- Le paysage musical

Le désir d’adapter la représentation d’un morceau de réel au monde intérieur du spectateur mène à la recherche de correspondances entre les couleurs et les sons. Car, comme l’a rappelé Schiller dans son essai Über Matthissons Gedichte, l’art approprié à l’expression de sentiments en soi ’impropres à toute représentation’ sensible ne peut être que celui de la musique :

‘Zwar sind Empfindungen, ihrem Inhalte nach, keiner Darstellung fähig; aber ihrer Form nach sind sie es allerdings, und es existiert wirklich eine allgemein beliebt und wirksame Kunst, die kein anderes Objekt hat als eben diese Form der Empfindungen. Diese Kunst ist die Musik [...]586.’

C’est sur cette conception particulière de la musique comme un ’langage’ du monde intérieur que repose, notamment chez Tieck , l’idée d’une analogie profonde entre les couleurs et les sons. Ainsi, dans son essai intitulé Die Farben, publié en 1799 dans un recueil esthétique conçu en collaboration avec Wackenroder, Phantasien über die Kunst, Tieck compare le jeu des couleurs naturelles à de véritables variations musicales :

‘Farbe ist freundliche Zugabe zu den Formen in der Natur, die Töne sind wieder Begleitung der spielenden Farbe. Die Mannigfaltigkeit in Blumen und Gesträuchen ist eine willkürliche Musik im schönen Wechsel, in lieber Wiederholung: die Gesänge der Vögel, der Klang der Gewässer, das Geschrei der Tiere ist gleichsam wieder ein Baum- und Blumengarten: die lieblichste Freundschaft und Liebe schlingt sich in glänzenden Fesseln um alle Gestalten, Farben und Töne unzertrennlich. Eins zieht das andre magnetisch und unwiderstehlich an sich587.’

Cette correspondance entre éléments visuels et éléments auditifs, sous-tendue, comme chez Jean Paul, par l’idée d’un Tout (’Farben und Töne unzertrennlich’), est traduite par une suite d’images synesthésiques, qui reposent sur l’association intuitive de la vue et de la perception auditive.

Tieck affirme de même, dans son petit traité consacré aux ’symphonies’ (terme qui, tout comme celui de synesthésie, fait à nouveau apparaître l’idée d’un Tout), que les sons génèrent naturellement une série d’images à la fois ’individuelles et concrètes’ :

‘Und dennoch schwimmen in den Tönen oft so individuell-anschauliche Bilder, so daß uns diese Kunst [...] durch Auge und Ohr zu gleicher Zeit gefangen nimmt. Oft siehst du Sirenen auf dem holden Meeresspiegel schwimmen, die mit den süßesten Tönen zu dir hinsingen; dann wandelst du wieder durch einen schönen, sonnglänzenden Wald, durch dunkle Grotten, die mit abenteuerlichen Bildern ausgeschmückt sind; unterirdische Gewässer klingen in dein Ohr, seltsame Lichter gehn an dir vorüber588.’

L’interpénétration des sons et des formes visuelles concourt à la création d’un espace musical, auquel les prépositions et circumpositions spatiales (’durch einen [...] Wald’, ’durch [...] Grotten’, ’an [dir] vorüber’) confèrent une profondeur virtuelle.

Selon Tieck, la découverte de correspondances synesthésiques est à mettre sur le compte de la peinture, et non de la musique qui, par son caractère immatériel, comme nous le préciserons par la suite, apparaît comme un art en soi589. Ainsi, le tableau de paysage que compose, en rêve, Sternbald, bercé par le murmure de la nature environnante590, semble parachevé, lorsque le peintre parvient ’inconsciemment’ à introduire dans son tableau le chant du rossignol :

‘Franz war von dem Anblicke hingerissen, aber er sah nun Tafel und Palette vor sich und malte unbemerkt den Eremiten, seine Andacht, den Wald mit seinem Mondschimmer, ja es gelang ihm sogar, und er konnte nicht begreifen wie es kam, die Töne der Nachtigall in sein Gemälde hineinzubringen. Er hatte nich nie eine solche Freude empfunden [...]591.’

La difficulté de transcrire en images ’réelles’, et non plus seulement oniriques, des éléments musicaux est soulignée par Rudolf Florestan, ce ’ménestrel’ qui initie Sternbald aux joies de l’errance romantique :

‘Es wurde Abend, ein schöner Himmel erglänzte mit seinen wunderbaren, buntgefärbten Wolkenbildern über ihnen. ’Sieh’, fuhr Rudolf fort, ’wenn ihr Maler mir dergleichen darstellen könntet, so wollte ich euch oft eure beweglichen Historien, eure leidenschaftlichen und verwirrten Darstellungen mit allen unzähligen Figuren erlassen. Meine Seele sollte sich an diesen grellen Farben ohne Zusammenhang, an diesen mit Gold ausgelegten Luftbildern ergötzen und genügen [...]. O mein Freund, wenn ihr doch diese wunderliche Musik, die der Himmel heute dichtet, in eure Malerei hineinlocken könntet ! Aber euch fehlen Farben, und Bedeutung im gewöhnlichen Sinne ist leider eine Bedingung eurer Kunst.’592

La nécessité de ’signifier’ (’Bedeutung’), à laquelle souscrit traditionnellement la peinture figurative, fait obstacle à la transcrition picturale de cette ’merveilleuse musique’ du crépuscule. C’est en usant de ’couleurs vives’, sans lien extérieur (’ohne Zusammenhang’), c’est-à-dire affranchies de toute contrainte figurative, que le peintre peut obtenir une représentation musicale, délestée en quelque sorte de tout élément narratif (’so wollte ich euch [...] eure beweglichen Historien [...] erlassen’). L’immatérialité des représentations picturales qu’envisage ici Florestan témoigne du renversement esthétique qui s’opère au tournant du XIXe siècle. À une reproduction mimétique de la nature est en effet préférée une image ’aérienne’ (’Luftbildern’), dont l’incorporéité serait garantie par une utilisation plus gratuite des couleurs, conformément à celle des sons en musique593.

Le fait que cette nouvelle conception d’une peinture non-figurative est exposée, dans le roman de Tieck, non par Sternbald lui-même, mais par son compagnon de voyage, Florestan, poète de son état, témoigne de la difficulté que pose, dans la peinture de la fin du XVIIIe siècle, encore dominée par le genre historique, l’application du paradigme musical.

Nous rappellerons que c’est essentiellement chez Runge, dont les compositions novatrices ont soulevé une vive controverse594, que nous trouvons une véritable tentative de transcription musicale du paysage. De même que chez Jean Paul, ainsi que nous l’avons noté plus haut, le développement d’une écriture musicale du paysage ne fait pas uniquement appel aux harmonies imitatives, chez Runge, la musicalité de la représentation ne se traduit pas seulement par l’emploi de motifs destinés à matérialiser l’idée de la musique, comme le montre, par exemple, dans le tableau Der Morgen (1808-1809) que nous évoquerons plus loin595, la présence d’enfants jouant de divers instruments. C’est également sur l’idée d’une parenté structurelle entre une représentation picturale et une composition musicale que se fonde la vision rungienne du paysage. Dans une lettre adressée à son frère Daniel, Runge compare ainsi l’agencement de son tableau intitulé Lehrstunde der Nachtigall 596 (1802 pour la première version, 1804 pour la seconde), à une ’fugue musicale’597, c’est-à-dire à une composition dans laquelle le thème principal (auquel correspondrait, en peinture, l’idée assignée à la représentation) est repris sous la forme d’infinies variations (que suggérerait le jeu des couleurs).

Une analyse plus exhaustive de cette application d’une structure musicale à la représentation picturale du paysage, sous-tendue, chez Runge, par une théorie de la couleur qui semble répondre au désir, exprimé par Tieck dans son roman Franz Sternbalds Wanderungen, de transformer le paysage en une image ’aérienne’598, déborderait largement le cadre de cette analyse, consacrée au paysage littéraire. C’est pourquoi nous nous bornerons à souligner ici le renversement esthétique qui s’opère, à la fin du XVIIIe siècle en Allemagne, à la fois en littérature et en peinture, et qui révèle la ’spiritualisation’ (Beseelung) romantique de la représentation du paysage, conçue non plus comme la fidèle reproduction d’un fragment de nature, mais comme la traduction sensible d’une ’tonalité’ affective.

Ces couleurs ’éthérées’, qui, comme le déplore Florestan, semblent encore faire défaut au peintre, sont peut-être précisément celles dont dispose le poète, qui, par essence, peut s’affranchir plus librement des contraintes mimétiques liées à la représentation d’un fragment du monde sensible. Ainsi, dans le roman de Jean Paul Die unsichtbare Loge, la prétérition à laquelle recourt le narrateur, lorsqu’il cherche à décrire, à la manière d’un peintre, le paysage découvert par Gustav au terme de son ascension symbolique, ne sert qu’à masquer, pour mieux les dévoiler ensuite, les réels atouts du poète :

‘Mein Vater hätte mich in die Zeichenschule senden sollen: könnt’ich nicht jetzt die ganze Landschaft in meinem Farbenstrom statt im Dintenstrom auffangen und hinausspiegeln? Wahrhaftig ich könnte jedes Gebüsch mit dem hineinschlüpfenden Vogel dem Leser in die Augen zurückspiegeln, jede lippenfarbige Rotbeere der Felsen-Abdachung, jedes von Anflug überwachsene Schaf und jeden Baum, den das das Eichhörnchen mit zerbröckelten Tannzapfen umsäete. Inzwischen gibt es Dinge, an denen wieder die Iltishaare des Pinsels vergeblich bürsten, die aber schön aus meinem Kiele rinnen – das auf Genüssen schwimmende Auge Gustavs schifft leicht hinüber und herüber zwischen dem Lamme, dem hellen Blumengrund mit der Schatten-Landspitze und zwischen dem Zauber-Gesichte Reginens und braucht nirgend wegzublicken599.’

Ce que le peintre, tenu aux principes d’unité et d’immédiateté visuelles, n’est pas à même de reproduire, comme, par exemple, les différents mouvements de l’âme du spectateur, ’coule’ plus aisément de la plume du poète, libre d’utiliser une perspective ’sentimentale’ (’das auf Genüssen schwimmende Auge Gustavs’).

Les notations synesthésiques, le jeu des sonorités, tout comme le recours à de longues périodes cadencées, sur le modèle de celle que développe Jean Paul dans le passage, extrait du roman Siebenkäs, que nous avons étudié précédemment600, sont autant de ressources nécessaires à la transcription musicale du paysage en littérature. C’est ainsi que Brentano par exemple, dans le roman Godwi, parvient à réaliser cette composition musicale dont rêve Sternbald :

‘Wir schwiegen lange, und horchten auf das Abendlied der Nachtigall, das mit glänzenden einzelnen Tönen durch die lebenden Gewölke zog. Der Mond sprach wehmütig mit einzeln zündenden Silben durch das Flüstern der Bäume, Ahndung wehte mit ihren dämmernden Flügeln durch die Büsche, und alle heimlichsten Gedanken wagten sich aus jeder Seele, wo sie sich vor dem geschäftigen vorwitzigen Tage versteckt hatten601.’

Le  ’chant’ du crépuscule, entonné par les rossignols, est traduit ici par des touches synesthésiques (’mit glänzenden einzelnen Tönen’, ’mit einzeln zündenden Silben’), ainsi que par une allitération de sifflantes (’glänzenden’, ’einzelnen’, ’ zog ’, ’zündenden’, ’Silben’, ’Flüstern’). La prédominance d’adjectifs verbaux (’ glänzend[en] ’, ’ lebend[en] ’, ’ zündend[en] ’, ’ dämmernd[en] ’) dans cette description, dénuée de qualités plastiques, souligne l’assimilation, typiquement romantique602, de la nature à un logos (’Der Mond sprach [...] mit einzeln zündenden Silben [...]’). La transcription musicale de ce ’langage’ de la nature fait finalement appel non plus à la perception visuelle, mais à ’l’intuition’ (’Ahndung’), qui transporte le spectateur au-delà de la réalité sensible603.

Ainsi, l’abstraction à laquelle tend la conception romantique du paysage pictural, telle que la développe notamment Tieck dans son roman Franz Sternbalds Wanderungen, semble aller de pair avec la déréalisation croissante du paysage en littérature, comme nous l’avons relevé chez Jean Paul. Cette orientation commune est liée à l’adoption d’un nouveau paradigme esthétique, celui de la musique, considérée par les romantiques comme le ’premier’, le plus ’immédiat’ et le plus ’audacieux’ de tous les arts604. Parce qu’elle est ce ’langage’ absolu605 qui élève l’âme de l’individu sans nécessairement requérir une médiation extérieure, que ce soit celles des mots comme en poésie, ou celle des images dans le domaine pictural, la musique occupe la première place dans la hiérarchie esthétique du premier romantisme. Selon la formule employée par M. Thalmann au terme de son analyse du conte de Wackenroder intitulé Ein wunderbares morgenländisches Märchen von einem nackten Heiligen, les ’abstractions délivrent’606. C’est au cours d’une ’merveilleuse nuit d’été’, au clair de lune, qu’a lieu la métamorphose rédemptrice du saint dont il est question dans ce conte et qui est hanté par le grondement continu de la ’roue du temps’607 :

‘Einst aber war eine wunderschöne, mondhelle Sommernacht, und der Heilige lag wieder weinend und händeringend auf dem Boden seiner Höhle. Die Nacht war entzückend: an dem dunkelblauen Firmamente blinkten die Sterne wie goldene Zierden an einem weit übergebreiteten, beschirmenden Schilde, und der Mond strahlte von den hellen Wangen seines Antlitzes ein sanftes Licht, worin die grüne Erde sich badete. Die Bäume hingen in dem zauberhaften Schein wie wallende Wolken auf ihren Stämmen, und die Wohnungen der Menschen waren in dunkle Felsengestalten und dämmernde Geisterpaläste verwandelt. Die Menschen, nicht mehr vom Sonnenglanze geblendet, wohnten mit ihren Blicken am Firmamente, und ihre Seelen spiegelten sich schön in dem himmlischen Scheine der Mondnacht608.’

L’apesanteur (’ein sanftes Licht, worin die grüne Erde sich badete’, ’Die Bäume hingen in dem zauberhaften Schein’) et le renversement cosmique (’Die Menschen [...] wohnten mit ihren Blicken am Firmamente’) qu’opère la magie du clair de lune préludent à la délivrance du malheureux anachorète. La transfiguration soudaine de ce dernier est associée à la perception d’une ’musique éthérée’, qui s’élève d’une barque remontant le fleuve :

‘Aus dem Nachen wallte eine ätherische Musik in den Raum des Himmels empor [...]. Mit dem ersten Tone der Musik und des Gesanges war dem nackten Heiligen das sausende Rad der Zeit verschwunden. Es waren die ersten Töne, die in diese Einöde fielen; die unbekannte Sehnsucht war gestillt, der Zauber gelöst, der verirrte Genius aus seiner irdischen Hülle befreit. Die Gestalt des Heiligen war verschwunden, eine engelschöne Geisterbildung, aus leichtem Dufte gewebt, schwebte aus der Höhle [...] und hob sich nach den Tönen der Musik in tanzender Bewegung von dem Boden in die Höhe609.’

Art ’immatériel’ par excellence, la musique soustrait l’individu au continuum spatiotemporel qui détermine son existence terrestre. Elle seule permet d’apaiser définitivement cette ’nostalgie inconnue’ qui distingue l’artiste romantique du commun des mortels610.

La déréalisation qu’engendre l’introduction d’une dimension musicale dans le paysage est le prix de cette ’romantisation’ du monde, qui, chez Novalis, apparaît nécessaire à la découverte de son ’sens originel’611. Ainsi que le note très justement L. Pikulik, cette aspiration à transfigurer la réalité est l’expression de ’l’insuffisance’ fondamentale de cette dernière aux yeux du poète romantique612.

Toutefois, il convient de nuancer la portée de cette ’délivrance’ musicale que connaît l’anachorète dans le texte de Wackenroder en rappelant qu’elle se double également d’une dimension tragique, particulièrement manifeste dans la première partie du récit. Lorsqu’elle est appréhendée essentiellement par le biais de la perception auditive, la réalité sensible apparaît en effet comme un enfer mécanique et dénué d’harmonie613. La souffrance éprouvée par l’âme musicienne, condamnée à connaître les ’dissonances’ de la vie, est ainsi la rançon de ce nouveau programme de ’romantisation’ musicale du monde.

Cette rapide analyse d’un passage du conte de Wackenroder, extrait que nous avons choisi en fonction de sa pertinence pour notre sujet, mais qui est simplement le verso d’un ensemble duel, démontre la nécessité de travailler non seulement sur des unités de sens révélatrices du traitement littéraire du paysage, mais également sur l’ensemble du texte dans lequel elles s’insèrent. C’est pourquoi nous avons choisi de clore notre réflexion sur la représentation du paysage en littérature par la présentation synthétique de deux récits appropriés à la mise en évidence de la fonction non seulement sémantique, mais également narrative du paysage littéraire. Il s’agit tout d’abord du récit de L. Tieck qui s’intitule Die Freunde (1797), puis du roman, plus tardif, de J. v. Eichendorff, Ahnung und Gegenwart (1815).

Toutefois, avant d’aborder ces deux textes, nous souhaitons revenir, pour finir, sur un motif que nous avons rencontré dès le début de notre étude, celui du ’regard plongeant’ (Gipfelblick), et qui nous semble être un bon exemple de l’application progressive d’une perspective ’intérieure’ dans la littérature allemande de la seconde moitié du XVIIIe siècle.

Notes
586.

62 F. Schiller, op. cit., p. 998. Les couleurs doivent ainsi être traitées comme des sons : ’Wir fodern auch von Farben eine Harmonie und einen Ton und gewissermaßen auch eine Modulation.’ (in : ibid., p. 999).

587.

63 L. Tieck, op. cit., in : W. H. Wackenroder, Sämtliche Werke und Briefe. Historisch-kritische Ausgabe, éd. par S. Vietta et R. Littlejohns, Heidelberg 1991, vol. 1, p. 191.

588.

64 L. Tieck, Symphonien, in : ibid., p. 244. Nous trouvons également chez E. T. A. Hoffmann, dans ses Kreisleriana, un même exercice de transcription discursive des sons (E. T. A. Hoffmann, ’Kreislers musikalisch-poetischer Klub’, in : Fantasie- und Nachtstücke, op. cit., p. 292 sq.). À chaque accord plaqué par Kreisler sur un piano endommagé, par inadvertance, par un des membres philistins du ’club’ est ainsi associée sa traduction poétique.

589.

65 ’Die menschliche Natur trennt Skulptur, Malerei und Musik; jede besteht für sich und wandelt ihren Weg. Aber immer ist es mir vorgekommen, als wenn die Musik für sich in einer abgeschlossenen Welt leben könnte, nicht aber so die Malerei: zu jeder schönen Darstellung mit Farben gibt es gewiß ein verbrüdertes Tonstück, das mit dem Gemälde gemeinschaftlich nur eine Seele hat. Wenn dann die Melodie erklingt, so zucken gewiß noch neue Lebensstrahlen in dem Bilde auf, [...] und Ton und Linie und Farbe dringen ineinander und vermischen sich mit inbrünstiger Freundschaft in eins.’, in : Die Farben , op. cit., p. 191.

590.

66 ’Ohne daß er es bemerkte, schlief er nach und nach ein; die Stille, das liebliche Geräusch der Blätter, ein Gewässer in der Entfernung luden ihn dazu. Er hörte alles noch leise in seinen Schlummer hinein, und ihm dünkte, als wenn er über eine Wiese ginge [...]’, in : L. Tieck, Franz Sternbalds Wanderungen, op. cit., 1ère partie, Livre 2, chap. 1, p. 90. Nous retrouverons dans la nouvelle de L. Tieck Die Freunde (1797) cette association immédiate entre perception auditive et vision onirique (cf. infra : 4. 2. 1., p. 200).

591.

67 Ibid., p. 91.

592.

68 Ibid., 2ème partie, Livre 1, chap. 6, p. 280-281.

593.

69 Nous renvoyons ici à l’analyse exhaustive de É. Décultot (op. cit., p. 164 sq. Analyse reprise in : Peindre le paysage [...], op. cit., p. 138 sq. et développée dans son article ’Das frühromantische Thema der ‘musikalischen Landschaft’ bei Philipp Otto Runge und Ludwig Tieck’, in : Athenäum. Jahrbuch für Romantik 5, 1995, p. 213-234). Cette nouvelle conception ’musicale’ du paysage apparaît à de nombreuses reprises dans le roman de Tieck, notamment lorsque Sternbald, imaginant la représentation d’un paysage crépusculaire, évoque un ’jeu artificiel’ des couleurs, seul moyen pour le peintre de traduire la ’tonalité’ particulière du paysage : ’ ‘Nun, mein Freund, was könntet Ihr sagen, wenn Euch ein Künstler auf einem Gemälde diese wunderbare Szene darstellte? Hier ist keine Handlung, kein Ideal, nur Schimmer und verworrene Gestalten, die sich wie fast unkenntliche Schatten bewegen. [...] Diese Stimmung würde dann so wie jetzt Euer ganzes Inneres durchaus ausfüllen [...] und doch wäre es nichts weiter als ein künstliches, fast tändelndes Spiel der Farben. [...]’ ’ (in : L. Tieck, op. cit., 2ème partie, Livre 2, chap. 2, p. 341). Ainsi que le note très justement É. Décultot, le terme de jeu souligne l’affranchissement ’révolutionnaire’ de la couleur au profit d’une représentation plus abstraite, calquée sur l’immatérialité des sons.

594.

70 Aux réserves exprimées par Tieck dans sa nouvelle Eine Sommerreise, texte que nous évoquerons plus loin (cf. infra : 4. 2. 4., p. 226, note 230) s’ajoutèrent les critiques de F. Schlegel, formulées en particulier dans son essai publié, en 1805, dans la revue Europa et intitulé ’Dritter Nachtrag alter Gemälde’ (in : Gemäldebeschreibungen aus Paris und den Niederlanden, in : Kritische Friedrich-Schlegel-Ausgabe in 35 Bänden, éd. par E. Behler, Munich, Paderborn, Vienne, 1958 sq.). Pour l’analyse de ces critiques, qui portent surtout sur le caractère trop arbitraire des ’hiéroglyphes’ rungiens, cf. : É. Décultot, op. cit., p. 262 sq. (repris in : Peindre le paysage [...], op. cit., p. 205-210).

595.

71 Cf. infra : 4. 2. 2., p. 206 sq.

596.

72 P. O. Runge, Lehrstunde der Nachtigall, 1802 et 1804, in : J. Træger, Philipp Otto Runge und sein Werk. Monographie und kritischer Katalog, Munich 1975, reproductions n° 248 et 301. Nous renvoyons ici à l’analyse exhaustive de É. Décultot (in : op. cit., p. 253-255 ; repris in : Peindre le paysage [...], op. cit., p. 197 sq.).

597.

73 ’Ich habe hiebey etwas bemerkt, das mich auf recht deutliche Gedanken in der Composition bringt, die vielleicht für Andre nicht neu, für mich aber sehr wichtig sind, und mich fördern; nämlich, daß dieses Bild dasselbe wird, was eine Fuge in der Musik ist. Dadurch ist mir begreiflich geworden, daß dergleichen in unsrer Kunst ebensowohl stattfindet, nämlich, wie viel man sich erleichtert, wenn man den musikalischen Satz, der in einer Composition im Ganzen liegt, heraus hat, und ihn variirt durch das Ganze immer wieder durchblicken läßt.’, in : P. O. Runge, Hinterlassene Schriften, éd. par D. Runge, Hambourg 1840-1841, vol. 1, p. 223 (Lettre du 27 juillet 1802).

598.

74 Nous citerons simplement cet extrait de la lettre que Runge a envoyée à Goethe en février 1810 et dans laquelle le peintre décrit la manière dont il envisage d’appliquer, en pratique, sa nouvelle théorie de la couleur, libérée de toute contrainte figurative : ’Z. B. eine glatte Meeresfläche horizontal, der Himmel gewölbt erschiene; so auch Sonnen-Aufgang und Untergang als bloße Erscheinung der Luft charakterisirt; wie auch Mondschein und andre allgemeine Effecte.’ (in : ibid., vol. 1, p. 181, termes soulignés par nous). Plus encore qu’à certains tableaux de C. D. Friedrich (Der Mönch am Meer par exemple, réalisé en 1808-1809. Reproduit notamment in : G. Unverfehrt, Caspar David Friedrich, Munich 1984, p. 10), c’est aux futurs paysages de W. Turner (1775-1851) que font penser ces purs effets de lumière.

599.

75 Jean Paul, op. cit., p. 78-79.

600.

76 Cf. supra p. 168.

601.

77 C. Brentano, Godwi oder das steinerne Bild der Mutter, in : Werke, op. cit., vol. 2, p. 130.

602.

78 Nous renvoyons notamment au petit traité intitulé Von zwei wunderbaren Sprachen und deren geheimnisvoller Kraft, et inséré dans l’ouvrage collectif de L. Tieck et W. H. Wackenroder Herzensergießungen eines kunstliebenden Klosterbruders (1797). Nous aurons l’occasion d’analyser plus précisément ce texte lorsque nous étudierons la fonction du paysage ’intérieur’ dans le récit de Tieck Die Freunde (cf. infra : 4. 2. 3., p. ?). Nous trouvons également dans le Sternbald de Tieck cette même métaphore d’une ’langue’ de la nature : ’Welche Welten entwickeln sich im Gemüte, wenn die freie Natur umher mit kühner Sprache in uns hineinredet, wenn jeder ihrer Töne unser Herz trifft und alle Empfindungen zugleich anrührt.’ (in : L. Tieck, Franz Sternbalds Wanderungen, op. cit., 1ère partie, Livre 1, chap. 3, p. 28).

603.

79 Rappelons que chez Tieck, la perception du crépuscule est associée, de la même manière, aux pressentiments du spectateur : cf. supra p. 176.

604.

80  [...] so hast du mir schon oft gesagt, daß die Musik die erste, die unmittelbarste, die kühnste von allen Künsten sei, daß sie einzig das Herz habe, das auszusprechen, was man ihr anvertraut, da die übrigen ihren Auftrag immer nur halb ausrichten und das beste verschweigen [...]’, in : L. Tieck, Franz Sternbalds Wanderungen, op. cit., 2ème partie, Livre 1, chap. 6, p. 281.

605.

81  ’Die Musik ist der letzte Geisterhauch, das feinste Element, aus dem die verborgensten Seelenträume wie aus einem unsichtbaren Bache ihre Nahrung ziehn; [...] sie ist ein Organ, feiner als die Sprache, vielleicht zarter als seine Gedanken; der Geist kann sie nicht mehr als Mittel, als Organ brauchen, sondern sie ist Sache selbst, darum lebt sie und schwingt sich in ihren eignen Zauberkreisen.’ (L. Tieck, Die Farben, in : Phantasien über die Kunst, op. cit., p. 191-192).

606.

82 ’Abstraktionen erlösen. Das muß aus dem Märchen herausgehört werden.’, in : M. Thalmann, Das Märchen und die Moderne, Stuttgart 1961, p. 16.

607.

83 ’Dieses wunderliche Geschöpf hatte in seinem Aufenthalte Tag und Nacht keine Ruhe, ihm dünkte immer, er höre unaufhörlich in seinen Ohren das Rad der Zeit seinen sausenden Umschwung nehmen.’, in : W. H. Wackenroder, Sämtliche Werke und Briefe, op. cit., p. 201.

608.

84 Ibid., p. 203.

609.

85 Ibid., p. 203-204. Le chant dont il est question dans ce passage est celui des passagers (deux amants) de la barque. Pour des raisons pratiques, nous nous contenterons de citer ici la première strophe de ce chant, où l’on retrouve l’association de la perception visuelle à la notion d’intuition (’Ahndung’) :

’Süße Ahndungsschauer gleiten

Über Fluß und Flur dahin,

Mondesstrahlen hold bereiten

Lager liebetrunknem Sinn.

Ach, wie ziehn, wie flüstern die Wogen,

Spiegelt in Wellen der Himmelsbogen.

[...]’ (in : ibid.).

610.

86 Dans ce conte de Wackenroder, le personnage du saint est en effet le seul à percevoir le bruissement de la ’roue du temps’ : ’Wenn man ihn fragte, was er tue, so schrie er wie in einem Krampf die Worte heraus: ‘Ihr Unglückseligen ! hört ihr denn nicht das rauschende Rad der Zeit?’ Und dann drehte und arbeitete er wieder noch heftiger [...]’ (in : ibid., p. 202). Dès lors, il ne peut comprendre que l’on puisse s’adonner à de ’mesquines occupations terrestres’, rendues totalement vaines par la fuite du temps : ’Aber noch wilder und gefährlicher wurde seine Raserei, wenn es sich zutrug, daß in seiner Nähe irgendeine körperliche Arbeit vorgenommen wurde [...]. Dann pflegte er wild aufzulachen, daß unter dem gräßlichen Fortrollen der Zeit noch jemand an diese kleinlichen irdischen Beschäftigungen denken konnte [...].’ (in : ibid.).

611.

87 ’Die Welt muß romantisirt werden. So findet man den urspr[ünglichen] Sinn wieder. [...] Indem ich dem Gemeinen einen hohen Sinn, dem Gewöhnlichen ein geheimnißvolles Ansehen, dem Bekannten die Würde des Unbekannten, dem Endlichen einen unendlichen Schein gebe so romantisire ich es – [...].’ (Novalis, Logologische Fragmente, in : Schriften, op. cit., vol. 2, p. 545).

612.

88 ’Das berühmte Postulat von Novalis ‘Die Welt muß romantisirt werden’ ist im einfachsten Sinne Ausdruck eines Ungenügens. Es besagt, daß die Wirklichkeit, wie sie erscheint, unzulänglich ist und daß sie darum so nicht bleiben sollte.’, in : L. Pikulik, Romantik als Ungenügen an der Normalität. Am Beispiel Tiecks, Hoffmanns, Eichendorffs, Francfort/Main 1979, p. 13.

89 ’Er zitterte vor Heftigkeit, und zeigte ihnen [den Wanderern] den unaufhaltsamen Umschwung des ewigen Rades, das einförmige, taktmäßige Fortlaufen der Zeit [...].’ (W. H. Wackenroder, op. cit., p. 202).

613.