4. 1. Le coeur, camera obscura du paysage

Cette métaphore surprenante, utilisée par Jean Paul dans une lettre adressée à K. A. Varnhagen von Ense526, et qui rappelle le mot d’ordre du poème de Klopstock ’An Freund und Feind’ (’[...] Erst müsse das Herz / Herrscher der Bilder seyn [...]’)527, illustre le bouleversement qui s’opère, dans la littérature, à la fin du XVIIIe siècle. Au désir de restituer avec le plus de fidélité et de précision possibles une image du monde sensible, ainsi que le permet, en peinture, l’usage de la camera obscura 528, se substitue celui de subordonner la représentation aux sentiments du spectateur. La justification théorique de ce renversement du principe mimétique, auquel se référaient encore les poètes du début du XVIIIe siècle tels que Brockes ou Haller, nous est proposée par les écrits esthétiques de Jean Paul, notamment par son ouvrage intitulé Vorschule der Ästhetik 529, paru au tout début du XIXe siècle.

Notes
526.

2 Nous nous référons ici à l’article de C. Helmreich, ’L’écriture du paysage. Jean Paul et les récits de voyage’ (in : Revue Germanique Internationale, n°7 [Le paysage en France et en Allemagne autour de 1800], Paris 1997, p. 217-230). Dans cette lettre, Jean Paul affirme que la réalisation d’un ’beau’ paysage repose sur l’utilisation du moi comme d’une camera obscura (cit. in C. Helmreich p. 225).

527.

3 Cf. supra : 3. 1. 1., p. 118.

528.

4 Cet appareil d’optique - une petite boîte percée, d’un côté, d’un petit trou laissant pénétrer la lumière et fermée, de l’autre, par un papier blanc ou un verre dépoli où vient se réfléchir l’image de l’objet que l’on cherche à reproduire – était fréquemment utilisé par les peintres du XVIIIe siècle, notamment par les védutistes italiens soucieux de ’ réalisme ’ (Pour plus de précisions, cf. : Dictionnaire des termes techniques. L’atelier du peintre et l’art de la peinture, préfacé par André Chastel, Paris 1990, art. camera obscura, p. 59). Ainsi que l’expose Roland Recht dans son essai La lettre de Humboldt. Du jardin paysager au daguerréotype (Paris 1989), cet artifice optique, ancêtre de la photographie, est encore d’une grande actualité au tournant du XIXe siècle (cf. notamment p. 142 : ’Le souci de la précision et de la froideur se manifeste cependant bien avant l’invention de la photographie : on a cherché à évacuer l’âme [...], en même temps que les paysagistes ne pensaient qu’à elle. Ce sont là deux tendances antagonistes qui sont à classer parmi les contradictions dont le Romantisme est fait.’).

529.

5 Jean Paul, Vorschule der Ästhetik (1804), in : Werke, op. cit., vol. 5.