17.5.1. L'Éveil Nationaliste

L'idée qu'il fallait faire du Brésil "une véritable nation" est née au XIXème siècle , mais elle ne commence à gagner de l'ampleur qu'au début de ce siècle, notamment dans les cercles intellectuels imprégnés des idées positivistes d'Auguste Comte. Pour la plupart des intellectuels engagés dans ce projet 456 , le concept de nation apparaissait comme le plus pertinent pour réfléchir à la situation du pays. S'appuyant parfois sur des arguments fort racistes et déterministes ( le Brésil n'était pas encore une nation parce que son peuple était encore plongé dans la barbarie, en raison surtout de l'infériorité biologique des ethnies qui avaient participé à la formation du peuple brésilien, etc.), ces auteurs défendaient l'idée que, à travers l'action de l'État, il fallait procéder à la construction d'une nation moderne ; moderne, signifiant ici conforme au modèle des États-nations des grands pays européens et des États Unis.

Au départ, ces idées resteront limitées à certains milieux sociaux : au sein d’une certaine intellectualité, critique du régime oligarchique du Brésil de l’époque et, surtout, chez les jeunes officiers de l'armée. Quoi qu'il en soit, nous assistons au cours des premières décennies de ce siècle à plusieurs manifestations artistiques, culturelles et politiques d'inspiration nationaliste. La campagne pour l'obligation du service militaire en 1917, les rébellions militaires des jeunes officiers de l'armée (Les "tenentes") au cours des années 20, la Semaine d'Art Moderne en 1922 457 , etc. montrent à quel point le nationalisme, ou plutôt l'idée de nation, était forte dans les couches urbaines intellectualisées. Ce mouvement eut des répercussions même sur le plan religieux, avec la codification, vers la fin des années 30, de l'Umbanda, mélange de catholicisme, de spiritisme Kardeciste, de religions d’origine africaine et de croyances amérindiennes, mais revendiquée comme typiquement brésilienne par ses fondateurs. De même, l’institution par le clergé brésilien de Notre Dame de Aparecida, une sainte noire, comme sainte patronne du Brésil, en 1930, va dans le même sens.

Mais, c'est seulement à partir de la révolution de 1930 que les tenants de ces idées accéderont au pouvoir, ce qui leur donnera les moyens politiques indispensables pour mettre en pratique leurs projets. Projets centrés sur des idées corporatistes encore diffuses dans les années 20, mais qui très vite seront rassemblées dans un corpus théorique plus ou moins stable 458 . En effet, nous assistons à partir de 1930 à un double processus : d'abord, un mouvement centralisateur et interventionniste de l'État fédéral qui prend en main le contrôle de la politique économique du pays afin de faire face aux difficultés de l'économie brésilienne, consécutives à la grande crise mondiale de 1929 ; ensuite, un regain d'influence des militaires dans les prises de décisions, grâce au rôle qu'ils avaient joué dans la rébellion armée et, par conséquent, leur présence accrue au coeur même de l'État.

Ces deux tendances s'intensifieront après le Coup d'État de 1937 et l'instauration de la dictature de l'ESTADO NOVO de Vargas. L'autoritarisme du régime, en concentrant le pouvoir politique entre les mains d'un petit cercle de bureaucrates et de militaires autour du président Vargas, ouvrira le chemin de l’engagement de l'État dans l'économie et dans la régulation des rapports entre les groupes sociaux.

Notes
456.

Il faut citer ici, parmi les auteurs les plus importants, Silvio Romero pour le XIXème siècle et Alberto Torres au début de ce siècle. Dans ce même courant, on peut ranger aussi des écrivains de l'envergure de Raul Pompéia, Euclides da Cunha et Lima Barreto, surtout dans leurs écrits journalistiques les plus engagés.

457.

Il ne faut pas oublier le désir de redécouvrir le pays qui animait les modernistes en 1922, dont les recherches ethnographiques de Màrio de Andrade, l'Anthropophagie d’Oswald de Andrade et le Verde-Amarelismo de Cassiano Ricardo et Plinio Salgado illustrent bien la portée.

458.

Le glissement d'un nationalisme plus ou moins diffus vers un corporatisme d'inspiration fasciste peut être illustré par l'oeuvre de celui qui était considéré comme l'idéologue de l'Estado Novo (l'État Nouveau), Oliveira Vianna., lequel écrivait en 1939 que <<Nous devons suppléer par l'action consciente de l'individu et de l'État, ce que notre évolution historique n'a pas encore pu nous donner : structure, organisation, conscience collective ; cela jusqu'où il sera possible>> (Cité par EricKson, 1977 : 36). Sur cette caractéristique de la pensée politique brésilienne des années 30, voir l'excellent ouvrage de Pécaut (1989).