17.4.1. Du régionalisme bahianais

Le régionalisme bahianais dans la constitution de l'identité sociale des petroleiros de Bahia fut important dans les années 60. Car par le vecteur du régionalisme se construira une identité où l'appartenance à PETROBRAS prendra le dessus sur l'appartenance aux deux syndicats des petroleiros de Bahia.

C'est cette identité des petroleiros bahianais qui sera derrière les constants appels à l'unification des syndicats du pétrole de Bahia, à partir des années 80. Cette volonté affichée d'unifier le STIEP et le SINDIPETRO était même portée par la gauche, en général soucieuse des différences et de la pluralité syndicale.

De la sorte, la liste composée essentiellement des tendances les plus à gauche de la CUT, lors des élections de 1995 au STIEP, donnait la priorité de son programme d'action à l'unification des syndicats.

‘<<Jusqu'à maintenant, l'unification des syndicats de la corporation a été abordée beaucoup plus dans le discours que dans la pratique...(...). ’ ‘Nous comprenons que le STIEP et le SINDIPETRO ont une histoire de luttes identique et que l'existence de deux syndicats d'une même corporation ne fait que diviser et affaiblir le mouvement ; raisons pour lesquelles, la liste n°2 propose l'unification réelle et concrète de ces deux syndicats comme l'objectif principal de son programme.>> (In : Programme d'action de la liste n° 2 lors des élections syndicales du STIEP en mars 1995).’

Quoique cette liste ait perdu les élections, l'unification des deux syndicats se réalisera en 1996 ; cela suite à la défaite des syndicalistes du pétrole lors de la grève de 1995, aux difficultés financières des syndicats et aux difficultés de mobilisation de la base après ce mouvement. Ce qui poussa tous les groupes syndicaux des petroleiros de Bahia à défendre l'idée de l'unification des syndicats.

À ce propos, il faut souligner que chez les travailleurs du pétrole de São Paulo, par exemple, répartis sur quatre raffineries et quatre syndicats, ou chez ceux de Rio de Janeiro, avec deux syndicats de petroleiros, la prégnance régionaliste fut beaucoup moins marquée. À Rio de Janeiro, un vote fut même organisé, à la fin des années 80, pour décider si les travailleurs de la production et de l'exploration du pétrole n'allaient pas créer leur propre syndicat. Il s'agissait surtout, dans ce cas, de revendiquer une séparation et une différence entre les travailleurs du siège de PETROBRAS, situés dans la ville de Rio de Janeiro, et les autres travailleurs assignés à d'autres sites, dans d'autres villes.

De même, les discours des syndicalistes du pétrole à São Paulo n'ont jamais donné lieu à des discours sur les "petroleiros de São Paulo", comme c'était le cas à Bahia pour les petroleiros bahianais. Car à Rio et à São Paulo, il s'agissait davantage de construire un mouvement syndical des petroleiros à un niveau national, où peu de place était accordée aux revendications régionalistes. Nous sommes là au coeur de la dynamique nationalisme/régionalisme de la société brésilienne.

De toute manière, nulle part au Brésil les ouvriers du pétrole ne furent si régionalistes qu'à Bahia. Ce régionalisme puise ses origines dans les discours des années 50 et 60, mais il demeurera important jusqu'aux années 90.

À Bahia les travailleurs du pétrole n'étaient pas seulement petroleiros ou attachés à une certaine unité productive, ils étaient avant tout "petroleiros bahianais" ; qui avaient une histoire de luttes syndicales, de défense du Monopole d'État sur le pétrole et de conquêtes, dont tous les travailleurs de PETROBRAS avaient pu bénéficier.

Ce discours sur la spécificité et la tradition des petroleiros de Bahia, repris par toutes les tendances syndicales durant les mouvements de masse, constituait un moyen pour mobiliser les travailleurs et les convaincre de la nécessité de préserver le nom et la réputation des travailleurs de Bahia. Par exemple, nous avons vu, lors de notre travail de terrain, des militants de gauche déclarer que la participation de Bahia dans les mouvements nationaux des petroleiros était importante, car les travailleurs du pétrole bahianais faisaient référence pour les autres travailleurs de PETROBRAS ; cela, en raison d'une longue tradition de luttes, et ce, indépendamment du fait que le niveau de la production de brut et le nombre de travailleurs dans l'État avaient beaucoup chuté.

Autrement dit, le régionalisme bahianais n'était pas l'apanage des groupes de travailleurs les plus âgés. Bien que les conditions d'existence de ce régionalisme (à savoir, la concentration des activités les plus importantes de PETROBRAS à Bahia) n'étaient plus réunies, sur le plan symbolique le régionalisme bahianais resta très mobilisateur pour les travailleurs. Ce qui explique les discours des militants sur l'importance symbolique de la participation des petroleiros de l'État de Bahia à tous les mouvements nationaux des travailleurs du pétrole.