Nous devons tout d’abord reconnaître que ce ’roman d’artiste’ (Künstlerroman), principalement consacré à l’art de la Renaissance italienne, n’accorde au paysage qu’une place secondaire. En effet, le récit des aventures qui conduisent le héros, Ardinghello, jusqu’aux ’îles bienheureuses’ des Cyclades, est avant tout l’occasion de longs développements esthétiques et philosophiques. Ainsi, le cours de l’action est suspendu le plus souvent non par des descriptions de paysage, mais par de longs débats, tel celui qu’engagent par exemple, dans la seconde partie du roman, Ardinghello et Demetri, réunis sur le toit du Panthéon à Rome, sur l’architecture ancienne et moderne tout d’abord, puis sur la religion et la nature481.
Toutefois, si nous avons choisi de travailler sur ce texte, c’est parce que nous avons relevé la présence singulière de différentes formes de description du paysage. En effet, le récit offre tour à tour des représentations stylisées, destinées simplement à situer l’action, des descriptions de tableaux de paysage, ainsi que des évocations plus étoffées, où s’exprime un sentiment extatique de la nature. Nous commencerons donc par exposer la diversité de ces mises en scène, avant d’analyser plus précisément le processus d’intériorisation progressive du paysage dans le roman de Heinse.
84 W. Heinse, Ardinghello und die glückseligen Inseln, Stuttgart (Reclam Ausgabe) 1975, p. 262-317. Nous utilisons ici l’édition critique de Max L. Baeumer. Pour les autres textes de Heinse que nous citerons, nous nous référerons à l’édition de C. Schüddekopf (W. Heinse, Sämmtliche Werke, 10 vol., Leipzig 1902 sq.).