4. LE PAYSAGE ROMANTIQUE : RETOUR AU SIGNE PUR ?

‘Denn man genießet an der Natur nicht, was man sieht (sonst genösse der Förster und der Dichter draußen einerlei), sondern was man ans Gesehene andichtet, und das Gefühl für die Natur ist im Grunde die Phantasie für dieselbe525.’

En analysant l’évolution du concept de paysage littéraire au cours du XVIIIe siècle, nous avons distingué diverses formes de représentation. Nous les avons qualifiées tour à tour de ’paysages-tableaux’, lorsque leur organisation paraissait encore calquée sur celle de leur modèle pictural, de paysages au ’premier’ et au ’second degré’, selon qu’elles relevaient d’une perception plus ou moins médiate de la réalité sensible, et, enfin, de ’paysages du moi’, type précurseur du paysage ’intérieur’, dès lors que leurs composantes spatiales semblaient effacées par l’expression d’une correspondance symbolique entre les mouvements de l’âme du spectateur et ceux de la nature.

Le constat d’une intériorisation progressive de la représentation, amorcée par Klopstock, portée à son paroxysme dans le Werther de Goethe et associée à une esthétique du mouvement chez Heinse, nous incite à compléter cette première ’typologie’ du paysage littéraire par l’étude de textes romantiques, point d’aboutissement de cette évolution. Nous verrons ainsi où conduit l’adoption d’une perspective ’intérieure’ et s’il n’y a pas un risque qu’elle réduise la représentation du paysage à un ensemble de signes purs. On aurait alors une nouvelle forme de codification, non plus éthique ou rationnelle, comme pour l’emblématique baroque, mais essentiellement affective.

Toutefois, il nous paraît indispensable, avant d’aborder cette analyse, de préciser le concept apparemment paradoxal de paysage ’intérieur’. Nous pouvons en effet nous interroger sur le rôle qui échoit à une image fragmentaire du monde sensible, lorsqu’elle devient un ’analogon’ de l’âme. Autrement dit, en quoi la représentation d’un morceau de réel est-elle encore un support nécessaire à l’expression de sentiments ?

C’est en exposant les réflexions théoriques de Jean Paul sur l’essence de la ’poésie paysagiste’ (poetische Landschaftsmalerei) et en étudiant leur application tout d’abord dans un passage de son roman Siebenkäs (1796-1797), puis dans d’autres textes de la même époque, que nous tenterons de justifier l’émergence d’un paysage ’intérieur’ dans la littérature romantique.

Notes
525.

1 Jean Paul, Die unsichtbare Loge, in : Werke, op. cit., vol. 1, p. 396.