17.1. Quelques différences plus évidentes : la culture politique

Dans les années 80, l'opposition entre les militants de la gauche et les syndicalistes populistes s'ancrait sur des divergences dans la façon d'appréhender le temps, car ils étaient animés par des temps sociaux différents : les uns tournés vers le futur, vers les transformations des rapports de classe dans la société brésilienne, les autres tournés vers le passé, vers le retour à des pratiques qui s'étaient avérées efficaces par le passé. Bref, deux façons différentes de se situer dans le temps se disputaient la prééminence chez les petroleiros.

Mais ces différences étaient aussi des différences de culture politique et de modèles d'action. Lors d'un échange avec un ancien leader syndical des petroleiros, au début des années 90, il nous fit part de ses critiques à l'encontre de la décision des militants de gauche d'appeler un Congrès Régional pour décider les points de la campagne salariale. Pour lui, une fois que le gouvernement et l'entreprise avaient défini les points négociables (ce que la presse avait largement publié), un congrès des travailleurs était inutile : il avait pour seule conséquence, l'augmentation des dépenses des syndicats. Selon lui, plus utile était une réunion des dirigeants syndicaux, pour établir une stratégie de négociation avec l'entreprise. D'un moindre coût, cette solution avait aussi l'avantage de ne pas ajouter, aux revendications syndicales, celles qui "ne pourraient être satisfaites".

Ces déclarations d'un leader syndical des années 60 nous éclairent sur quelques unes des différences existantes entre les militants de la gauche et les syndicalistes plus âgés. Tandis que ces derniers n'avaient pas l'habitude de participer à des réunions ouvertes pour décider des questions importantes, les militants de gauche, au contraire, voyaient là, une des caractéristiques majeures de leurs pratiques. La crainte des populistes qu'une participation trop importante de la base n'aboutisse à des revendications qui "ne pourraient être satisfaites" était une manière de définir, à priori, les limites de l'action syndicale.

Cette génération de syndicalistes, qui connut soit la répression policière, soit les contrôles que la dictature imposaient à l'action syndicale, ne comprenait pas la volonté des jeunes de gauche de pousser toujours plus loin les mobilisations des travailleurs.

Les mouvements collectifs pour les populistes devaient servir à accroître le pouvoir de négociation des syndicalistes auprès de l'entreprise ou de politiciens ouverts aux demandes des travailleurs. En ce sens la grève était un outil et non une fin. Pour eux, il y avait un certain "envoûtement" de la gauche pour les mouvements collectifs.

A l'inverse, les militants de la gauche avaient une identité sociale forgé sur la valorisation du conflit et des actions de masse. Pour eux, pour transformer la société brésilienne, les travailleurs devaient s'organiser sur les lieux de travail et se battre contre les patrons et contre le gouvernement. Le mot d'ordre de la gauche à cette époque était : "Sans lutte il n'y a pas de conquêtes".

Les querelles internes de la gauche au cours des années 90 rendront ces divergences moins évidentes, avec des groupes de la CUT postulant explicitement une capacité réelle de négociation. Toutefois, il n'en reste pas moins vrai que les syndicalistes de gauche, dans les années 90, seront davantage portés par l'organisation de mobilisations de travailleurs que ne l'étaient les populistes dans les années 80.

Un autre point qui opposait populistes et militants de gauche était la conception du rôle du président des syndicats. Tandis que la gauche, arrivée au pouvoir, essayera de changer les rapports à l'intérieur des directions syndicales, en implantant une direction "collégiale", où les décisions collectives primaient sur les positions du président du syndicat ; les populistes, à l'inverse, pensaient qu'il était important d'avoir un responsable pour les décisions à prendre. Quelqu'un à qui la base pourrait, en fin de compte, demander des explications ou sanctionner lors des élections. Ainsi, en 1991, au début de la crise qui conduira à la dissolution de la direction du STIEP, un ex-responsable de ce syndicat publia un tract critiquant l'absence, parmi les militants de gauche, d'un leader capable de coordonner l'action des autres responsables.

‘<<En dehors de ces graves questions, il y en a une autre très importante : les diverses tendances du PT représentées à la direction du STIEP, vivent dans un conflit perpétuel pour le pouvoir ... Ceux qui connaissent de près la réalité de la direction syndicale savent qu'il y a un conflit permanent entre les responsables, ce qui rend impossible une action syndicale efficace ; cela d'autant plus qu'il n'y a pas, effectivement, un leader, quelqu'un capable de coordonner l'action des autres responsables. Prédomine une situation chaotique au niveau administratif, politique et financier.>> (Tract signé par un ex-responsable du STIEP, 1991). ’

Autrement dit, on critiquait chez la gauche, non seulement le fait qu'elle était traversée par des querelles internes importantes, mais aussi le fait qu'elle n'ait pas un leader capable d'imposer sa volonté aux autres membres de la direction syndicale.

Cette importance accordée aux leaders dans la vie syndicale, n'était pas nouvelle chez les travailleurs du pétrole. Comme nous l'avons vu, dès les années 60 et durant les années de la dictature, les décisions syndicales les plus importantes furent prises par les présidents des syndicats. Ainsi, les pratiques plus participatives de la gauche étaient considérées, par les syndicalistes des anciennes générations, comme un "manque de coordination".

A certains égards, on peut penser que cette vision des rapports syndicaux chez certains groupes de petroleiros était un reflet de la culture politique au Brésil, où, d'après l'Anthropologue Roberto da Matta (1983) les relations de dépendance quotidienne entre individus de classes sociales différentes tendent à envahir le champ politique.

Quoi qu'il en soit, ces différences de culture politique entre les syndicalistes populistes et les syndicalistes de gauche, n'étaient pas seulement le fruit de projets politiques différents. Elles étaient aussi le reflet de changements conjoncturels importants dans la société brésilienne ; changements qui inverseront certaines représentations sociales dans la société brésilienne, y compris parmi les plus jeunes des travailleurs de PETROBRAS.