- Fonctions narratives de la description

Ainsi que le souligne P. Larousse dans sa présentation historique des diverses formes descriptives, l’attribution d’une fonction purement mimétique aux descriptions de type ’topographique’ (c’est-à-dire à celles qui ont pour objet la représentation de la nature) se révèle très vite insuffisante :

D’après la poétique de quelques contemporains, la description ne serait que l’image exacte, la photographie de l’objet décrit ; d’après les anciens, suivis en ce point par la plus grande partie des modernes, ce serait, comme l’a dit Buffon, la nature embellie. Cette dernière expression, qui s’approche de la vérité, n’est cependant pas exacte et n’exprime pas avec précision ce qu’elle veut dire. La description littéraire n’est pas absolument la nature embellie ; elle est la nature vue par un esprit particulier sous un jour propre à ses idées et à ses sentiments, la nature reproduite avec exactitude dans ses lignes principales, mais modifiée dans ses détails selon l’âme du poète et le sentiment qui le domine au moment où il la voit139.

À cette première fonction mimétique, signalée par l’obtention d’une ’image exacte’, d’une ’photographie de l’objet décrit’, s’ajoute dès l’Antiquité, comme en témoigne la tradition rhétorique de l’ekphrasis, une fonction esthétique, traduite par la reproduction d’une ’nature embellie’. Toutefois, la mise en valeur des qualités esthétiques de la description littéraire ne suffit pas à cerner l’enjeu symbolique d’une représentation de la nature. P. Larousse complète alors son analyse par la distinction d’une troisième fonction, que nous pourrions qualifier d’expressive, dans la mesure où elle permet de refléter le sentiment associé par le poète à sa représentation. Cette définition de la description topographique, caractérisée à la fois par ses composantes mimétiques et affectives, s’accorde parfaitement avec celle que nous avons proposée, comme hypothèse de travail, pour le concept de paysage littéraire.

Avant d’évaluer les conséquences méthodologiques de cette coïncidence, nous rappellerons les différentes fonctions que répertorie P. Hamon dans son analyse structurelle du texte descriptif. Outre une fonction ’démarcative’, analysée plus haut, à laquelle s’ajoute une fonction ’dilatoire’ (liée au ’retard’ qu’introduit une digression descriptive), la description remplit tour à tour une fonction ’décorative’ (production d’un effet esthétique), ’organisatrice’ (mise en oeuvre d’opérateurs topologiques) et ’focalisatrice’ (correspondance avec le ’système’ sémantique du ’personnage-réflecteur’)140. À ces trois dernières fonctions correspondent celles qu’a relevées successivement P. Larousse, à savoir les fonctions mimétique (ou ’organisatrice’ selon le terme choisi par P. Hamon), esthétique (ou ’décorative’) et expressive (ou ’focalisatrice’).

L’application de ces différentes fonctions descriptives à la représentation littéraire du paysage nous permet de donner une triple orientation méthodologique à notre étude. Défini comme une représentation d’un fragment de nature, mis en perspective par le regard subjectif du spectateur, le paysage sera l’objet d’une analyse à la fois mimétique (examen de sa fonction référentielle), esthétique (mise en valeur de ses qualités poétiques) et idéologique (étude de ses significations symboliques).

Notes
139.

Grand Larousse universel du XIX e siècle, éd. par P. Larousse, Nîmes 1990 (réimpression de l’édition de 1866-1876), article description, p. 540-541.

140.

P. Hamon, ’Qu’est-ce qu’une description ?’, op. cit., p. 484 (note 46).