- La définition du paysage au Xxe siècle

Les définitions que donnent les dictionnaires modernes tels que le Duden ou le Wahrig par exemple pour le mot Landschaft rappellent celle que trouvons en première position dans celui des frères Grimm. Ainsi, le Duden propose en premier lieu :

‘1. hinsichtlich des äußeren Erscheinungsbildes (der Gestalt des Bodens, des Bewuchses, der Besiedelung o. ä) in bestimmter Weise geprägter Teil, Bereich der Erdoberfläche; Gebiet der Erde, das sich durch charakteristische äußere Merkmale von anderen Gegenden unterscheidet41.’

De même, le Wahrig souligne uniquement la spécificité géographique du paysage, associé à nouveau au terme ’Gegend’ :

‘[...] geograph. Gebiet mit bestimmter, von der Natur geprägter Eigenart; freies Land, Gegend [...]42.’

Ces définitions diffèrent de celles du mot ’paysage’ dans les dictionnaires français. Nous trouvons par exemple dans le Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française de P. Robert la définition suivante :

1. Partie d’un pays que la nature présente à l’oeil qui la regarde43.

Le paysage se caractérise ici par la relation qui s’instaure entre un fragment du monde sensible et le regard qui le saisit. Ce rapport est également souligné par le Grand Larousse de la langue française :

1. Étendue de pays, suite naturelle que l’oeil peut embrasser dans son ensemble [...]44.

Il est possible que cette mise en valeur particulière du rôle joué par le regard dans la constitution du paysage soit liée à la spécificité, relevée précédemment, du suffixe ’-age’ que l’on trouve dans le mot ’paysage’ et qui désigne non seulement la somme des éléments constitutifs d’un même ’pays’, mais également l’activité de perception du spectateur.

À l’inverse, cette corrélation moderne entre le paysage et la perception du sujet, pourtant suggérée, à l’origine, par Campe (’Eine Gegend auf dem Lande, so wie sie sich dem Auge darstellt’) et par les frères Grimm (’namentlich in neueren quellen mit rücksicht auf den eindruck, den eine solche gegend auf das auge macht’)45 s’est effacée dans les dictionnaires allemands actuels au profit d’une définition plus géographique, fidèle à la signification étymologique du terme Landschaft.

Néanmoins, cette lacune est comblée par la réflexion très féconde qu’ont menée, au XXe siècle, en Allemagne, des philosophes et des sociologues de l’art tels que W. H. Riehl, H. Lehmann, G. Simmel et J. Ritter sur la notion de paysage46.

Notes
41.

Duden. Das große Wörterbuch der deutschen Sprache in acht Bänden, sous la direction de G. Drosdowski, 2ème édition, Mannheim 1994, vol. 4, article Landschaft, p. 2056.

42.

G. Wahrig, Deutsches Wörterbuch (1ère édition 1966), Gütersloh 1997, article Landschaft, p. 793.

43.

Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française par Paul Robert, éd. par la Société Administrative Française des OEuvres de P. Robert, Paris 1960, fascicule 37, article paysage, p. 205.

44.

Grand Larousse de la langue française en sept volumes, sous la direction de L. Guilbert, R. Lagane et G. Niobey, Paris 1976, tome 5, article paysage, p. 4100. À la fin du XIXe siècle, le Littré proposait déjà une définition similaire : ’Étendue du pays que l’on voit d’un seul aspect’ (Dictionnaire de la Langue Française, par É. Littré, Paris 1876, tome 3, article paysage).

45.

Cf. supra p. 12

46.

W. H. Riehl, ’Das landschaftliche Auge’ (in : W. H. Riehl, Kulturstudien aus drei Jahrhunderten, Stuttgart, Berlin 1910, p. 54-75) ; H. Lehmann, ’Die Physiognomie der Landschaft’ (in : Studium Generale, 3ème année, 4/5, 1950, p. 182-195) ; G. Simmel, ’Das Schöne und die Kunst. Philosophie der Landschaft’ (in G. Simmel, Brücke und Tür [...], éd. par Michael Landmann, Stuttgart 1957, p. 141-152) et J. Ritter, Landschaft. Zur Funktion des Ästhetischen in der modernen Gesellschaft, Münster 1963 (essai réédité in : J. Ritter, Subjektivität. Sechs Aufsätze, Francfort/Main 1974, p. 141-163, et traduit par G. Raulet, ’Le paysage. Fonction de l’esthétique dans la société moderne’, in : Argile, XVI, 1978, p. 27-58. Nous utiliserons l’édition originale). Nous nous référons principalement à ces trois ouvrages, mais nous signalons également : F. Achleitner (éd.), Die Ware Landschaft. Eine kritische Analyse des Landschaftsbegriffs, Salzbourg 1977 (cf. notamment l’article de L. Burckhardt, ’Landschaftsentwicklung und Gesellschaftsstruktur’, p. 9-15) ; M. Smuda, Der Gegenstand in der bildenden Kunst und Literatur [...], Munich 1979 ; E. Lobsien, Landschaft in Texten. Zu Geschichte und Phänomenologie der literarischen Landschaftsbeschreibung, Stuttgart 1981.