- De l’ekphrasis antique à la notion moderne de description

Nous rappellerons tout d’abord que la rhétorique ancienne distinguait, outre les deux genres appliqués à la persuasion d’une assemblée politique (genre délibératif) ou d’un tribunal (genre judiciaire) un troisième type de discours, l’épidictique, ’discours d’apparat’, comme le nomme R. Barthes122, traditionnellement affecté à l’éloge d’un héros. Ces trois situations discursives présentaient un exercice de style particulièrement apprécié, la declamatio, qui consistait en une improvisation sur un thème précis. Introduite dans le discours oratoire sous la forme d’un ’morceau brillant’123, doté d’une valeur esthétique, la declamatio a donné naissance, au IIe siècle après J. C., à l’ekphrasis ou descriptio, ’fragment’ détachable qui consistait essentiellement en une description réglée de lieux et de personnages. Ainsi que l’expose E. R. Curtius124, cette tradition rhétorique de l’ekphrasis, maintenue au cours du Moyen Âge, a jeté les fondements de la description poétique du paysage.

Cette appartenance du morceau descriptif au discours rhétorique, rigoureusement codifié, est encore très marquée à l’époque moderne, comme l’attestent les diverses typologies de la description dans les manuels de stylistique et de poétique. Dans son traité sur Les figures du discours, publié de 1821 à 1830, P. Fontanier distingue par exemple sept catégories descriptives : la topographie, la chronographie, la prosographie, l’éthopée, le portrait, le parallèle et le tableau125. Nous indiquerons simplement la définition proposée pour le genre le plus directement lié à notre propos, la topographie. Selon P. Fontanier, il s’agit d’une ’description qui a pour objet un lieu quelconque, tel qu’un vallon, une montagne, une plaine, une ville, un village, une maison, un temple, une grotte, un jardin, un verger, une forêt, etc.’. En ajoutant que la topographie peut également être ’l’usage de l’orateur’126, l’auteur rappelle l’étroite parenté de la description et de la rhétorique antique.

Plus largement, P. Fontanier définit la description, prise ici au sens générique du terme, comme un mode de représentation qui ’‘consiste à exposer un objet aux yeux, et à le faire connaître par le détail de toutes les circonstances les plus intéressantes’’ et ’‘donne lieu à l’hypotypose, quand l’exposition de l’objet est si vive, si énergique, qu’il en résulte dans le style une image, un tableau’’127. L’emprunt au domaine pictural du terme de ’tableau’ indique qu’au XIXe siècle, ainsi que le démontre R. Barthes dans son essai sur ’L’effet de réel’128, la description conserve la finalité esthétique qui lui était originellement assignée.

Nous proposons de compléter cette définition de P. Fontanier, essentiellement sémantique, par celle que propose P. Hamon, plus attentif à la structure et au fonctionnement interne de la description. Tout en rappelant qu’il ne s’agit que d’une hypothèse de travail, ce linguiste préfére définir la description comme une ’‘expansion du récit [...], un énoncé continu ou discontinu, unifié du point de vue des prédicats et des thèmes [...]’129.’

Appliquée plus spécifiquement à la représentation du paysage, cette définition soulève essentiellement trois problèmes : celui de l’insertion d’un fragment de nature dans un récit, celui de sa cohésion sémantique et, enfin, celui de sa fonction narrative.

Notes
122.
123.

Ibid., p. 86.

124.

E. R. Curtius, op. cit., p. 191 sq.

125.

P. Fontanier, Les figures du discours, introduit par G. Genette, Paris 1977. Pour une définition précise de ces différentes catégories : cf. p. 422, 424, 425, 428, 429 et 431.

126.

Ibid., p. 423.

127.

Ibid., p. 420.

128.

R. Barthes, op. cit. L’auteur s’appuie notamment sur la description de la ville de Rouen dans le roman de G. Flaubert, Madame Bovary, passage dans lequel le paysage décrit est finalement assimilé à une ’peinture’ : ’[...] on y voit enfin que toute la description est construite en vue d’apparenter Rouen à une peinture : c’est une scène peinte que le langage prend en charge [...]’ (p. 86).

129.

P. Hamon, ’Qu’est-ce qu’une description ?’ (in : Poétique, n°12, 1972, p. 465-485), p. 466. Nous renvoyons également à son Introduction à l’analyse du descriptif (Paris 1981), ainsi qu’aux analyses de J. M. Adam et A. Petitjean (’Introduction au type descriptif’ et ’Les enjeux textuels de la description’, in : Pratiques, n°34, 1982, p. 77-93 et p. 94-104). Tous s’accordent à définir la description comme la mise en relation d’une dénomination (appelée également le ’thème-titre’) et d’une expansion de cette dénomination sous la forme d’une ’nomenclature’, à laquelle est généralement associée une série de prédicats.

122 P. Hamon, Introduction à l’analyse du descriptif, Paris 1981, p. 185-186 (terme souligné par nous).