Nous rappellerons dans un premier temps l’étymologie du terme Landschaft, qui est formé à l’aide du suffixe ’-schaft’, adjoint au radical ’Land’. Le dictionnaire Trübner nous indique que cette dérivation est très ancienne :
‘Landschaft gehört zu den ältesten Bildungen der Gruppe. Das Bestimmungswort hat nicht-persönliche Bedeutung wie in Brief-, Gerät-, Ortschaft: damit gehört Landschaft zu der seltneren Untergruppe; die Bot-, Bruder-, Genossen-, Graffschaften usw. sind von Anfang an häufiger11.’Le suffixe ’-schaft’ permet de former des dérivés qui désignent le plus souvent une collectivité (’Genossenschaft’ ou bien ’Gesellschaft’ par exemple). Il exprime plus rarement, lorsque la base nominale est un objet inanimé (’Gerätschaft’ ou ’Ortschaft’), l’idée d’appartenance à un ensemble, comme c’est le cas notamment pour le mot Landschaft.
Les termes ’paysage’ en français et ’landscape’ en anglais sont composés sur le même modèle12. Le suffixe ’-age’, que l’on retrouve notamment dans des mots tels que ’feuillage’, ’visage’, permet de former des substantifs qui désignent des ensembles (celui que forme une frondaison par exemple). Il comporte également une deuxième signification, qui apparaît plus nettement dans des termes comme ’cadrage’, ’dosage’, dérivés de verbes du premier groupe, et qui a trait à une activité humaine (le fait de ’cadrer’, de ’doser’). Ainsi, l’étymologie du mot ’paysage’ en français renvoie à la fois à un ensemble géographique et à l’acte qui permet de le percevoir comme tel. Quant au terme anglais ’landscape’, il provient du moyen allemand ’lantscap’, auquel correspond ’landscipe’ en ancien anglais. La terminaison ’-scipe’ a donné ensuite naissance au suffixe ’-ship’, sur lequel sont formés des dérivés tels que ’friendship’ ou ’lordship’13. Seul le mot ’township’ (signifiant ’commune, bourg’) a conservé le sens collectif du suffixe allemand ’-schaft’.
Étymologiquement, le terme Landschaft désigne ainsi l’ensemble des caractéristiques d’un même ’pays’. Dès sa première apparition en ancien haut allemand, sous la forme de ’lantscaf’, le terme prend tout naturellement le sens de ’Gegend’ (’région’).
Cette acception géographique et territoriale est attestée par le dictionnaire de K. v. Stieler :
‘Landschaft / die / provincia, regio, eparchia, terrarum tractus. Vortreffliche Landschaft / regio nobilissima. Große Landschaft / vasta. Unbekannte / terra incognita. Wüste / deserta. Eine Landschaft bewonen / incolere regionem14.’Le terme est très longtemps employé comme équivalent de regio. On trouve encore par exemple, au début du XIXe siècle, dans le dictionnaire de J. H. Campe, la définition suivante, placée en première position :
‘Ein Land, sofern es als der Theil eines größern Landes oder Reiches betrachtet wird (Provinz). So bestehen alle großen Länder und Reiche z. B. Deutschland aus mehren Landschaften. Die Deutschen Landschaften des Preußischen Staates. [...] In manchen Gegenden führen auch die Theile kleinerer Bezirke den Namen der Landschaften. So besteht das Amt Tondern in dem Herzogthume Schleßwig aus zwei Landschaften, d. h. Bezirken [...]15.’Associé à ’Bezirk’, le mot Landschaft prend ici une signification plus politique. Le lexicographe mentionne également un emploi impropre du terme, lorsque ce dernier désigne, par glissement métonymique, la ’population d’un pays’, c’est-à-dire les habitants de cette région ou même l’instance administrative qui les représente :
‘Uneigentlich nennt man auch die Landstände eines Landes oder einer Landschaft, als ein Ganzes betrachtet, die Landschaft, und auch wol einen von den Landständen niedergesetzten Ausschuß aus ihrer Mitte, die Angelegenheiten der gesammten Landstände im Namen derselben zu verwalten. Die Landschaft zusammenberufen, entlassen16.’Néanmoins, dès la fin du XVIIIe siècle, l’acception uniquement géographique et territoriale du mot Landschaft semble désuète17. Elle est en effet peu à peu supplantée par une deuxième signification, qui apparaît dès le début du XVIe siècle et qui associe le terme de Landschaft non plus à celui de regio, mais à celui de pictura.
Trübners Deutsches Wörterbuch, éd. par A. Götze, 8 vol., Berlin 1939-1957, vol. 4, p. 359.
La première occurrence du mot ’paysage’ dans la langue française date de 1549. Elle succède de peu à celle de son équivalent italien ’paesaggio’ et précède celle du terme ’landscape’ en anglais (1598).
Nous renvoyons ici au dictionnaire d’étymologie anglaise The Oxford Dictionary of English Etymology (éd. par C. T. Onions, Oxford 1966) : ’-ship [...] added to sbs. to denote the state or condition of being what is expressed by the sb., the qualities or character associated with, the power implied by, and spec. the position or dignity designated by the sb., as in OE. freondscipe FRIENDSHIP [...]’ (p. 821).
K. v. Stieler, Der Teutschen Sprache Stammbaum und Fortwachs oder Teutscher Sprachschatz, Nuremberg 1691, réédité par G. Ising, Munich 1968, article Landschaft. Le dictionnaire Trübner confirme également cette origine : ’Die Wortgeschichte beginnt bei uns mit ahd. Stoffen wie regio / lantscaf; sonst steht das ahd. Wort für patria, provincia, terra. ’Regio’ bleibt stets Hauptbedeutung [...]’ (op. cit., p. 359).
J. H. Campe, Wörterbuch der deutschen Sprache, 5 vol., Braunschweig 1807-1811, réédité par H. Henne, Hildesheim 1969, vol. 3, entrée Landschaft.
Ibid. Cf. également le dictionnaire des frères Grimm : ’3) landschaft, als ein sozial zusammenhängendes ganzes, gegend, regio [...] Charlotte benutzte nunmehr die schönen tage, um in der nachbarschaft ihre gegenbesuche zu enden, womit sie kaum fertig werden konnte, indem sich die ganze landschaft umher einige wahrhaft theilnehmend, andere blosz der gewohnheit wegen, bisher fleiszig um sie bekümmert hatten. GÖTHE 17,34’ (in : J. et W. Grimm, op. cit.). C’est cette même acception que l’on retrouve chez H. v. Kleist, comme en témoigne le passage suivant, extrait de Das Käthchen von Heilbronn (1810) : ’[Der Graf vom Strahl] [...] Ist das nicht der dritte Reichsritter, den sie [Kunigunde] mir, einem Hund gleich, auf den Hals hetzt, um mir diese Landschaft abzujagen! Ich glaube, das ganze Reich frißt ihr aus der Hand. [...]’ (in : H. v. Kleist, Sämtliche Werke und Briefe, éd. par H. Sembdner, Munich 1964, 3ème édition, vol. 1, p. 456).
Cf. notamment J. C. Adelung (Grammatisch-kritisches Wörterbuch der Hochdeutschen Mundart [...], 2ème édition, 4 vol., Leipzig 1793-1801, réédité par H. Henne, Hildesheim 1970) : ’Landschaft, plur. die -en. I. Von Land, eine Provinz. (1) Eigentlich, eine Provinz, ein Land; eine sehr alte Bedeutung [...]. Im Hochdeutschen ist sie größtentheils veraltet ’. Les frères Grimm soulignent également que cet usage est devenu ’étranger à la langue moderne’ (’der modernen sprache fremd geworden ist landschaft in weiterem sinne, gleich land [...]’, in : J. et W. Grimm, op. cit.).