2. 1. 2. Fonction de la représentation de la nature dans la littérature baroque

- Représentations de la nature ou premiers paysages ?

a. Absence d’unité

Défini comme une représentation d’un fragment de nature, mis en perspective par le regard, le paysage littéraire se caractérise tout d’abord par sa cohérence à la fois syntaxique et sémantique. Or, si nous prenons, par exemple, le passage de la pastorale de Opitz Schäfferey von der Nimfen Hercinie que nous avons présenté précédemment, nous pouvons constater que le poète ne procède que par énumérations successives. La description de la vallée idyllique repose sur la simple juxtaposition de substantifs mis au pluriel (’mitt vielen hohen warten / schönen bächen / dörffern / maierhöfen undt schäffereyen’), et dont le simple inventaire, marqué par des asyndètes, ne crée aucune dynamique. L’espace représenté est, certes, précisément circonscrit, mais il ne présente aucune organisation interne. Il est constitué d’éléments épars que le spectateur se contente d’observer et d’énumérer sans composer une vue d’ensemble.

La représentation de la nature dans la littérature baroque est caractérisée par ce procédé de juxtaposition. La description de la vue qui s’offre à Simplex dans le roman de Grimmelshausen respecte également ce principe. En effet, elle est organisée en fonction des changements successifs de la position du personnage, qui se tourne tout d’abord vers l’est (’gegen Auffgang’), puis vers le sud (’gegen Mittag’), vers l’ouest (’gegen Nidergang’), et, pour finir, vers le nord (’gegen Mitternacht’). Le poème de Gryphius ’Morgen Sonnet’182 présente une organisation analogue. Le lever de soleil est décrit au moyen de tableaux successifs que seule la progression temporelle organise en un tout cohérent.

Cette juxtaposition d’images ou de scènes de la nature, un procédé que condamnera Lessing183, répond au principe de succession temporelle inhérent à toute représentation poétique. Cependant, l’absence d’unité, c’est-à-dire d’une organisation interne instaurant un lien entre les différents éléments de la représentation, ne nous permet pas de parler ici de paysage. Loin de construire une vision d’ensemble qu’il pourrait obtenir en optant pour un point de vue précis et unique, le spectateur se contente d’une simple énumération.

Seul le poème de Gryphius ’Einsamkeit’ semble ici faire exception. Le choix d’un point de vue élevé permet en effet de contempler dans son ensemble un fragment de nature qui se distingue par son aspect désolé :

In diser Einsamkeit / der mehr denn öden Wüsten /
Gestreckt auff wildes Kraut / an die bemoßte See:
Beschau’ ich jenes Thal und diser Felsen Höh’
Auff welchem Eulen nur und stille Vögel nisten
[...]184.

Dans le troisième vers est exposée la position du moi lyrique face au spectacle contemplé. C’est à son regard que sont subordonnés les différents éléments que le poète désigne par des déictiques (’in diser Einsamkeit’, ’jenes Thal’, ’diser Felsen Höh’). Nous pouvons donc affirmer, en nous appuyant sur les concepts définis au cours de notre analyse théorique, que nous avons affaire ici à une mise en perspective de la représentation. Pouvons-nous alors parler de paysage, c’est-à-dire d’une image fragmentaire de la réalité sensible, caractérisée non seulement par sa cohésion structurelle, mais également par la qualité esthétique qui lui est nécessairement associée ?

Notes
182.

42 Cf. supra, p. 51.

183.

43 Cf. supra : 1. 2. 1., p. 36-37.

184.

44 A. Gryphius, Sonette, op. cit., p. 68.