- L’évolution du motif du ’regard plongeant’ (Gipfelblick) : vers une métaphorisation des hauteurs

L’évolution de l’image de la nature, du XVIIe aux premières décennies du XIXe siècle, se mesure à celle que dénote, en littérature, l’utilisation du motif du ’regard plongeant’. En effet, le choix d’un point de vue de plus en plus élevé est l’indice d’un affranchissement progressif de la perception et de la représentation du monde : en osant s’abandonner peu à peu au vertige des hauteurs, le spectateur parvient à secouer la double tutelle de l’éthique et de la foi. Nous rappellerons en effet que pour les poètes baroques, la jouissance visuelle que pouvait procurer une contemplation panoramique était encore difficilement conciliable avec les dogmes du christianisme. La découverte de la nature ’sublime’ au début du XVIIIe siècle, théorisée ensuite par Kant et Schiller, comme nous l’avons relevé plus haut614, permit progressivement de révéler au spectateur sa propre grandeur spirituelle. Le vertige ontologique que ne manqua pas de susciter une telle expérience fut vaincu tout d’abord par la mise en oeuvre d’un mode de perception rationaliste (Rahmenschau) et par la garantie que fournissait encore, à cette époque, la croyance en une ordonnance divine de la nature.

C’est au cours des dernières décennies du XVIIIe siècle que ces ultimes ’garde-fous’ rationnels et religieux sont définitivement abolis, au nom de la toute-puissance du moi. Comme l’a montré, par exemple, l’attitude de Werther ou bien celle de Ardinghello, le spectateur, juché au sommet d’une montagne élevée, s’arroge alors une omnipotence visuelle quasi divine615. Sa place est désormais ’au centre de l’infini’, ainsi que le soutenait déjà Schiller dans son traité philosophique intitulé Theosophie des Julius, paru en 1786 :

‘Jetzt bester Raphael, laß mich herumschauen. Die Höhe ist erstiegen, der Nebel ist gefallen, wie in einer blühenden Landschaft stehe ich mitten im Unermeßlichen. Ein reineres Sonnenlicht hat alle meine Begriffe geläutert616.’

L’utilisation purement métaphorique du ’regard plongeant’ dans ce passage démontre, ainsi que l’affirme D. Arendt617, la ’cristallisation’ qui s’opère autour de ce motif, tout particulièrement chez les Stürmer und Dränger, qui matérialisent en quelque sorte l’aspiration prométhéenne de l’individu par l’élévation de son regard.

Cette métaphorisation des hauteurs, souvent associée à un désir d’émancipation sociale618, apparaît également dans la littérature romantique, comme, par exemple, dans ce passage du roman de Brentano Godwi (1801-1802) :

‘Nein, schläfrig war ich nie, ich will fort über die Alpen des Lebens glimmen, wo grenzenlose Aussichten die gebundene Allgemeinheit in meinem Busen lösen, wo mir euer Sonnenadler zur Schwalbe wird, die mit ihrer silbernen Brust an der Erde streift – später sehe ich die Sonne am Abend und früher am Morgen, ich kann dann euren bürgerlichen Kalendertag weit mit dem Tage meines Geistes überreichen, und wenn ihr glaubt, ich lebe aus dem Stegreif, so werde ich euer metrisches Leben, ohne daß ihr es merkt, und noch viel mehr gelebt haben619.’

La métaphore des ’Alpes de la vie’, au sommet desquelles s’ouvrent des perspectives  infinies, traduit le désir de ne plus obéir au rythme monotone qu’impose le ’calendrier’ philistin.

De la même manière, dans le premier roman de A. v. Arnim, Hollins Liebeleben (1801), qui, par sa forme épistolaire et par une certaine parenté thématique, rappelle le Werther de Goethe, la nature n’est évoquée que dans l’affect du désir de liberté :

‘Noch ist er nicht verhallt in mir der innere Ruf nach Freiheit [...]. [...] Und wir, frei aufgerichtet zur Mittagssonne, die einzig ausgezeichnet vor aller Kreatur, den Himmel vor uns und unter uns die träge Weltkugel schauen, und sie in Luft, Wasser und Erde umkreisen, unmöglich sollen wir den hohen, belebenden Trieb, die Fülle der schwellenden Kraft und Freude eindämmen, von der höchsten Sprosse der Stufenleiter aller Wesen, auf welche die bildende Natur in der Anspannung aller Organisation uns hob, aus dem Sammelpunkte alles Lebens uns herabstürzen, allen kühnen, dehnenden, ausbreitenden Geist im trägen Kleinmut des Bürgerlebens ersticken!620

De même que, dans le premier Faust, la volonté de dépassement était associée à l’image des hauteurs éthérées, clairement opposée à celle du ’cachot’ terrestre621, le désir de liberté, définitivement éteint par la veulerie d’une ’existence bourgeoise’, se traduit ici par un transport cosmique (’den Himmel vor uns ’, ’ unter uns die träge Weltkugel’) et par une ubiquité absolue (’sie [die Weltkugel] in Luft, Wasser und Erde umkreisen’).

Toutefois, ainsi que le pressentait déjà Werther dans la lettre du 18 août, le bonheur des hauteurs est nécessairement accompagné du sentiment douloureux de sa vanité, comme le rappelle très justement D. Arendt :

‘Das Gipfel-Glück ist nicht ohne das schmerzliche Wissen um die Unwirklichkeit, Vorläufigkeit und Unerfüllbarkeit, das Höhenbewußtsein mit seiner Erwartung scheint gleichsam bedroht vom Absturz in die Tiefe der Enttäuschung622.’

Ainsi, Faust prévient le risque d’une chute dans ’l’abîme de la désillusion’ en revenant à la pulsion conquérante, à la diastole. Il transmettra toutefois sa soif de transcendance à son fils Euphorion, personnage introduit dans le second Faust, et qui, lui, finira par se jetter dans le vide623.

De même, Hyperion, qui se distingue, comme son nom l’indique624, par une aptitude particulière au dépassement, reste tout à fait conscient de ses propres limites. Ainsi, un seul moment de ’réflexion’ suffit pour anéantir brutalement toute expérience extatique de la nature :

‘Eines zu sein mit Allem, was lebt, in seliger Selbstvergessenheit wiederzukehren ins All der Natur, das ist der Gipfel der Gedanken und Freuden, das ist die heilige Bergeshöhe, der Ort der ewigen Ruhe [...].
Auf dieser Höhe steh ich oft, mein Bellarmin ! Aber ein Moment des Besinnens wirft mich herab. Ich denke nach und finde mich, wie ich zuvor war, allein, mit allen Schmerzen der Sterblichkeit, und meines Herzens Asyl, die ewigeinige Welt, ist hin ; die Natur verschließt die Arme, und ich stehe, wie ein Fremdling, vor ihr, und verstehe sie nicht625.’

Hyperion fait ici l’expérience de cette ’sécheresse’ symbolique qui frappe Werther dans la lettre du 3 novembre626 : la prise de conscience de sa propre finitude tarit en quelque sorte la source de cette fusion panthéiste qui transportait l’individu au ’faîte’ de son épanouissement personnel627. Toutefois, la métaphore maternelle qui apparaît à la fin de ce passage (’die Natur verschließt die Arme’) révèle le narcissisme de cette aspiration et, renchérissant sur celle de la ’Mère Nature’ chez le jeune Goethe, souligne même son caractère pathologique.

Chez Jean Paul, la ’chute’ est provoquée par la perte de la foi, ainsi que le révèle, dans le roman Siebenkäs, le ’Discours du Christ mort du haut de l’univers [...]’. Cet exposé nihiliste, enchâssé dans le ’Premier tableau de fleurs’ (’Erstes Blumenstück’) du roman, est rapporté par un narrateur fictif, qui affirme s’être endormi, un soir d’été, ’sur une montagne’ :

‘Ich lag einmal an einem Sommerabende vor der Sonne auf einem Berge und entschlief. Da träumte mir, ich erwachte auf dem Gottesacker. [...] Ich suchte im ausgeleerten Nachthimmel die Sonne, weil ich glaubte, eine Sonnenfinsternis verhüllte sie mit dem Mond. Alle Gräber waren aufgetan, und die eisernen Türen des Gebeinhauses gingen unter unsichtbaren Händen auf und zu. [...] Am Himmel hing in grossen Falten bloß ein grauer schwüler Nebel, den ein Riesenschatte wie ein Netz immer näher, enger und heißer herein zog. Über mir hört’ich den fernen Fall der Lawinen, unter mir den ersten Tritt eines unermeßlichen Erdbebens628.’

Paradoxalement, la position surélevée du spectateur (’auf einem Berge’) favorise une vision non plus panoramique, mais onirique. Au lieu de contribuer au ’réalisme’ de la représentation, les précisions spatiotemporelles (’an einem Sommerabende’, ’vor der Sonne’, ’auf dem Berge’) font office de simples indications scéniques. À cette mise en scène du narrateur répond celle du Christ lui-même, qui, ’du haut de l’univers’ (’vom Weltgebäude herab’)629, perçoit un monde athée et donc dépourvu de toute cohérence :

‘Und als Christus das reibende Gedränge der Welten [...] sah, und als er sah, wie eine Weltkugel um die andere ihre glimmenden Seelen auf das Totenmeer ausschüttete [...], so hob er groß wie der höchste Endliche die Augen empor gegen das Nichts und gegen die leere Unermeßlichkeit und sagte: ’Starres, stummes Nichts! Kalte, ewige Notwendigkeit! Wahnsinniger Zufall! [...] Wie ist jeder so allein in der weiten Leichengruft des Alles! Ich bin nur neben mir – O Vater! o Vater! wo ist deine unendliche Brust, daß ich an ihr ruhe? – Ach wenn jedes Ich sein eigner Vater und Schöpfer ist, warum kann es nicht auch sein eigner Würgengel sein?... [...]’630

Le spectacle du néant devient le révélateur de la propre solitude de l’être qui, fort de l’autonomie que lui confère sa toute-puissance prométhéenne (’sein eigner Vater und Schöpfer’), s’imagine pouvoir se priver de tout appui divin. Or, si le moi s’attribue le pouvoir de ’se poser’ lui-même, premier pas nécessaire, selon Fichte, à l’affranchissement du sujet, il ne possède pas encore celui d’être son propre ’ange exterminateur’ (’sein eigner Würgengel’), c’est-à-dire celui d’être l’instrument de son propre anéantissement. La substantivation de l’adjectif ’all’ (avec une marque singulière de génitif, ’des Alles’), préféré à celui qu’emploie généralement Jean Paul dans ses écrits théoriques (’ganz’), nous paraît également significative. À la conception du paysage comme une totalité à la fois structurelle et métaphysique s’oppose ici la vision du néant, simplement constitué d’éléments épars.

Ce ’discours du Christ mort’, auquel le narrateur circonspect ne manque pas de joindre un avant-propos édifiant631, peut ainsi être lu comme une mise en garde contre la tentation de l’hybris, à laquelle cédèrent notamment, comme nous l’avons constaté, les Stürmer und Dränger. Cette vision cauchemardesque d’un univers chaotique, privé de tout repère religieux, est finalement balayée par le spectacle rassurant que découvre le narrateur à son réveil :

‘Meine Seele weinte vor Freude, daß sie wieder Gott anbeten konnte – und die Freude und das Weinen und der Glaube an ihn waren das Gebet. Und als ich aufstand, glimmte die Sonne tief hinter den vollen purpurnen Kornähren und warf friedich den Wiederschein ihres Abendrotes dem kleinen Monde zu, der ohne eine Aurora im Morgen aufstieg; und zwischen dem Himmel und der Erde streckte eine frohe vergängliche Welt ihre kurzen Flügel aus und lebte, wie ich, vor dem unendlichen Vater; und von der ganzen Natur um mich flossen friedliche Töne aus, wie von fernen Abendglocken632.’

Seule la foi permet de garantir l’unité et l’harmonie du monde (’von der ganzen Natur [...] flossen friedliche Töne aus’) et d’en reconnaître les limites. Par conséquent, l’univers précisément circonscrit (’zwischen dem Himmel und der Erde’), source de bonheur en dépit de son caractère éphémère (’eine frohe vergängliche Welt’), est nécessairement subordonné à son Créateur qui, lui, est infini (’vor dem unendlichen Vater’).

Ainsi, l’évolution du motif du ’regard plongeant’ se révèle finalement circulaire. C’est précisément parce que la recherche d’un point de vue absolu, poussée par les Stürmer und Dränger à son point extrême, risque de mener à un vertige nihiliste et à une chute fatale qu’un appui spirituel semble à nouveau nécessaire. Toutefois, le caractère encore emblématique des représentations de la nature dans les premières décennies du XVIIIe siècle, dans la mesure où l’image reste subordonnée à un discours rationnel ou religieux, est amendé par l’adoption d’une perspective ’sentimentale’, conformément au principe d’unité qu’énonce Jean Paul dans ses écrits théoriques et qu’il applique dans ses descriptions de vues panoramiques, comme par exemple dans celle que l’on trouve au début du roman Die unsichtbare Loge (publié en 1793) :

‘Als er [Gustav] aber nach dem ersten Erstarren seinen Geist aufgeschlossen, aufgerissen hatte für diese Ströme – als er die tausend Arme fühlte, womit ihn die Seele des Weltall an sich drückte – als er zu sehen vermochte das grüne taumelnde Blumenleben um sich [...] - als sein wieder aufwärts geworfnes Auge in dem tiefen Himmel, der Öffnung der Unendlichkeit, versank – und als er sich scheuete vor dem Herunterbrechen der herumziehenden schwarzroten Wolkengebirge und der über seinem Haupt schwimmenden Länder – und als er die Berge wie neue Erden auf unserer liegen sah – und als ihn umrang das unendliche Leben, [...] das summende Leben zu seinen Füßen [...] als endlich sein belastet-gehendes Auge sich auf den weißen Flügeln eines Sommervogels tragen ließ [...]: so fing der Himmel an zu brennen [...] und auf dem Rand der Erde lag, wie eine vom göttlichen Throne niedergesunkene Krone Gottes, die Sonne. Gustav rief:  ’Gott steht dort ’ und stürzte mit geblendetem Auge und Geiste und mit dem größten Gebet, das noch ein kindlicher zehnjähriger Busen faßte, auf die Blumen hin.....633

L’unité de la représentation, divisée encore en deux mouvements successifs, l’un contemplatif, l’autre discursif, comme l’indique l’exclamation finale de Gustav, introduite au discours direct (’Gustav rief: ‘Gott steht dort’ [...]’), est sauvegardée par la présence d’une longue période qui rythme le passage. L’exaltation croissante que traduit, dans la protase, l’accumulation de subordonnées temporelles s’achève en point d’orgue dans l’apodose, au moment où Gustav découvre, ’les yeux et l’esprit éblouis’ (’mit geblendetem Auge und Geiste’)634, la présence de Dieu dans la nature.

Nous évoquerons, pour finir, l’usage parfois ironique du motif du ’regard plongeant’ dans la littérature romantique. Ainsi, dans le roman de Brentano, Godwi, le transport extatique qu’éprouve Maria, le narrateur, juché au faîte d’un arbre, est brutalement anéanti par le persiflage de Godwi :

‘’Ich saß höher als der höchste Berg der Gegend, auf der Spitze eines jungen Baumes [...]. Ringsum weit die Städte und Flecken hingesäet, viele tausend Blicke auf meinen Standpunkt gerichtet, in tiefer Einsamkeit, Vor- und Nachwelt um mich aufgelöst in ein unendliches Gefühl des Daseins. [...] Ich weinte, als sich die Aussicht mir erschloß [...] und fühlte, wie [...] sich meine Seele wie der Duft einer Blume zum Himmel hob; mein Körper wuchs in den Stamm, der mich trug, und meine Arme streckten sich wie Zweige in die Luft: da war mir wohl, und ich sah den Zugvögeln nach, die neben mir vorüberreisten, wie Freunden, die noch nicht zur Ruhe gekommen sind, und wünschte ihnen glückliche Reise.’
’Es ist recht hübsch, daß grade welche vorbeiflogen’, sagte Godwi [...]635.’

La recherche d’un point de vue de plus en plus elevé (’höher als der höchste Berg der Gegend [...]’), à la mesure de l’aspiration transcendante de l’individu, tourne ici au ridicule. La mise en scène de cette vue panoramique, focalisée par le regard du spectateur placé au centre du paysage (’auf meinen Standpunkt gerichtet’, ’um mich’)636, est finalement l’indice de la vanité de toute entreprise de dépassement.

Plus généralement, l’usage répété du motif du ’regard plongeant’ dans la littérature romantique tend à banaliser le sentiment qui lui est traditionnellement associé. Ainsi, l’ascension du Brocken, exploitée à l’origine par Goethe dans le poème ’Harzreise im Winter’637, prend de plus en plus, chez Arnim, comme, plus tard, chez Heine638, l’allure d’une simple excursion dominicale. Par exemple, dans le roman de Arnim Hollins Liebeleben, le panorama que découvrent, au petit jour, les promeneurs parvenus au sommet du Brocken ne déclenche plus aucune nostalgie romantique de l’infini. Au contraire, l’émotion esthétique qu’ils ressentent tout d’abord, magnifiée par le ’chant sacré’ de Marie qui accompagne leur contemplation639, est rapidement dissipée par les préoccupations plutôt ’terre-à-terre’ des spectateurs :

‘Der Rat bedauerte schon, daß wir keinen klaren Sonnenaufgang gesehen hätten, wenn die Wolken nicht wären, sähe man Magdeburg, wie einen kleinen weißen Flecken und die Elbe dabei, wie einen blauen Faden. Auf Befehl der Mutter mußte Marie wegen der Morgenluft sich mit einem Mantel umhüllen, sie nötigte wiederholt zum Kaffee. Saul las dabei zum großen Wohlgefallen eines jungen Theologen Lopez, Marien ein Gedicht in Hexametern vor, welches dieser während des Sonnenaufgangs auf den Sonnenaufgang in seine Schreibtafel gedichtet hatte640.’

Tandis que le conseiller témoigne d’un intérêt purement géographique, son épouse ne semble être affectée que par des soucis domestiques. Le rapport, non plus individuel, mais collectif, à la nature est médiatisé non seulement par le regard étriqué du philistin, mais également par celui du poète, habitué à consigner en hexamètres, sur un carnet prévu à cet effet, les sentiments que lui inspirent les levers de soleil.

Ainsi, l’épuisement progressif du motif du ’regard plongeant’ (Gipfelblick) au cours du XVIIIe siècle, signalé tant par sa métaphorisation excessive que par son traitement ironique, laisse présager celui du paysage ’intérieur’ dans la littérature romantique. À la tentation de réduire la vue panoramique à un signe conventionnel correspond en effet, comme nous l’avons relevé précédemment, celle de ramener le paysage à sa ’tonalité’ sentimentale, au détriment de ses qualités plastiques.

C’est à cette impasse, à la fois sémantique et idéologique, que mène l’intériorisation excessive de la représentation du paysage, ainsi que nous allons le découvrir à présent, en étudiant le récit que publia L. Tieck en 1797 sous le titre Die Freunde.

Notes
614.

90 Cf. supra : 2. 2. 1., p. 76-77 et 3. 2. 2., p. 163.

615.

91 Dans un chapitre précisément consacré à l’étude de la vue panoramique, A. Koschorke note par exemple : ’Das panoramatische Sehen ist in seiner absoluten und uneingeschränkten Präsenz der göttlichen Allschau ähnlich.’ (in : A. Koschorke, Die Geschichte des Horizonts [...], op. cit., p. 166).

616.

92 F. Schiller, Theosophie des Julius. Die Welt und das denkende Wesen, in : Thalia, vol. 1, 3ème cahier, p. 122.

617.

93  [...] fraglos bildet es [das Gipfel-Bild] gleichsam den künstlerischen Kristallisationspunkt des subjektiv-revolutionären Genie-Gefühls [...]’, in : D. Arendt, op. cit., p. 131.

618.

94 Cf. sur ce point A. Koschorke (op. cit., p. 156 sq.) : ’Verallgemeinernd läßt sich sagen, daß der Blick über Körperhaftigkeit und Enge des Vordergrunds hinweg zu einem nach allen Seiten offenliegenden Horizont eines der prägenden kollektiven Wahrnehmungsmuster für das aufstrebende Bürgertum des späteren 18. Jahrhunderts bildet. [...] Der Panoramablick ist der visuelle Vollzug der bürgerlichen Emanzipation von der Vorherrschaft der alten gesellschaftlichen Mächte’. Nous nuancerons toutefois cette affirmation en précisant qu’il s’agit plus d’un désir d’émancipation personnelle que d’une réelle revendication sociale. Ainsi, l’ascension progressive de Siebenkäs, dans ce passage que nous avons présenté au début de ce chapitre, apparaît comme une métamorphose, à la faveur de laquelle le héros s’affranchit des contraintes essentiellement bourgeoises et familiales qui lui étaient imposées jusqu’alors (cf. supra p. 166).

619.

95 C. Brentano, Godwi, op. cit., p. 40.

620.

96 A. v. Arnim, op. cit., in : Sämtliche Romane und Erzählungen, éd. par W. Migge, Munich 1963, vol. 2, p. 13.

621.

97 Nous songeons bien sûr à ce passage du monologue initial de Faust :

’ [...] Ach! könnt’ich doch auf Bergeshöhn

In deinem lieben Lichte gehn,

Um Bergeshöhle mit Geistern schweben,

Auf Wiesen in deinem Dämmer weben,

Von allem Wissensqualm entladen,

In deinem Tau gesund mich baden!

Weh! steck’ich in dem Kerker noch?

Verfluchtes dumpfes Mauerloch,

Wo selbst das liebe Himmelslicht

Trüb durch gemalte Scheiben bricht!

[...]. ’ (J. W. v. Goethe, Faust. Der Tragödie erster Teil (parue en 1808), in : Goethes Werke, op. cit., vol. 3, p. 21, vers 392-401). Cf. également le passage (vers 1070 sq.) que nous avons évoqué dans la première partie de notre étude (cf. supra : 3. 2. 2., p. 138, note 64).

622.

98 D. Arendt, op. cit., p. 142.

623.

99 ’[...]

Doch! – und ein Flügelpaar

Faltet sich los!

Dorthin! Ich muß! Ich muß!

Gönnt mir den Flug!

[...].’

In : Faust. Der tragödie zweiter Teil (1832), in : Goethes Werke, op. cit., p. 298, vers 9897-9900. Euphorion est accompagné dans sa chute par les cris du choeur invoquant Icare.

624.

100 ’hyper-ion’ (du grec ’huper’, indiquant le dépassement, et ’ion’, participe présent du verbe ’ienai’, ’aller’) signifie littéralement : celui qui ’va au-del ’. À cette symbolique onomastique s’ajoute une origine mythique, puisque chez les Grecs, notamment chez Homère, le Dieu du Soleil, Hélios, était appelé également ’Hyperion’.

625.

101 Hölderlin, Hyperion oder der Eremit in Griechenland (1797-1799), in : Sämtliche Werke, éd. par F. Beissner, Stuttgart 1965, vol. 3, p. 9. On songe ici également à l’aveu que Godwi fait à son ami et correspondant Römer : ’Ich sehe die Natur um mich her ewig und unermeßlich, und wenn ich sie ganz verschlinge, wie sehr ich es kann, so bleibt es doch öde in meiner Brust, und mein Herz pocht so eintönig, so allein in meinem Busen.’ (in : C. Brentano, Godwi, op. cit., p. 76).

626.

102 Cf. supra : 3. 2. 3., p. 144.

627.

103 Pour une étude de la métaphorisation des hauteurs chez Hölderlin, cf. R. Guardini, Hölderlin. Weltbild und Frömmigkeit, Munich 1955. L’auteur souligne notamment l’usage emblématique du motif de la montagne chez Hölderlin, associé par le biais de références mythologiques, tout comme dans le roman de Heinse Ardinghello (cf. supra : 3. 3. 2., p. 151), à une aspiration héroïque (’So sind die Berge des Romans Zeugnisse der großen Vergangenheit Griechenlands, Denkmale seines Glanzes, Klage über seinen Untergang, Mahnung zu künftigen Taten der Befreiung und Erneuerung.’ (p. 84).

628.

104 Jean Paul, ’Rede des toten Christus vom Weltgebäude herab dass kein Gott sei’, in : Siebenkäs (Erstes Blumenstück), op. cit., p. 268. Étant donné qu’il nous est impossible, pour des raisons simplement pratiques, de citer en intégralité ce ’discours’ apocalyptique, nous nous contenterons d’en présenter ici les grandes articulations.

629.

105 Cette position est spécifiée un peu plus loin : ’[...] und oben am Gipfel der unermeßlichen Natur stand Christus und schauete in das mit tausend Sonnen durchbrochne Weltgebäude herab [...]’ (in : ibid., p. 269).

630.

106 Ibid., p. 270.

631.

107 Les précautions oratoires dont use le narrateur dans cet avant-propos contribuent à désamorcer ’l’audace de sa fiction’ : ’Das Ziel dieser Dichtung ist die Entschuldigung ihrer Kühnheit. [...] das ganze geistige Universum wird durch die Hand des Atheismus zersprengt und zerschlagen in zahlenlose quecksilberne Punkte von Ichs, welche blinken, rinnen, irren, zusammen- und auseinanderfliehen, ohne Einheit und Bestand. Niemand ist im All so sehr allein als ein Gottesleugner – er trauert mit einem verwaiseten Herzen, das den größten Vater verloren, neben dem unermeßlichen Leichnam der Natur, den kein Weltgeist regt und zusammenhält, und der im Grabe wächset; und er trauert so lange, bis er sich selber abbröckelt von der Leiche.’, in : ibid., p. 266. Le narrateur dénonce ainsi les dangers de l’athéisme, source de destruction et d’aliénation, avant de livrer au lecteur sa vision apocalyptique d’un monde abandonné de Dieu.

632.

108 Ibid., p. 271.

633.

109 Jean Paul, op. cit., in : Werke, op. cit., vol. 1, p. 62-63.

634.

110 Nous retrouvons ici cette association permanente de la vue et du sentiment, cf. supra p. 171 sq.

635.

111 C. Brentano, op. cit., p. 320-321.

636.

112 Cette tendance narcissique apparaît également très nettement dans le commentaire qui accompagne cette description de paysage : ’ ‘[...] ich kenne nur eine Aussicht bis jetzt, und habe noch keine Landschaft gesehen, die mir wohl tat, als diese, und wäre meine Gestalt von meinem Gemüte ganz durchdrungen, könnte ich überhaupt jemals mich selbst vorstellen, so hätte in diese Landschaft ein Maler keine Figur als die meinige stellen dürfen, um nicht aus der Haltung zu fallen.’ ’ (in : ibid., p. 320).

637.

113 Nous noterons simplement l’utilisation symbolique, dans ce poème, du Brocken, siège olympien du ’père de l’amour’ :

’[...] Du stehst mit unerforschtem Busen

Geheimnisvoll-offenbar

Über der erstaunten Welt

Und schaust aus Wolken

Auf ihre Reiche und Herrlichkeit,

Die du aus den Adern deiner Brüder

Neben dir wässert.’

In : Goethes Werke, op. cit., vol. 1, p. 52.

638.

114 Cf. ici l’analyse de A. Koschorke : ’Vollends in Heines ‘Harzreise’, die 1826, am Ende der romantischen Ära, erscheint, gewinnt das obligatorische Gipfelerlebnis im Zeitalter des einsetzenden Massentourismus den Charakter einer reinen Farce. Der Naturgenuß, durch den sich zunächst der Einzelne von der Gesellschaft abgesondert hatte, ist von der Gesellschaft vereinnahmt und selbst wiederum in eine philiströse Domäne zurückverwandelt worden.’ (in : op. cit., p. 161). Toutefois, ce processus de démocratisation de la culture, décrit ici par Koschorke en des termes excessifs, n’anéantit pas complètement le sentiment exalté qu’inspire encore, à cette époque, la contemplation d’une vue panoramique. La description du Brocken chez Heine en apporte justement la preuve. En effet, l’évocation satirique de son caractère ’tout à fait allemand’ (’Dieser Charakter ist ganz deutsch, sowohl in Hinsicht seiner Fehler, als auch seiner Vorzüge. Der Brocken ist ein Deutscher.’, in : H. Heine, Reisebilder. Erster Teil, in : Sämtliche Schriften, éd. par K. Briegleb, Munich 1969, vol. 2, p. 142) n’exclut aucunement l’expression d’un authentique sentiment de la nature, comme lorsque le narrateur traduit l’émotion que procure aux spectateurs réunis sur le sommet du Brocken le ’chant sacré’ du crépuscule (’[...] es war, als ständen wir, eine stille Gemeinde, im Schiffe eines Riesendoms, und der Priester erhöbe jetzt den Leib des Herrn, und von der Orgel herab ergösse sich Palestrinas ewiger Choral.’). Rappelons que cette dualité est un trait constitutif de l’oeuvre de Heine.

639.

115 ’Es wurde heller umher, der Fels schien sich aufzubewegen durch die Kraft des heiligen Gesangs, das Wolkenmeer regte sich mit allen seinen Wogen, die Wälder umher blinkten in hellerem Grün, der milde Tau senkte sich herab, alle Töne feierten im Anhorchen des süßen Tons andächtiger Liebe. Sie verhallten, das geräuschvolle Leben umher kehrte wieder.’, in : A. v. Arnim, op. cit., p. 34.

640.

116 Ibid.