-ce qui a pu traverser le temps, rester caché à certains moments pour ressortir dans une période ultérieure?

Si les différences entre ces deux types de syndicalismes sont évidentes (nous nous sommes efforcé de les mettre en évidence tout au long des chapitres précédents), il nous semble cependant que des caractéristiques importantes les rapprochent. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne le manque de participation des travailleurs de la base aux décisions syndicales. Malgré tous les discours des cutistes, l'action syndicale des travailleurs du pétrole de Bahia est restée extérieure à la vie de la majeure partie des ouvriers de PETROBRAS. Le mouvement syndical est resté une affaire de militants et de leaders. Cela, comme on l'a vu, même les responsables syndicaux de la gauche l'ont admis.

Lors de l'organisation des grèves et des mouvements de masse 451 , une des grandes faiblesses des mouvements des petroleiros était justement le manque de militants pour tenir les piquets de grève. Dans les assemblées et dans les rassemblements de masse il y avait souvent beaucoup de travailleurs, mais la participation des travailleurs était davantage passive qu'active. Très rarement, les décisions prises en petit comité par les leaders et militants syndicaux étaient remises en cause par les travailleurs lors des ces rassemblements de masse.

Avec la gauche au pouvoir, ce petit comité s'élargit aux militants et sympathisants de la gauche, mais son poids numérique resta limité. De sorte que, par exemple, durant les réunions du Comité de Mobilisation, avant les grèves de 1994, les membres de la direction syndicale composaient la majorité des personnes présentes.

Un autre point qui rapproche l'action syndicale des militants de la gauche de celle menée par les populistes, est l'influence déterminante des conjonctures politiques sur les négociations collectives entre syndicats et PETROBRAS. Depuis les grèves, menées par les populistes dans les années 60 pour la défense du gouvernement Goulart, jusqu'aux grèves d'opposition au gouvernement Collor et à celle de 1995, l'action syndicale des travailleurs du pétrole fut très marquée par des enjeux politiques liés à chaque conjoncture. Au vu de l'importance de cette question pour notre thème de recherche, nous l'aborderons dans le détail ultérieurement.

De même, l'importance dans les discours syndicaux de l'idéologie nationaliste (et de son corollaire, le régionalisme bahianais) fut une constante chez les travailleurs du pétrole. L'idéologie nationaliste vint toujours accompagner les revendications économiques des travailleurs ; mais il n'en reste pas moins vrai que l'appel au nationalisme pour légitimer les demandes syndicales est significatif de l'importance de cette idéologie pour les travailleurs du pétrole. Ce thème, sera également abordé plus tard, surtout en ce qui concerne les différentes manières d'appréhender le nationalisme, à PETROBRAS, par les générations successives.

Un autre point qui méritera d'être abordé dans ce chapitre, sera la transformation de l'identité des petroleiros au cours du temps, et comment ce changement fut nourri à la fois par le régionalisme bahianais et par la façon des petroleiros de se construire un adversaire à l'intérieur même de l'entreprise.

Notes
451.

Du moins ceux dont nous avons été témoins lors de notre travail de terrain.