3. L’ÉMERGENCE DU PAYSAGE EN LITTÉRATURE
(F. G. Klopstock, J. W. v. Goethe, W. Heinse)

Si nous avons jugé utile de présenter assez longuement, dans le chapitre précédent, les réflexions de Bodmer et de Breitinger sur la représentation du ’possible’ en littérature, c’est parce qu’elles nous ont semblé nécessaires à la compréhension du bouleversement qui s’opère, dès la seconde moitié du XVIIIe siècle, dans la littérature allemande. En introduisant notamment le concept du ’merveilleux’, les théoriciens suisses ont en effet souligné, pour la première fois, le rôle prépondérant de l’imagination dans le processus de création poétique, caractérisé en ces termes :

‘ [...] denn was ist Dichten anders, als sich in der Phantasie neue Begriffe und Vorstellungen formieren, deren Originale nicht in der gegenwärtigen Welt der würcklichen Dinge, sondern in irgend einem andern möglichen Welt-Gebäude zu suchen sind398.’

Cette nouvelle définition de la représentation poétique, autorisée à s’écarter du modèle qu’offre la réalité sensible, infléchit la théorie de la mimesis qu’avait défendue Gottsched. En s’attachant à représenter le ’possible’ sous une forme ’apparemment réelle’, le poète s’apparente plus à un ’créateur’399 qu’à un simple ’copiste’ de la nature.

C’est tout d’abord chez F. G. Klopstock que l’on trouve une première application de cette nouvelle conception de la création poétique. Nous commencerons donc par étudier les nouvelles formes de représentation de la nature dans l’oeuvre de ce dernier, déterminée par la découverte d’une ’langue’ du coeur. Nous prolongerons ensuite notre réflexion par la présentation de deux textes fondateurs du paysage littéraire, le roman de J. W. v. Goethe Die Leiden des jungen Werther (1774) et le récit de W. Heinse Ardinghello und die glückseligen Inseln (1787). La conquête spirituelle de la nature, amorcée par Klopstock, donne progressivement naissance au paysage tel que nous l’avons défini plus haut, c’est-à-dire à une image fragmentaire du monde sensible non seulement recomposée par le regard du spectateur, mais également intimement associée aux mouvements de son âme.

Notes
398.

p. 59-60.

399.

2 ’[...] Und in dieser Absicht kömmt auch dem Dichter alleine der Nahme ποιητου, eines Schöpfers, zu, weil er nicht alleine durch seine Kunst unsichtbaren Dingen sichtbare Leiber mittheilet, sondern auch die Dinge, die nicht für die Sinnen sind, gleichsam erschaffet, das ist, aus dem Stande der Möglichkeit in den Stand der Würklichkeit hinüberbringet, und ihnen also den Schein und den Nahmen des Würklichen mittheilet.’, in : ibid., p. 60.